The Project Gutenberg eBook of S'ensuyt le Nouveau monde & navigations

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Title: S'ensuyt le Nouveau monde & navigations

faictes par Emeric de Vespuce Florentin

Author: active 1507-1522 da Montalboddo Fracanzano

Contributor: Amerigo Vespucci

Translator: Mathurin Du Redouer

Release date: November 22, 2025 [eBook #77290]

Language: French

Original publication: Paris: Veuve Trepperel et Jean Jehannot, 1515

Credits: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK S'ENSUYT LE NOUVEAU MONDE & NAVIGATIONS ***

S’ensuyt le Nouveau monde & navigations :

Faictes par Emeric de vespuce Florentin/ Des pays & isles nouvellement trouvez/ au paravant a nous incongneuz Tant en l’ethiope que arrabie/ calichut/ et aultres plusieurs regions estranges Translaté de ytalien en langue françoyse/ par mathurin du redouer licencié es loix.

.xix.

¶ S’ensuit la table de ce present livre.

[¶ Le premier livre de la premiere navigation faicte par la mer Occeane aux terres des mores de la basse ethiope.]
Le premier qui a trouvé la navigation de la mer Occeane vers le midy. Chapitre .i. Fueillet
Des choses trouvees de loys cadamosto en la navigacion de la terre des mores. Chapitre .ii. fueillet
Le temps que partirent les caravelles et avec quel vent ilz naviguerent. Chapitre .iii. fueillet
De l’isle de porsaint et des choses qui y naissent/ et du sang du dragon. Chapitre quatre fueillet
De monch ric port de l’isle de la madere. Chapitre .v. fueil
De l’isle de la madere et de sa fertilité. Chapitre .vi. fueillet
Des canaries qui sont dix isles avec leurs noms. Chapitre .vii. fueillet
Des choses qui naissent dedans lesdictes canaries. Chapitre .viii. fueillet
La description du chef blanc avec les isles plus prochains. Chapitre .ix. fueillet
Commutation de sel pour autant d’or/ et le chemin qu’il fault faire pour l’aller querir. Chapitre .x. fueillet
Comment l’empereur de melly voulut congnoistre ung des marchans de sel. Chapitre .xi. Fueillet
Comment les povres honnorent les riches de leurs femmes et de leurs armes. Chapitre .xii. fueillet
Du fleuve de senega qui separe la terre areneuse de la fertille. Chapitre .xiii. Fueillet
Des seigneurs qui regnent a la coste du chef verd. Chapitre .xiiii. fueillet
De l’habit des mores et de leur loy. Chapitre .xv. fueillet
Les hommes sont netz de leurs personnes : et ors en leur vivre Chapitre .xvi. fueillet
Comment les mores du royaulme de gamba combatent. Chapitre .xvii. fueillet
Des grans nageurs : & du royaulme de senega. Chapitre .xviii. Fueillet
La marchandise que loys de cadamosto contracta avec le seigneur budomel. Chapitre .xix. fueillet
Comment loys de cadamosto alla par terre avec le seigneur budomel. Chapitre .xx. fueillet
Des maisons de budomel/ et de ses femmes. Chapitre .xxi. fueillet
De la compaignie de budomel & qui tousjours demoure en sa maison. Chapitre .xxii. fueillet
Coustumes de budomel et de ceulx qui l’honnorent. Chapitre .xxiii. fueillet
De l’eglise de budomel & de leur maniere de sacrifier & de leur vivre. Chapitre .xxiiii. fueillet
Des legumes en vin qui vient au royaulme de senega. Chapitre .xxv. fueillet
Fruictz de diverses sortes & huylle merveilleux. Chapitre .xxvi. Fueillet
des coulevres qui engloutissent les chevres et des enchanteurs. Chapitre .xxvii. fueillet
Des bestes saulvaiges qui sont en grande quantité. Et mesmement des elephans et girafles. Chapitre .xxviii. fueillet
Des papegays & oyseaulx de diverses sortes. Chapitre .xxix. fueillet
De leurs marchez et des gens qui y viennent. Chapitre .xxx. fueillet
Des chevaulx qui s’i vendent et des enchanteurs d’iceulx. Chapitre .xxxi. fueillet
Des femmes qui dancent de nuyt. Chapitre .xxxii. fueillet
Comment anthoine et loys de cadamosto se accompaignerent pres le chef verd. Chapitre .xxxiii. fueillet
Du chef verd avec sa description et des habitans. Chapitre .xxxiiii. Fueillet
Fleuves grans navigués par almadies. Chapitre .xxxv. fueillet
Comment les mores assaillirent les navires dedans le fleuve. Chapitre .xxxvi. fueillet
De la deliberation qui fut faicte sus le fleuve de Gambra. Chapitre .xxxvii. fueillet
La eslevation de la transmontane. Chapitre .xxxviii. fueillet
Comment anthoine genevois et loys de cadamosto trouverent nouvelles isles. Chapitre .xxxix. fueillet
Des deux palmes et la navigation du fleuve de Gambra. Chapitre .xl. fueil.
Comment le seigneur batimaussa eut bonne paix avec nous Chapitre .xli. fueil.
Des elephans saulvaiges et en quelle maniere ilz les prennent. Chapitre .xlii. Fueillet
Des piedz et jambes de l’elefant et du poisson cheval. Chapitre .xliii. fueil.
Des fleuves de casamansa et du chef rouge. Chapitre .xliiii. fu.
Des fleuves trouvez en ceste coste et des gens qui habitent. Chapitre .xlv. fueillet
Comment nous partismes de la pour non sçavoir entendre leur langaige. Chapitre .xlvi. fueillet
[¶ Le second livre de la navigation de lisbone a calichut.]
Pays nouvellement descouvers avec leurs noms. Chapitre .xlvii. fueillet
Du chef des sarges avec trois autres & les noms de tresgrans fleuves. Chapitre .xlviii. fueillet
Des fleuves & des palmes avec plusieurs autres. Chapitre .xlix. fueillet
Le temps que se partirent les navires de lisbonne & de leur retour Chapitre .l. fueillet
Le lieu ou est melinde : calichut avec plusieurs autres lieux. Chapitre .li. fueillet
Description de calichut du roy et son palays. Chapitre .lii. fueillet
Des marchandises & monnoyes de calichut. Chapitre .liii. fueillet
Des navires qui passent soubz la calamite avec le pris des espiceries. Chapitre .liiii. fueillet
De la mecque mont du sinaÿ et de la mer rouge. Chapitre .lv. fueillet
Les viandes que use le roy de calichut et le peuple d’iceluy pays. Chapitre .lvi. fueillet
La cognition qu’ilz ont de Jhesucrist et du pape. Chapitre .lvii. fueillet
Les lieux ou croissent les espiceries. Chapitre .lviii. fueillet
Le pont ou arrivent les espiceries du souldan. Chapitre .lix. fueillet
Instrumens pour naviguer et des marchandises qui se mettent a prix. Chapitre .lx. fueillet
Des elefans et tiltre du roy de portugal. Chapitre .lxi. fueillet
Le lieu ou en personne le roy emanuel de portugal bailla l’estandart au capitaine. Chapitre .lxii. fueillet
Comment les navires de portugal par fortune alloyent sur la mer ça et la. Chapitre .lxiii. fueillet
Racines desquelles on faict du pain avec autres coustumes. Chapitre .lxiiii. fueillet
Des papegaulx trouvez en la terre descouverte. Chapitre .lxv. fueillet
Des quatre navires qui perirent. Chapitre .lxvi. fueillet
De zasfalle myne de l’or. Chapitre .lxvii. fueillet
Comment apres que le capitaine eut le saufconduit il parla avec le roy. Chapitre .lxviii. fueillet
Comment la lettre du roy de portugal avec le don fut presentee au roy de mellinde. Chapitre .lxix. fueil.
¶ Le troiziesme livre de la navigation de lisbonne a calichut.
¶ De la mer rouge et mer de perse avec l’isle agradida. Chapitre .lxx. Fueillet
Comment le capitaine alla au roy de calichut. Chapitre .lxxi. Fueillet
De l’abbaye du roy de calichut. Chapitre .lxxii. fueillet
Le present qui fut donné au roy avec le desordre qui y fut. Chapitre .lxxiii. fueillet
Des coustumes & choses de calichut. Chapitre .lxxiiii. fueil.
Des marchans de calichut & le voyaige de l’espicerie du cayre en alexandrie. Chapitre .lxxv. fueil.
Grande occision de mores et chrestiens dedans calichut. Chapitre .lxxvi. fueillet
Comment les navires chargerent a cachin. Chapitre .lxxvii. fueillet
Du royaulme de cananor et du recueil que fist le roy a noz navires. Chapitre .lxxviii. fueillet
Du nauffraige qui fut faict au goulfe de melinde. Chapitre .lxxix. fueillet
Des navires qui retournerent a lisbonne. Chapitre .lxxx. fueillet
Le poix et monnoye qui se use en calichut. Chapitre .lxxxi. fueillet
Le pris des marchandises qui se portent de deça en calichut & es environs. Fueillet
Les lieux desquelz viennent les espiceries. Chapitre .lxxxii. Fueillet
¶ Le quart livre de la navigation faicte par cristofle genevois.
Chapitre .lxxxiii. fueillet
Isles incongneues trouvees par cristofle colomb. Chapitre .lxxxiiii. fueillet
Deux grandes isles avec leurs noms. Chapitre .lxxxv. fueillet
La condicion de l’isle espaignolle. Chapitre .lxxxvi. fueillet
Coustumes des canibales. Chapitre .lxxxvii. fueillet
Coustumes des habitans de l’isle espaignolle. Chapitre .lxxxviii. fueillet
Les hommes que colomb laissa pour chercher l’isle. Chapitre .lxxxix. fueillet
Comment colomb fut appellé admiral de la mer. Chapitre .xc. fueillet
Comment l’admiral trouva les isles des canibales. Chapitre .xci. fueillet
Comment colomb trouva ses gens mors. Chapitre .xcii. fueillet
Les choses que trouva le frere de l’admiral en cherchant le roy & ses gens. Chapitre .xciii. fueillet
Le fleuve de l’or et beaucoup de choses trouvees. Chapitre .xciiii. fueillet
Chasteau ediffié de l’admiral a la myne d’or. Chapitre .xcv. fueillet
Comment l’admiral alla a la myne d’or. Chapitre .xcvi. fueillet
Des choses merveilleuses trouvees par l’admiral. Chapitre .xcvii. fueillet
Comment les roys de l’isle espaignolle furent desconfitz. Chapitre .xcviii. fueillet
Des roys qui se rebellerent pour le mauvais portement des espaignolz. Chapitre .xcix. fueillet
Forteresse ediffiee a la myne d’or. Chapitre .c. fueillet
Les vivres envoyez d’espaigne avec le commandement du Roy. Chapitre .ci. fueillet
L’honneur qui fut fait au capitaine par ung roy qu’il trouva en cerchant ladicte isle. Chapitre .cii. fueillet
Comment les roys qui s’estoyent rebellez furent desconfitz. Chapitre .ciii. fueillet
Nouvelles isles avec diversité de gens trouvees par l’admiral colomb. Chapitre .ciiii. fueillet
Le retour de l’admiral a l’isle espaignolle. Chapitre .cv. fueillet
Le desordre que l’admiral trouva de ses gens en l’isle Espaignole. Chapitre .cvi. fueillet
Comment l’admiral et son frere furent mis es fers et envoyez en espaigne. Chapitre .cvii. fueillet
Comment alons le noir compaignon de l’admiral trouva isles non ouyes avecques diverses coustumes de pays. Chapitre .cviii. fueillet
Diverses nacions et lieux trouvez par alons le noir. Chapitre .cix. fueillet
Comment alons le noir en s’en retournant en espaigne combatit avec les canibales. Chapitre .cx. fueil.
Navigation de pinzon compaignon de l’admiral/ avec ce que il a trouvé. Chapitre .cxi. fueil.
De pinzon qui arriva a la mer d’eaue doulce & trouva diverses isles. Chapitre .cxii. fueil.
¶ Le cinquiesme livre des navigations
¶ Une lettre de emeric de vespuce qu’il escript a laurens pere de medicis. Chapitre .cxiii. fueillet
L’ordre de la navigacion avec une tresgrande fortune. Chapitre .cxiiii. fueillet
La distance de chef verd jusques a la terre ferme trouvee. Chapitre .cxv. fueillet
De la nature et coustumes de ces gens la. Chapitre .cxvi. fueillet
La fertilité de la terre et qualité du ciel. Chapitre .cxvii. Fueillet
Des estoilles du pole antartique. Chapitre .cxviii. fueil.
Des choses qui sont en celuy hemispere. Chapitre .cxix. fueillet
La forme de la quarte partie du monde retrouvee. Chapitre .cxx. fueillet
Comment ce livre est intitulé le troiziesme jour. Chapitre .cxxi. fueillet
Excusation de almeric et quelle soit son intencion. Chapitre .cxxii. fueillet
[Contre l’audace de ceulx qui veullent sçavoir plus que leur est besoing. Chapitre .cxxiii. fueillet
¶ Le sixiesme livre des choses de calichut.
¶ Unes lettres de dominique cretin messaigier de la seigneurie de venise envoyees en portugal datees du .xxvii. juing mil .ccccc. ung. Chapitre .cxxiiii. Fueil.
Copie d’unes autres lettres envoyees de par la seigneurie de venise en portugal datees de l’an cinq cens et ung du dixneufviesme jour d’octobre. Chapitre .cxxv. Fueillet
Copie d’unes autres lettres envoyees de lisbonne en Espaigne au roy et a la royne. Chapitre .cxxvi. fueillet
Copie d’unes lettres receues des marchans d’espaigne du traictié faict avec le roy de portugal et le Roy de calichut. Chapitre .cxxvii. Fueillet
Comment prejoseph Indian monta sur noz caravelles et vint en portugal et le roy le fist acompaigner a romme et a venise. Chapitre .cxxviii. fueillet
La qualité dudict prejoseph avec son pays et les gentilz. Chapitre .cxxix. Fueillet
Des habitans de caranganor avec les edifices et eglises. Chapitre .cxxx. Fueillet
Coustumes du roy de caranganor et des habitans et le lieu auquel sont plusieurs crestiens. Chapitre .cxxxi. Fueillet
Des maisons des crestiens : et comment leurs evesques gouvernent l’eglise. Chapitre .cxxxii. Fueillet
Comment ilz consacrent et ensevelissent les mors avec leurs festes. Chapitre .cxxxiii. fueillet
En quelle saison est l’yver en caranganor et la façon de leurs navires. Chapitre .cxxxiiii. fueillet
De leurs monnoyes & les choses qui croissent la en habondance. Chapitre .cxxxv. Fueillet
Pain de ris et les palmes qui portent les noix d’indye. Chapitre .cxxxvi. fueillet
Comment de la palme se faict vin : vinaigre : sucre : et huile. Chapitre .cxxxvii. fueillet
De calichut : du roy avec ses coustumes et marchandises. Chapitre .cxxxviii. Fueillet
Du royaulme de gambaye de ormus : et de [Suzerat>guzerat]. Chapitre .cxxxix. Fueil.
De la situacion de gambaye : et d’autres lieux et du roy et espiceries. Chapitre .cxl. fueillet
Du roy narsundus et de une eglise de sainct Thomas. Chapitre .cxli. Fueillet

¶ Cy finist la table de ce present livre.

¶ On les vent a paris en la rue neufve nostre dame A l’enseigne de l’escu de France.

.i.

¶ Cy commence le premier livre de la premiere navigation faicte par la mer Occeane aux terres des mores de la basse ethiope par le commandement de treshault prince le seigneur Infant don Hurich frere de don Durich Roy de portugal.

Vous messieurs & dames qui lirez ou orrés lire ce present livre serez advertis que quant trouverez les motz qui s’ensuyvent C’estassavoir Ostro/ Austral/ Septentrion/ Acquillon Tranmontane/ Levant/ Orient/ Ponent/ Grec/ Siroch/ Maistral/ Garbin/ Bonace. Ce sont noms de vens Ostro Austral c’est ung mesme vent que nous apellons midy Septentrion Acquilon Tranmontane/ ces trois c’est ung mesme vent et s’appelle a nous le vent de bise Levant et Orient c’est semblablement ung mesme vent & s’appelle le vent d’amont Ponent c’est le vent d’aval Garbin c’est ung vent qui est entre le soleil couchant & le midy Siroch est entre le midy et le vent d’amont Grec est entre le vent d’amont et celuy de bise et le Maistral est entre la Bise/ et celluy d’aval Neantmoins ce mot Trammontane il sert aulcuneffois pour une estoille/ par laquelle les mariniers se gouvernent et l’appellent Trammontane.

¶ La premiere qui a trouvé la navigacion de la mer Occeane vers le midy.

Chapitre premier.

¶ Prologue de l’acteur.

Moy loys Cadamosto estant le premier de la nation de la noble cyté de venise esmeu a naviguer la mer occeane au dehors de l’estroict de Gilberterre/ vers les parties du midy : dans les terres des mores de la basse ethiope/ ouquel lieu et en mon voyage ayant veu plusieurs choses nouvelles & dignes d’estre notees affin que ceulx qui apres moy auront a descendre puissent entendre quel a esté mon couraige en cherchant diverses choses en divers et nouveaulx lieux/ que voirement et les coustumes et les lieux nostres/ en comparacion de la chose par moy veue et entendue ung autre monde se peut bien appeller Parquoy les choses par moy veues et entendues meritent bien d’en faire quelque chose digne de memoire Et ainsi comme la memoire me servira/ ainsi avec ma plume je transcripray les choses susdictes lesquelles se par moy ne seront aornement mises comme la matiere le requiert/ a tout le moins ne fauldray point de mettre en tout lieu la pure verité/ Et sans doubte j’escripray toute la verité des choses que narreray Or doncques est assavoir que celluy qui fut le premier inventeur de faire naviguer ceste partie de la mer Occeane vers midy es terres des mores de la basse ethiope laquelle depuis nostre premier pere adam ença ne se trouve jamais avoir esté naviguee sinon a present par le gentil seigneur Infant don Hurich de portugal qui fut filz de hault prince don jehan roy de portugal lequel seigneur infant don Hurich combien que de ses vertus plusieurs choses notablez s’en pourroyent dire toutes je les laisse/ mais seullement je declareray comme il s’est donné a batailler pour nostre sauveur jesucrist en guerroyant les barbares et combatant pour la foy. Il ne voulut jamais prendre femme en sa jeunesse soubz grande chasteté se gardoit de choses tresdignes il a faict en bataille contre les mores et en sa propre personne et par son industrie de grandes choses dignes de memoire dequoy sondict pere Jehan venant a la mort appella ledict seigneur infant don Hurich son filz en luy recommandant toute la chevallerie des portugalois le priant et exhortant de vouloir suivre son sainct vray et laudable propos. C’estassavoir de persecuter avec tout son povoir les ennemis de la saincte foy de jesucrist lequel seigneur infant en parlant briefvement s’efforça de le faire. Et depuis la mort de sondict pere avec l’aide de son frere don durich qui succeda au royaulme de portugal fist une grande guerre en affrique a ceulx de Fess dequoy apres plusieurs ans passez ledict seigneur infant procurant par toute voye possible dommaiger en plusieurs lieux ledit royaume de fess lequel vient sur la mer occeane au dehors l’estroit de gilberterre envoya ses caravelles. Et par chascun an faisoyent plusieurs dommaiges aux mores & ceulx qui conduisoient lesdictes caravelles solliciterent ledict seigneur Infant de les faire aller chascun an plus avant jusques a ung promontoire appellé chef de non : lequel chef dient ainsi estre apellé jusques aujourd’huy et cestuy chef est la fin ou ne se trouve aulcun avoir plus avant passé que jamais en retournast parquoy s’appelloit le chef de Non qui le passe retourne non et par ainsi lesdictes caravelles alloyent jusques audit chef & de la n’osoyent passer plus oultre. Mais ledit seigneur Infant desirant de sçavoir plus oultre delibera de faire que lesdictes caravelles l’an ensuyvant passassent avec l’aide & faveur de dieu oultre ledit chief de non. Et print les meilleures caravelles de portugal et icelles bien equippees de toutes choses necessaires fut estimé que il estoit possible que elles povoyent naviguer par tout et luy qui estoit desirant de vouloir entendre choses nouvelles pour & affin de sçavoir la generation des habitans d’iceluy pays pour vouloir nuyre aux mores feist mettre .ii. en point trois de ses caravelles avec bonnes munitions d’armures victuailles & autres choses necessaires & mist dedans de vaillans hommes lesquelz allerent & passerent ledict chef de non en navigant de jour par la coste/ & de nuyt se arrestoient et ceulx estans allez par ladicte coste environ cinquante lieues oultre ledict chef de non non trouvans habitation ny aucunes gens/ mais toute terre areneuse & seiche tournerent en derriere Et voyant ledict seigneur infant iceluy en non avoir peu entendre aucune chose l’an ensuivant fist retourner sesdictes caravelles et hommes en leur commandant qu’ilz passassent plus oultre qu’ilz n’avoient esté de .xxx. lieues & plus s’ilz povoient & que il les feroit tous riches & ainsi allerent & acomplirent le commandement dudit seigneur Lesquelz non trouvans autre chose que terre areneuse & seiche sans aucune habitation s’en retornerent Et ce non obstant croissoit de jour en jour audit seigneur Infant la voulenté de sçavoir qu’il y avoit en ses parties la/ & fist retourner le deuziesme an deux desdictes caravelles. Et a dire en brief les y fist tant aller par plusieurs ans qu’ilz vindrent trouver en aucune partie y estre habitation des arrabes qui vivent en iceulx desers Et apres plus oultre une generation de gens qui s’apelloit Azanegi/ lesquelz sont hommes grisastres c’est a dire qu’ilz ne sont ne blans ne noirs de laquelle generation cy apres sera faicte mention Et determineement se parviendra a descouvrir les terres des premiers mores. Et apres de temps en temps d’aultre generation desditz mores de diverses choses langues et coustumes & foy ainsi comme en ce present livre pourrez plus largement entendre.

¶ Des choses trouvees de loys de cadamosto en la navigation des terres des mores.

Chapitre .ii.

Adoncques moy loys de cadamosto me trouvant en nostre cité de venise en l’an de nostre seigneur mil quatre cens .liiii. estant de l’aage environ de .xxii. ans ayant navigué en aucunes parties de nostre mer mediterrane/ j’avoye determiné de vouloir tourner en flandres ou une aultresfoys avoye esté et c’estoit affin de gaigner aulcune chose pource que en ce temps la tout mon pensement estoit de travailler de toute ma possibilité pour acquerir aulcuns biens et finablement pour parvenir a aulcune perfection d’honneur. Et ayant deliberé de m’en aller comme j’ay dit je prins avecques moy si peu d’argent que j’avoye en ce temps la & me mis sus les nostres gallees qui vont en flandres et estoit capitaine le seigneur marchez en chevalier et ainsi avecques le nom de dieu nous partimes de venise avec lesdictes Galees l’an dessusdict. le .viii. jour d’aoust/ et navigasmes par noz journees en faisant noz demourances aux lieux acoustumez/ jusques a ce que nous arrivames en espaigne. Et nous trouvant a cause du temps contraire avec lesdictes Galees au chef de sainct Vincent que dient ainsi estre apellé/ de fortune nous sceusmes que ledict seigneur Infant don huric estoit logé en une ville voisine apellee reposera/ lequel seigneur ayant notice de nostre venue envoya a nosdictes galees ung sien secretaire qui avoit a nom anthoine gouzalles/ & avec luy avoit ung patrice des comtes qui se faisoit ainsi appeller lequel se disoit estre venitien & consel de nostredicte nation audict royaume de portugal/ comme se monstre estre par une sienne lettre de nostre seigneurie avec le seau pendant/ lequel patrice estoit pensionnaire dudict seigneur infant/ et vindrent a nosdictes galees par la commission de luy avec aulcunes monstres de succres de l’isle de la madere/ et du sang de dragon/ et autres choses tirees des lieux & isles apartenans audict seigneur/ et monstrerent desdictes monstres a plusieurs personnes et moy estant present demanday a ceulx qui estoient venuz en nosdictes galees de diverses choses & en les nous disant racomptoient comme cestuy seigneur infant avoit faict habiter nouvellement ladicte isle/ laquelle jamais au paravant n’avoit esté habitee/ laquelle produisoit lesdictz sucres & sang de dragon et autres bonnes choses utilles/ & que cecy c’estoit riens au regard aux autres plusgrandes choses que ledict seigneur faisoit en nous declarant que depuis certain temps en ça il avoit fait naviguer la mer ou jamais autres n’avoient navigué & descouvert terre de diverses generations estranges/ dans lesquelles se trouvoit choses merveilleuses/ & ceulx qui avoient esté la en celle part avoient avec celle gent nouvelle/ faict de gros gaingz par ce que de ung solz ilz en faisoient .vii. ou .x. & de cecy ilz disoient tant & tant de choses/ que de moy mesmes entre les autres j’en estoie esmerveillé. & cela me fist venir la voulenté d’y aller & demanday se ledict seigneur infant y laissoit aller tous ceulx qui vouloient aller/ lesquelz me respondirent que ouy en faisant de deux choses l’une La premiere que celuy qui y vouldroit aller & armer la caravelle a ses despens en retournant la marchandise il seroit obligé a payer par droit de coustume audict seigneur la quarte partie de toutes les choses que ilz aporteroient desdictz lieux & terre & les autres trois parties seroient a lui La .ii. ou que ledict seigneur armeroit ladicte caravele a ses despens/ & au retour d’icelle iceluy seigneur prendroit la moytié de tout ce qui seroit dedans. Et au cas que ladicte caravelle retournast vuide/ tous les despens tomberoient au dommaige dudict seigneur/ et cecy nous fut .iii. declairay qu’on ne s’en povoit retourner sans faire grans gaingz & que si aulcun de nostre nation y vouloit aller ledict seigneur l’avoit tresagreable/ & luy donneroit toute faveur/ pource qu’il presumoit que esditz pays se descouvreroit l’espicerie et aultres bonnes choses et les venitiens en estoient plus congnoissans que autre nation Lesquelles choses ouyes par moy/ me deliberay de aller avec les dessusdictz pour parler audit seigneur infant/ ce que je feis/ et pour abreger il me conferma tout ce que lesditz messaigiers avoient dit estre vray en me promettant que se je y vouloye aller de me faire tous les plaisirs et proffitz qu’il luy seroit possible Lesquelles choses par moy ouyes me voyent jeune & bien disposé pour soustenir toutes fatigures & labeurs et desirant de veoir le monde et choses que jamais aucun de nostre nation n’avoit veues/ esperant aussi que pour m’y en aller acquesteroye honneur & prouffit deliberay du tout d’y vouloir aler & apres que je fus informé de la marchandise & choses qui m’estoient necessaires/ m’en revins a nostre galee/ & consigné toutes mes choses que je avoye pour le present a ung mien parent acheptay des choses estans en ladicte galee lesquelles je veis m’estre necessaires pour faire mondit voyage/ et ainsi descendy en terre/ et lesdictes galees suivirent leur voyage.

¶ Le temps que partirent les caravelles et ausquelz vens ilz naviguerent.

Chapitre .iii.

¶ Moy estant demouré en la maniere dessusdicte au chief de sainct Vincent/ ledit seigneur infant eut grant joye de ma demourance/ et si me fist grant feste Et depuis plusieurs jours il me fist armer une caravelle qui portoit environ quatre vingtz neuf botes de laquelle estoit patron Vincent dies natif de lagus/ qui est ung lieu apres ledit chef de sainct Vincent a quatre lieues/ et icelle caravelle fournie de toutes choses necessaires pour nostre voyage avec l’aide de dieu et en bonne adventure partismes dudict chef sainct Vincent le .xii. jour de mars Mil quatre cens cinquante cinq/ avec ung vent grec et la transmontane en poupe/ en dressant nostre chemin vers l’isle de la madere en allant a la carte de Garbin vers ponent a la voye droicte le .xxv. jour dudit moys arrivasmes a l’isle du port sainct environ le mydy qui est distant dudict chef sainct Vincent environ six vingtz lieues.

¶ De l’isle du port sainct avec la description des choses qui y naissent et mesmement du sang de dragon en quelle maniere il se faict.

Chapitre .iiii.

Ceste isle de port sainct est bien petit de chose/ et a de tour environ cinq lieues/ & a esté trouvé depuis .xxvii. ans en ça de par les caravelles dudict seigneur infant/ et l’a faicte habiter de portugalois & jamais au paravant n’avoit esté habitee/ & d’icelle est gouverneur barthelemy pastoureau homme dudict seigneur. Ceste isle porte froment & autres blez pour son usage/ elle est habondante de chair qu’on mengeue & de pourceaulx sauvages & de infiniz congnins/ et en icelle se trouve le sang de dragon lequel naist de aucuns arbres qui y sont lequel sang est une gomme que boutent lesdictz arbres en certain temps de l’an/ & se tire en ceste maniere les habitans de ladicte isle frappent aucuns coups d’une cognee au pied des arbres en faisant des taillades & l’an ensuivant dedans certain temps lesdictes taillades boutent une gomme/ laquelle on cuist & la purge l’on/ & ainsi se faict le sang & lesdictz arbres produisent ung certain fruit qui au moys de mars est meur & est tresbon a menger. & a la similitude de cerises mais il est jaulne & notez que a l’entour de ladicte isle se trouve de grandes pescheries de dorades vielles et autres bons poissons/ ceste isle n’a point de port mais elle a bon stage couverte de tous vens sauf que du levant & seroch/ & de ostro & seroch avec telz vens on n’y seroit pas bien asseuré/ du demourant on y est bien mais qu’il y ait ung bon gouverneur. Ceste dicte isle a a nom port sainct et faict le meilleur miel que je croy qui soit au monde et cire en grande quantité.

¶ De moncrich port de l’isle de la madere.

Chapitre .v.

En apres le .xxvii. dudict moys de mars partismes de ladicte isle de port saint/ & en iceluy mesme jour arrivasmes a moncrich qui est ung des portz de la madere laquelle est distante de celle de ce port sainct de dix lieues/ & avec ung temps cler se voyent l’ung l’autre.

¶ De l’isle de madere et en quelle maniere elle fut premierement habitee et de sa fertilité.

Chapitre .vi.

Ceste isle de madere depuis .xxiiii. ans en ça l’a faicte habiter le devant dit seigneur infant des propres portugallois et jamais au paravant n’avoit esté habitee. Et d’icelle a faict gouverneur deux de ses chevaliers/ desquelz l’ung a nom tristant scera et l’autre s’apelle jehan gouzailles et cestuy tient l’autre moytié du costé de fouzalle/ & s’apelle l’isle de madere qui vault a dire l’isle de bois pource que quant premierement elle fut trouvee par les gens dudict seigneur il n’y avoit une seulle paulme de terre qu’il ne fust plaine de grans boys/ et fut necessaire a ceulx qui premierement y voulurent habiter qu’ilz y missent le feu lequel par un temps alla par ladicte isle ardant & fut si grant que ledit jehan gouzale .iv. qui alors se y tenoit fut contraint sa femme/ ses enfans & a tous autres qui estoient fuyr la fureur dudict feu/ & eulx mettre en l’eaue dans la mer/ en laquelle ilz estoient jusques a la gorge & y furent .ii. jours & .ii. nuitz sans menger ne boire ou autrement ilz eussent esté mors en apres que ledict feu eut bruslé beaucop dudit bois ilz firent labourer la terre Ceste isle est habitee de .iiii. pars. la premiere partie se appelle Moncrich la .ii. saincte Croix. la .iii. la Fouzalle la .iiii. chambre des eufz/ et combien qu’elle ait autre habitacion ceulx icy pourtant sont les principalles/ & pourra faire environ .viii. cens hommes pour tout/ desquelz en sera cent a cheval Ladicte isle a de tour dix lieux elle n’a aucun port ferme mais tresbons stages/ & a pays tresfructueux & habondant & posé qu’elle soit pleine de montaignes comme est la Cicille neantmoins il pevent cueillir .ccc. miliers de froment aucunesfois plus aucunesfois moins. au commencement la terre souloit rendre .lx. & .lxx. & pour le present elle est reduicte a .xxx. & .xl. pource que la terre en la labourant de jour en jour elle se amoindrist de porter/ le pays est copieux d’eau de fontaines gentilles/ & a environ huit petis fleuves non trop grans qui traversent ladicte isle sur lesquelz fleuvez sont faictes aucunes siez qui continuellement ouvrent en boys & font des tables de beaucoup de sortes lesquelles fournissent tout portugal & autres lieux desquelles tables je fois estime de .ii. sortes l’une est de cedre qui a grant odeur & semblable au cipres & s’en faict tables larges et longues et cassez & autres ouvrages l’autre sorte si est de nassus. Nassus est ung arbre qui s’appelle en ceste sorte & a proprement parler c’est yf/ de quoy on fait les arcs/ lesquelz sont de couleur de rose. En ceste isle pource qu’elle est ainsi baignee de plusieurs eaues ledict seigneur a fait mettre une grande quantité de cannes lesquelles portent le sucre et font la quantité de .ccc. quintaux de une cuycte/ & par cecy je puis comprendre que pour le temps advenir il s’en fera beaucoup plus pource que c’est un pays moult convenant a faire celle chose/ car l’air y est chault & jamais n’y fait froit/ & pource qu’elle est habondante en eaues il s’i faict beaucoup de confitures/ et s’i faict cire/ & miel/ mais nonpas en quantité et s’i faict des vins selon l’habitation nouvelle. Et se naviguent lesdictz vins/ lesquelz sont de plante de malvoisie que ledit seigneur infant envoya querre en candie & rendent assez bien pour le pays estre ainsi bon/ les vignes produisent plus raisins que fueilles & les grappes sont tresgrandes environ de .iiii. paulmes qui est la plus belle chose du monde qu’on sçauroit veoir & y a aussi des raisins noirs de pergolie sans aucuns grains & sont en toute perfection & en ladicte isle se faict des arcs d’if tresbeaulx/ et bons/ l’on en navigue en ponent et s’en faict de tresbeaux arbiers d’arbalestre il se trouve en ladicte isle paons sauvaiges desquelz en y a de blancz et perdrix et aultre sauvagine n’ont fors qu’il y a force porcz sauvaiges aux montaignes. Et ay ouy dire aux hommes de ladicte isle dignes de foy/ que au commencement se trouvoit grande habondance de coulons/ et encores en y a il/ lesquelz on prenoit en ceste façon on mettoit au bout d’ung baston une corde en façon d’ung laz & on mettoit ladicte corde dans le col d’ung coulon/ et en ceste façon on le tiroit des arbres & le coulon n’avoit point de paour & c’estoit pource qu’il ne congnoissoit quelle chose fust l’homme/ et n’avoyent point de coustume d’estre en ceste sorte chassez et vous le povez croire pource que en une autre ysle nouvellement trouvee ay ouy dire qu’il a esté fait le semblable & est ladicte ysle habondante de chair & sont en icelle beaucop de riches gens selon le pays pource que c’est tout ung jardin et ce qu’ilz recueillent en ladicte ysle c’est or. En cestedicte ysle y a des monasteres de freres mineurs observarins & des hommes de tressaincte vie et ay ouy dire a hommes dignes de foy y avoir veu les raisins meurs a la sepmaine saincte.

¶ Des canaries qui sont dix isles avec leurs noms.

Chapitre .vii.

Nous partismes de la dessusdicte isle de la madere suyvant nostre chemin par la voye de ostro/ pervenimes aux isles des canaries qui sont distantes a ladicte isle de la madere environ .lxiii. lieux desdictes isles canaries sont .vii. habitees et trois desertes/ les habitees sont deux icy. La premiere a nom lauzarette. La seconde forte venture. La tierce grancamaria La quarte teneriffe La quinte guiemere La sixiesme la palme. La septiesme le fer en notant que ses sept isles les quatre sont habitees de crestiens C’estassavoir lauzarete forte venture cité Giemere ou voirement la gomere et le fer et les aultres troys sont de ydolatres le seigneur de toutes ces ysles habitez de crestiens se nomme Ferrare & est gentil homme et chevalier natif de la cité de sebille & est subjet au roy d’espaigne/ le vivre des crestiens cy est pain d’orge & chair et laict ilz en ont assez/ et principalement de chievre ilz n’ont gueres de vin ne point de forment si d’autre part ne leur est porté ilz ont eu peu de fruitz et quasi autres choses bonnes n’ont il en sesdictes isles se trouvent habondance d’asnes sauvages speciallement en l’isle du fer & sont lesdictes ysles loingtaines l’une de l’autre de dix ou douze lieues/ toutes sont a la fille l’une apres l’autre et se garde la premiere avec la derniere comme le levant et ponent.

¶ Des choses qui naissent dedans lesdictes canaries.

Chapitre .viii.

.v. Il se tire de cesdictes isles des canariens grande quantité d’une herbe qui s’appelle oricelle/ De laquelle herbe on tainct les draps/ laquelle arrive en cades au fleuve de sibillia et dela se navigue par levant et par ponent/ il s’en tire aussi bonne quantité de cordouans qui sont gros & en toute perfection/ et du suyf assés et encores de bons fromages/ les habitans de ces quatre isles de crestiens sont purs canaries et sont differens de langaige & peu se entendent l’ung l’autre/ lesquelles isles n’ont aulcun lieu muré/ sauf les villaiges/ mais ilz se sont retirez es montaignes pource qu’elles sont tresgrandes et haultes/ & y a des passages si fors que tout le monde ne sçauroit prendre fors que par siege/ & la rotundité desdictes quatre isles n’ont gueres moins de .xxv. lieues et les aultres trois isles habitez de ydolatres sont plus grandes et beaucoup mieulx habitees & specialement les deux/ c’estassavoir la grande canarie qui fait environ .viii. mille ames et teneriffe qui est la plusgrande de toutes fait environ .xv. mille ames la palme fait peu de gens/ et a veoir c’est une tresbelle ysle Et notez que ces trois ysles pource qu’elles sont bien habitees elles ont beaucop de gens de deffence & aussi qu’il y a montaignes treshaultes & lieux perilleux & fors ne peurent jamais estre subjuguez des crestiens Et de teneriffe qui est la plus habitee et d’en faire mencion. Car c’est la plus haulte ysle du monde et a mon jugement en temps cler l’on la peult veoir de .lx. ou .lxx. lieues D’espaigne pource qu’il y a une poincte au meilleu de ladicte ysle en maniere d’ung dyament/ qui est treshaulte et continuellement art. Et cecy se peut entendre des cretiens qui ont esté prins en ladicte isle/ et afferment ladicte poincte estre haulte depuis le pié jusques a la cime de .xv. lieues de portugal qui sont .xxv. lieues des nostres. En cestedicte isle entre eulx ilz ont .lx. seigneurs appellez ducz/ ilz ne sont pas seigneurs par nature comme succede le filz au pere/ mais qui peut est seigneur/ et font aucuneffois entre eulx guerre et se tuent comme bestes/ pource qu’ilz n’ont point autres armes que pierres et massues en maniere d’ung dard. Et aucuns y mettent une corne aguisee en maniere de fer/ et avec cela ilz frappent pource qu’ilz n’ont point de fer ny armes & vont tousjours nudz fors que aucuns se mettent une peau de chievre l’une devant et l’autre derriere & oignent leur chair du sain de bouc composé avec le justz de aulcunes herbes pource que cela engresse leur peau et deffend du froit combien qu’il y face peu de froit/ pource qu’il est vers le midy/ ilz n’ont maisons ny de muraille ny de paille ilz demourent es grotes ou es cavernes de la montaigne/ ilz vivent d’orge/ de chair/ de laict de chievre/ ilz ont habondance de aucuns fruitz speciallement de figues/ ilz recueillent leur blé des le moys de mars et de apvril/ ilz n’ont point de foy ny congnoissent dieu/ mais les aucuns adorent le soleil les autres la lune & les autres les planettes/ et ont nouvelles fantasies de ydolatrie les femmes ne sont communes mais est licite de sçavoir a chascun d’en prendre autant qu’il en veult et ne prendroyent point nulle femme vierge se premierement elle ne avoit dormy avec sondict seigneur une nuyt et cela le reputent pour grant honneur. Et si vous disiés dont sçavez vous telles choses vous sera respondu que les habitans des quatres isles crestiennes ont de coustume avec aulcuns de leurs festes de venir a cesdictes isles de nuyt pour assaillir ces canariens ydolatres & aulcuneffois y prennent des masles et des femelles et puis apres envoyent en espaigne a vendre pour esclaves/ et entrevient aulcuneffois qu’il en demoure de ceulx qui y vont dans lesdictes festes lesquelz lesdictz ydolatres ne font mourir/ mais leur donnent pour office de tenir les chievres et les escorcher et faire chair et cela tiennent ung tresvillain office d’estre bouchier & pour les despriser leur font faire jusques a ce qu’ilz s’en puissent resjouyr en aulcune maniere. Et cesdictz canariens ydolatres ont une autre coustume que quant aulcun de leurs seigneurs entre nouvellement en sa seigneurie aucun d’eulx se offre a mourir pour honnorer la feste/ et viennent tous a une certaine valee bien parfonde. Et apres qu’ilz ont faict aulcunes leurs cerimonies et dit aulcunes parolles celuy qui veult mourir pour ledict seigneur se gecte du hault en bas en celle vallee et se met en pieces et apres cela le seigneur demeure obligé faire honneur et donner des biens aux parens du mort. Et combien que celle coustume leur soit brute et bestialle/ touteffoys elle se afferme estre vraye Encores ces hommes canariens sont agiles & grans saulteurs et saultent de pierre en pierre deschaussez comme chevreulx & font saulx qui ne sont pas de croire/ & encores tirent une pierre si roidement qu’ilz en donnent la ou ilz veulent/ ilz ont ung bras si fort qu’ilz mettent ung bouclier en piece. La progenie de ces gens icy se depingent sur leur peau/ aussi bien les masles comme les fumelles d’aucun just d’herbes verdes & jaulnes & tiennent que semblables couleurs soit une belle devise/ comme nous faisons de beaulx habillemens. Esquelles isles de canariens moy loys dessusdit fus en deux d’icelles : c’estassavoir en l’isle de gomere/ et en celle .vi. du fer qui sont des crestiens Aussi fus a l’isle de la paulme mais en ceste la je n’y descendy point pour faire nostre voyage.

¶ La description du chef blanc avec les isles plus prochaines.

Chapitre .ix.

Nous partismes de ceste isle en navigant toute la voye par ostro vers l’ethiope/ et arrivasmes en peu de jours au chief blanc lequel est distant de ceste isle de Canarie environ cent quatre vingtz lieues. Et est a noter que en partant de ladicte isle pour venir vers le chef blanc on coustoye la riviere de l’affricque. Car en allant par ostro on s’en vient demourer a la main gauche combien que l’homme aille courant au large et n’a point de vent de terre pource que ladicte isle des canariens est dessoubz ladicte coste en la mer vers le ponent auquel va l’homme courant au large de terre jusques a ce qu’il ait passé a tout le moins les deux tiers du chemin qui est de ladicte isle jusques audit chef blanc et puis apres on se destourne a main gauche avec la coste jusques a ce qu’on ait veu terre pour passer non ledict chef blanc sans le recongnoistre pource que oultre ledict chef ne se voit terre aulcune jusques au grant chemin plus avant & se mect la coste dans ledict chef et faict ung goulfe qui s’appelle la forme d’argin lequel nom D’argin descend de une isle qui est mise dans ledit goulfe laquelle est appellee par ceulx du pays argin et entre dans ledict goulfe plus de douze lieues & demye et y a la encores trois isles lesquelles par les portugalois ont esté nommez/ c’estassavoir l’une blanche pource qu’elle est areneuse/ l’autre la garze pource que ceulx qui premierement la trouverent ce furent lesdictz portugalois y trouverent si grant multitude de ces oyseaulx marins que ilz en chargerent deux barches de leurs caravelles La troiziesme isle apellee est l’isle des cuyrs/ lesquelles trois isles sont petites areneuses et non habitees et en celle d’argin se trouve assez d’eaue doulce et aux aultres non. Et est a noter que l’homme en partant hors de l’estroict de gilberterre/ pour venir vers ceste Ethiope ne trouve aulcune habitation de barbares jusques au chief de chantin/ et dudict chef toutesfois par ladicte coste vers ledit chef blanc se commencent les terres areneuses qui est le desert qui confine a la partie de la transmontane avec les montaignes/ lequel ferme ceste nostre barbarie deça de Thunes et de tous ces lieux de la coste lesquelles montaignes lesdictz barbares appellent Sarra & de la part ostro ledit desert se confine avec les mores de la ethiope basse/ & est tresgrant desert qui dure a traverser a ung bon chevaucheur cinquante ou soixante journees et est en aucuns lieux moindre ou plus grant & cestuy desert vient boyre sur la mer occeane de la coste laquelle est toute areneuse et blanche et seiche et est terre blanche toute esgalle et ne se monstre point estre plus hault en ung lieu qu’a l’autre jusques audict chef blanc pour autant que les portugaloys qui premierement la trouverent veirent qu’ilz estoient areneux & blancs & sans signe d’erbe ne d’arbres/ aulcuns l’appellent le chef blanc & est ung tresbeau chef pour estre en triangule. C’estassavoir en visaige et fait trois bouches larges loingtaines l’une de l’autre environ demye lieue En toute ceste coste se trouvent tresgrandes pescheries de divers et tresbons poissons & grans a la semblance des nostres que avons de deça et aussi d’aultre maniere. Audict goulfe d’argin par tout y a peu d’eaue et y sont aulcunes secques de sablon et aultres de pierre.

Vous qui lirez ce present livre quant desormais trouverez secques/ entendez que secques c’est ung roc qui est dedans la mer lequel est couvert de bien peue d’eau/ & est une chose dangereuse pour lez navires/ car si elles y heurtent elle se rompent et la est la mer et y a grans cours d’eaue par lequel on ne navigue point que de jour en tastant si l’eaue est parfonde & avec l’ordre de ladicte eaue/ pource qu’en cedit goulfe se rompirent deux navires sur lesdictes secques. Et est assavoir que cestuy chef de Chantin se garde avec ledit chef blanc vers ostro & la transmontane & est de sçavoir que derriere icelluy chef blanc dedans la terre est un lieu apellé par nom Hoden/ et y a jusques la six journees de chameau/ lequel lieu n’est point muré/ mais est habité des arrabes et y a port ou arrivent les caravannes qui viennent de Tambutu et d’autres lieux des mores qui veulent venir a nostre barbarie de deça et les vivres des habitans de ce lieu la si est de datiles & orge desquelz ilz en ont aulcunement/ mais non pas a souffisance/ et boyvent laict de chameaulx & des autres bestes pource qu’ilz n’ont point de vin ilz ont aussi des vaches et chievres mais non pas trop pource que la terre est seiche et y a des beufz et vaches mais petiz au regard des nostres. Ces gens icy tiennent la loy de macommet & sont tresennemys de jhesucrist et jamais ne sont fermes & vont tousjours vagans par iceulx desers Ce sont hommes qui vont aux terres des mores et viennent aussi a nostre Barbarie de deça et sont aucuns de bonne generation Et ont grande habondance de Chameaulx .vii. et avec iceulx ilz conduisent leur marchandise et argent de la Barbarie et aultres choses a Tambutu et autres terres desdictz Mores. Et dela ilz tirent l’or et graine de Paradis que ilz admenent de deça. Et sont hommes bruns & vestent aulcunes petites cappes sur la chair avec une tresse rouge sur le chef et ainsi se habillent leurs femmes sans chemise. Les hommes portent en leurs testes ung couvrechef a la façon Moresque & vont tousjours deschaulx. En ces lieux la areneux tousjours se trouve des Lyons Leopardz/ et des oeufz d’austruche Desquelz ay mengé plusieurs foys et sont bons. Et encores est de sçavoir que ledict seigneur de Portugal a faict de ceste isle D’argin ung repaire pour les crestiens en ceste maniere que nul ne peult entrer dedans ledict Goulfe pour marchander avec les dessusditz arrabes fors ceulx qui ont leur repaire en ladicte isle d’argin & y tiennent continuellement leurs facteurs qui achaptent et vendent avecques lesdictz arrabes qui viennent a la marine en faisant marchandises de diverses choses/ comme de draps/ toilles/ argent. tapiz/ & aultres choses et sur tout forment/ & pource qu’ilz sont tousjours affamez ilz donnent a l’encontre des esclaves noirs. A ceste cause ledict seigneur infant a faict faire ung chasteau en ladicte isle D’argin pour conserver a perpetuité telz traffigues et pour icelle occasion les caravelles de portugal tout l’an vont et viennent a ladicte isle D’argin sesdictz arrabes d’avantaige ilz ont beaucoup de chevaulx barbarisques desquelz ilz font marchandise et les conduisent es terres des mores et les vendent aux seigneurs lesquelz leur donnent a l’encontre des esclaves/ ilz conduisent semblablement aux terres desditz mores ouvraiges de soye moresque qui se font en Grenate et a thunes de barbarie/ et aussi y conduisent argent et beaucop d’aultres choses a l’encontre desquelles ilz ont des esclaves et de l’or lesquelz arrivent audit port et lieu de hoden et de la se partirent et une partie s’en va aux montaignes de Barche et de la arrivent en sicille/ et une autre partie se conduit a cestuy lieu de argin et les vendent aux portugallois qui y ont leur repaire en maniere que chascun an s’en tire par lesditz portugallois plus de mil esclaves vous declairant que cestuy traffigue a esté ordonné depuis ung peu de temps en ça/ car ceulx de portugal qui souloient venir avecques leurs caravelles en cedit goulfe D’argin descendoient en terre de nuyct et assailloient aulcuns villaiges de pescheurs et encores couroient par la terre en maniere qu’ilz prenoient desdictz arabes aussi bien masles que femelles et les menoyent a Portugal pour vendre et ainsi le faisoient par l’autre costé et plus avant que tient ledict chef blanc jusques au fleuve de senega lequel est ung grant fleuve et depart une generation qui s’appelle azenaghi du premier royaulme des mores lesquelz azenaghi sont hommes grisastres et si sont plus bruns que grisastres et habitent en aucuns lieux de ladicte coste qui est oultre le chef blanc et iceulx arrabes par le desert se confinent audit hoden & vivent semblablement de dates orges et laict de chameaulx/ mais ceulx qui sont plus pres de la terre desdictz mores vivent de millet et d’aultres legumes Ce sont hommes de peu de viande car en ayant ung peu de farine d’orge moullue ilz se maintiendront frais tout ung jour & ne sont point gens de provision parquoy bien souvent les portugalois en prenoient et les vendoient pour esclaves & iceulx icy sont meilleurs esclaves que ne sont pas les mores/ mais quoy que ce soit depuis ung bien peu de temps en ça tout s’est reduict a paix et au faict de la marchandise & ne permet ledit seigneur infant qu’a nulluy d’eulx soit faict aucun dommaige pource qu’il espere en conversant les crestiens avec eulx on les pourroit remettre a nostre foy pource qu’ilz ne sont pas bien fermes en la foy machometane/ car ce qu’ilz en ont ilz ne l’ont que par ouy dire. Et est a noter que ceulx icy azenagi ont une coustume bien estrange pource que continuellement ilz portent ung couvrechief alentour de la teste qui leur vient a travers du visaige et leur couvre la bouche et partie du nez et disent que la bouche est une brute chose qui continuellement rend aulcune ventosité et mauvaise odeur et pourtant elle se doit tenir couvert en la voullant comparer au ciel et que ses deux parties se veullent couvrir et est vray qu’ilz ne descouvrent jamais leur bouche sinon quant ilz mengent/ j’en ay veu plusieurs mais jamais je ne les veiz que ilz n’eussent leurs bouches cachees sinon quant ilz mengent/ Entre eulx ilz n’ont point de seigneur fors ceulx qui sont les plus riches sont aucunement des autres plus honnorez et obeiz/ toutesfoys ilz sont povres gens et mensongiers larrons plus que gens de tout le monde & grans traistres et sont hommes de commune grandeur mais ilz sont maigres et portent leurs cheveulx pendans sur l’espaule a la maniere d’allemens Mais ilz ont les cheveulx noirs & oignent tous les jours leurs cheveulx avec la gresse de poisson et fleurent tresmal & cela ilz ont par grande gentillesse.

.viii.

¶ Commutation de sel pour autant d’or et le long chemin qu’il fault faire pour aller querir/ et la longue distance.

Chapitre .x.

Si ont ilz encores de coustume qui est a priser que leurs femmes soyent grasses et que sur tout elles ayent grandes tettes et pour cela quant elles sont en l’aage de .xvii. ans ou environ ilz leurs rompent les tettes par la moytié par force avec une corde en maniere que elle leur viennent pendillant/ en bas/ et ainsi qu’elles enfantent elles le font une autreffois parquoy elles sont treslongues c’est une chose tresabhominable a veoir. Et est assavoir que jamais n’avoyent eu notice d’aultres crestiens que desditz portugaloys/ lesquelz leur firent guerre par l’espace de quatorze ans ou environ en prenant plusieurs de leurs comme j’ay devant dit et les vendoyent pour esclaves vous certifiant que quant ces gens icy eurent la premiere veue des voilles ou navires sur la mer jamais au paradvant eulx ny leurs predecesseurs n’en avoyent veu et croyoyent que ce feussent grans oyseaulx ayans aesles blanches qui vollassent/ et fussent venuz d’aucun estrange pays et fussent la arrivez & apres que lesdictz Portugalois abbaissoyent leurs voilles pour descendre a leurs rivages aulcuns d’eulx pensoyent que desdictes caravelles feussent poissons en les voyant de loing et aulcuns disoyent que c’estoient fantosmes qui alloyent de nuyt et avoient tresgrant paour et c’estoit pource que les caravelles se trouvoient en peu d’espace de temps en plusieurs lieux et estoyent assaillis des hommes qui estoyent dedans/ et mesmement de nuyt/ et aulcuneffois faisoyent leurs assaulx a .xxv. lieues loing l’ung l’autre/ & aucuneffois moins selon qu’il estoit ordonné entre eulx mariniers Et aussi ainsi que les vens les servoyent aucuneffois plustost ça/ plustost la et disoyent entre eulx si ces gens icy estoyent creatures humaines comment pourroyent ilz faire tant de chemin en une nuyct que nous ne sçaurions faire en trois Ilz n’entendoient point la maniere de naviguer parquoy du tout tenoyent que ce fussent fantosmes et de cecy j’ay esté certifié par plusieurs portugalois lesquelz en ce temps la pratiquoient iceulx rivaiges avec leurs caravelles & semblablement de ceulx qui avoyent esté prins en ce temps la par lesditz portugalois. Et par cecy povez considerer comme ces gens cy estoyent nouveaulx aux choses nostres quant ilz avoyent telle oppinion Sur ledict port de Edon plus avant en terre de six journees y a ung lieu qui s’appelle Tagaza qui vault a dire en nostre Langue chargeur ou se charge tresgrande quantité de sel de pierre lequel se charge chascun an avec tresgrandes caravanes de chameaulx appartenans ausdictz arrabes & Azanaghi et se devisent en plusieurs parties et passent par Tambutu & vont a melly empire des mores si vous ditz que incontinent que ledit sel est arrivé audit empire que en huyt jours il est tout vendu et se vent la charge au pris de deux cens mitigali ou .ccc. selon qu’elle est & ung mitigal vault environ ung ducat Et puis apres avec leur or ilz s’en retournent en leurs maisons Vous advisant que cestuy empire de Melchy/ si est tant chault et aussi les vivres pour les bestes ayans quatre piedz y sont si contraires que la plusgrande partie des bestes qui vont avec ycelle Caravane de cent n’en retourne pas vingt cinq. Et audict pays de Melly ilz n’ont aucunes bestes de quatre piedz/ pource qu’elles se meurent toutes & encores plusieurs desditz Arrabes et Azanaghi audict lieu y deviennent malades et les aultres y meurent/ et cecy est pour la grande chaleur Et dit l’on que de Tagaza a Tambutu y a quarante journees de cheval et de Tambutu a melly environ trente J’ay demandé ausditz arrabes et Azanaghi que font les marchans de melly de cestuy sel/ lesquelz m’ont faict responce que une petite quantité dudit sel s’en consumme entre eulx en leur pays pource que eulx qui sont soubz le meridional ou equinoctial ou continuellement est autant de jour que de nuyt ou environ auquel lieu est la plus extresme chaleur en certain temps de l’an que leur sang se pourrist par maniere que si n’estoit ledit sel ilz mourroyent La medecine que ilz font si est ceste/ ilz prennent ung petit dudit sel lequel ilz destrempent en une escuelle avecques ung petit d’eaue laquelle ilz boivent chascun jour/ et avecques cela ilz disent qu’ilz se sauvent et que la reste dudict sel ilz le mettent en pieces et les font aussi grandes comme ung homme les pourroit porter habillement sur la teste avec ung grant engin/ pource qu’ilz ont apporter grant chemin. Et est assavoir que quant ledict sel arrive audict Melly avec les chameaux il est apporté en deux pieces pource que plus facillement on charge lesdictz Chameaulx qui l’aportent. Et puis apres a Melly les Mores le rompent en plusieurs .ix. pieces pour le porter sur la teste/ Si que chascun homme en porte une piece Et ainsi se faict ung grant excercice de gens a pied qui portent ledit sel ung grant chemin. En notant que ceulx qui le portent ont deux fourches/ lesquelles quant ilz se veulent reposer ilz les fichent en terre et sur icelles ilz mettent ledict sel/ et en ceste maniere ilz le portent jusques sur une certaine eaue Laquelle on ne m’a sceu dire si elle estoit douce ou sallee pour sçavoir si c’estoit Fleuve ou mer pourtant il se tient que ce soit mer/ et convient a sesdictz mores conduire ledict sel en la maniere que dessus/ pource que ilz n’ont point de chameaulx ny aultres bestes pour charger/ pource que la ilz ne pevent vivre Et pensés combien il fault d’hommes a porter a pied ledict sel. Et combien ilz sont de gens qui le consumment par chascun an.

Alors apres que ledict sel est apporté sur ladicte eaue/ lesdictz mores de Milly tiennent ceste façon de faire. Trestous ceulx de qui est ledict sel font ung mont a ladicte fille/ et marquent chascun le sien de son seing/ et apres que ilz ont faict tout cela tous ceulx de ceste Caravane se tirent en derriere demye journee. Et puis tout cela fait il vient une aultre generation de mores qui ne se veult laisser veoir ny parler/ et viennent avecques aulcunes leurs Barcques grande/ et semble qu’ilz yssent hors de aulcunes ysles et descendent et apres que ilz ont veu le sel ilz mettent une quantité d’or a l’encontre de chascun mont/ et puis tournent en derriere en laissant trestout l’or et le sel et puis apres qu’ilz sont partis viennent les mores de melly a qui appartient le sel et si la quantité de l’or leur plaist ilz prennent l’or et laissent le sel/ et s’il ne leur plaist ilz laissent l’or avecques le sel et de rechief s’en retournent en derriere. Et puis apres viennent les aultres mores a qui appartient l’or/ et celluy mont qu’ilz trouvent sans or/ ilz le prennent et aux aultres mons ou est encore l’or ilz tournent a mettre plus d’or se leur semble ou voirement ilz levent l’or et laissent le sel et en ceste maniere ilz font leur marchandise sans veoir l’ung l’autre et parler/ et cela est par une longue et antique coustume Et combien que cecy semble chose moult estrange a le croire neantmoins je vous certifie avoir fait information avec plusieurs marchans tant D’arrabes comme de azanaghi et encores de personnes desquelz l’homme y doit adjouster foy.

¶ Comme l’empereur de melly voulut congnoistre l’ung de ces marchans.

Chapitre unziesme.

Vous serez advertis que j’ay bien voulu dire a ces marchans que je estoye esbahy comme povoit estre que l’empereur de melly qui estoit si grant seigneur des mores ainsi qu’ilz disent que il n’avoit peu trouver maniere d’entendre/ ou par amour/ ou par autre voye quelz gens estoient ceulx la qui ne se vouloyent laisser veoir ne parler/ il me fust respondu qu’il n’y avoit pas grant temps que ung Empereur de Melly se delibera du tout de en vouloir avoir quelque ung d’eulx entre ses mains. Et apres que il eut eu conseil sur ceste chose qu’il debvoit faire partir aulcuns de ses gens peu de jours avant que partist la caravane dudict sel. Et que ilz allassent jusques au lieu la ou on faict les mons dudit sel/ et quant ilz seroyent la arrivez qu’ilz fissent aulcunes fosses et cela faict qu’ilz se mussassent dedans icelles/ et quant ce viendroit que ilz viendroyent a mettre leur or aupres le mont du sel qu’ilz saillissent desdictes fosses/ et que ilz les assaillissent/ & en prinssent deux ou trois et que soubz bonne garde ilz les menassent oudict melly et pour brief parler ainsi fut faict et en prindrent quatre/ et les aultres s’en fouyrent Et d’avantaige des quatres ilz en laisserent aller troys/ et leur sembloit que l’ung d’eulx pourroit satisfaire a la voulenté dudict empereur. Et aussi que ilz ne fussent en la maulvaise grace de iceulx mores. Et a celluy qui fut prins luy fut parlé de divers langaiges de mores. Et jamais ne voulut respondre ne parler/ ne jamais ne voulut menger/ et vesquit quatre jours/ & puis apres mourut A cause dequoy les oppinions de ces Mores de Melly tiennent pour l’experience que ilz sont muetz/ & les aultres dient que ilz le font par despit Ceulx dudict Melly furent moult fort marris quant ilz virent que celluy que ilz avoyent prins estoit mort/ pource qu’ilz n’avoyent peu satisfaire a la voulenté de leur empereur qui estoit qu’il en vouloit veoir ung en vie. Et puis apres quant ilz furent retournez audict Melly ilz racompterent par ordre audit empereur le fait comme il estoit allé lequel en eut assez de desplaisir/ et leur demanda de quelle stature ilz estoyent/ ilz luy respondirent qu’ilz estoyent hommes tresnoirs et bien formez de corps/ & plus grant d’une paulme qu’ilz ne sont. Et que ilz ont la levre de dessoubz plus large de une paulme et qu’elle vient jusques sur la poictrine et est gros et rouge .x. en monstrant par la part dedans qu’il boutoit hors le sang et la levre de dessus estoit petite comme la leur/ pour laquelle defformité de leurs levres ilz monstroient les jencives et les dens lesquelles dens ilz dient estre plus grandes que les leur or ont audictz costez deux grans dens & ont les yeulx gros & noirs qui sont terribles quant ilz regardent et que la jencive boutoit le sang ainsi comme la levre et depuis n’a esté aucun empereur qui ce soit voulu entremettre de sçavoir quelz gens ce sont pource que pour la mort de cestuy seul demourerent par trois ans qu’ilz ne voulurent oncques retourner avec leur or pour avoir du sel acoustumé. Et jugent que leurs levres se pourrissent pour estre en pays plus chault que ne sommes & pource qu’ilz n’ont peu trouver remede de leur putrefaction que par le moyen dudict sel ilz sont retournez a leur premiere coustume c’estassavoir a prendre dudit sel. Et telle est nostre oppinion qu’ilz ne pevent vivre sans le sel. mais tant a qu’il n’en chault audict seigneur infant comme la chose aille/ mais qu’il ait leur or et cecy & tout ce que j’ay entendu touchant ceste matiere et puis que tant de gens le dient nous le povons bien croire et j’en suis l’ung de ceulx la pource que j’ay veu et entendu aulcunes choses du monde & veulx croire ceste et aultres qui sont possibles Et cestuy or qui arrive a Melly en ceste maniere se devise en trois parties la premiere va avec la caravane qui tient le chemin de melly a ung lieu qui s’appelle Cochta qui est le chemin qui s’adresse vers la sorie la seconde & tierce partie vient avec une caravane de melly tambutu/ et la se partissent l’une partie s’en va a ato/ et de ce lieu la ilz se estent vers Thunes de Barbarie par toute la coste de dessus et l’autre partie vient a hodem lieu dessus nommé et la se estend vers Oran et Houa Toutesfois sont lieux de barbarie dans le destroict de Gilberterre/ et desers et Amarochos et Arzib et azare Et Amessa lieux de barbarie hors dudict estroict. Et de ces lieux icy nous aultres ytaliens et crestiens achaptons des Mores ledict or pour la diversité des marchandises que nous leur baillons. Et pour retourner a mon premier propos cecy est la meilleure chose qui se puisse tirer de ladicte terre et pays de Azanaghy et d’arabes pource que celle partie d’or qui arrive chascun an a Hodem iceulx arabes et azanaghy en portent aulcune quantité sus les rives de la mer & la vendent aux espaignolz qui continuellement sont en ladicte isle de archin traffiquer la marchandise et changer a aultres choses En ceste terre de arabes ne se baille point aulcune monnoye ne jamais n’en usent et en cesdictz autres lieux il ne se trouve point mais tout leur faict si est de changer l’une chose pour l’autre et en ceste maniere ilz vivent & est vray que j’ay entendu que dedans la terre de ces arabes & azanaghy et en leurs lieux ilz mengeussent des petis cochons blancs & je croy que a venise il y en arrivé de semblables de levant vous desclarant qu’ilz les vendent aux poix.

¶ Comment les hommes honorent les riches des habitz des femmes et de leurs armes.

Chapitre .xii.

Ces gens icy qui habitent en cestuy desert n’ont aucun roy naturel/ bien est vray que ilz recongnoissent et portent plus reverence a ung que a l’autre et ceulx qui sont riches ont plus suyte comme est en plusieurs lieux et aulcuns de ceulx icy ont suyte d’aulcunes gens mais ilz ne sont pas seigneurs les femmes de cestuy pays sont de couleur gris & portent cottes de cotton qui viennent de la terre des mores & quelc’une d’icelles portent cappettes dessus escriptes Alchisel sans porter chemise la condition de leurs armes est telle/ et est a entendre qu’ilz n’ont armes pour vestir pour eulx deffendre et n’ont pour deffence autre chose que la targe qui est d’ung cuir qui s’apelle auta qui est tresdur & pour faire mal a leurs ennemys ilz portent une lance ou javete longue & est de boys moult delie ligier avec deux ou trois dars petis en la main de une autre forme que les nostres. Toutesfoys ilz chevauchent chevaulx a la moresque mais ilz n’en ont gueres pource que le pays est trop steril parquoy ilz ne les pevent gueres maintenir/ & aussi pour la challeur ilz ne vivent pas grant temps les parties de cestuy desert sont moult chauldes et ont peu d’eaue pour laquelle chaleur il y a defaillance d’eaue/ le pays est sec et sterille. En cesdictes parties il n’y pleut que trois moys de l’an. C’estassavoir en aoust septembre & octobre encores j’ay veu en cestuy pays que en aucuns ans il y aparoist une grant quantité de locustes/ lesquelles sont comme sauterelles/ mais plusgrandes et sont rouges/ & apparoissent en l’air en si grande quantité et espesseur que au lieu la ou elles sont par elles empeschent qu’on ne peut veoir le soleil & l’air en est couvert de si grant sorte qu’il semble que ce soit terre et est chose espouentable a veoir/ et la ou elles tombent il ne demeure riens auculne chose que la terre que tout ne soit gasté d’icelles locustes/ & s’elles venoist chascun an on ne pourroit habiter audict pays/ mais il n’y viennent que en troys ou quatre .xi. ans/ et une foys que je passoye par celuy pays les veis a la marine & y en avoit ung nombre et quantité inestimable.

¶ Du fleuve de senega qui separe la terre areneuse de la fertilité.

Chapitre .xiii.

Apres que eusmes passé ledict chief blanc en le voyant nous navigasmes par nostre journee au fleuve apellé senega/ qui est le premier fleuve de la terre des mores entrant par ceste coste/ lequel fleuve divise les mores des arrabes et azanaghy et aussi en partie la terre seiche aride qui est le desert dessusdict de la terre fertile qui est pays de mores lequel fleuve est grant et large en la bouche ung petit plus demye lieue et a fons assez et faict encores une aultre bouche ung petit plus avant et faict une isle au meillieu et si met ung chef dans la mer par .ii. bouches & sus chascune d’icelles bouches et depuis icelles jusques en la mer environ demye lieue/ si faict bancs et scabelles larges en notant que audit lieu l’eaue y croist et descroist par chascun jour six heures/ c’est a dire la mer y monte et descend/ & quant elle monte elle entre dedans ledict fleuve plus de quinze lieues et cela je le sçay par information que j’ay eue des portugallois qui ont esté dedans ledit fleuve Et qui veult entrer dans ledict fleuve il luy convient aller avec le cours de l’eaue au moyen desdictz bancs et escabelles qui sont a la bouche dudict fleuve & est a noter que du chef blanc jusques a cestuy fleuve y a quatre vingtz lieues & la coste est toute areneuse jusques a bien pres de la bouche de cestuy fleuve environ dix lieues. Et s’appelle la coste de airte rotte/ laquelle touteffoys est des azanaghy et merveilleuse chose me semble que deça ledict fleuve ilz sont tresnoirs grans et gros et bien formez de corps Et tout le pays est verd et plain d’arbres et si est fertil et deça sont hommes grisastres petiz et est le pays steril et sec/ cestui fleuve on dict estre ung rameau du nil long des quattre fleuves royaulx lequel en arrousant toute la ethiope il baigne le pays comme il faict en Egipte. Car en passant par le caire par certain temps de l’an/ il baigne tout le pays d’egipte et d’avantaige ledict fleuve du nil faict d’autres rameaulx tresgros oultre celuy de senega et y tut de grans fleuves de ceste ville de ethiope plus avant s’en dira aucune chose.

¶ Des seigneurs qui regnent a la coste du chef vert.

Chapitre .xiiii.

Au pays de ces premiers mores du royaulme de senega est au commencement du premier royaume de ethiope & est toute terre basse et plusieurs peuples habitent aux rivaiges dudict fleuve de Senega lesquelz peuples se appellent gilosi Et encores plus avant en terre par grande espace est toute terre basse derriere achiarida/ et en oultre ledit fleuve sauf le chef vert/ lequel est la plus haulte terre qu’il soit en toute ceste coste elle a .lxxx. lieues oultre ledit chef vert et deça dudit chef plus de cent .lxxx. toute la coste est pleine basse. Saichez que cestuy roy de senega en mon temps se nommoit zachalin/ mais en cestuy pays il y a plusieurs petiz seigneurs lesquelz aulcunesfoys par jalousie aulcuns d’eulx se adcordent et font ung roy a leur plaisir/ mais toutesfoys il fault qu’il soit de parens nobles. Lequel roy dure autant qu’il plaist ausdictz seigneurs et plusieurs foys se faict le roy puissant et se deffet d’eulx souffise vous que cest estat n’est pas ferme ainsi comme celuy de babiloine et demoure tousjours en souspeçon d’estre mis hors et devez sçavoir que cestuy roy et les seigneurs sont gens bien povres et en leur pays n’y a aucune cité/ ains des villaiges avec maisons de paille et non point de chaulx pour faire des murs et ont grande deffaillance de pierre & si est ung trespetit pays/ par ce que la coste de la marine n’a que cinquante lieues et dans la terre il y en peut avoir environ autant par l’information que j’ay eue est de semblable largeur Le vivre de cestuy roy si est tel il n’a point de revenu certain fors celuy que luy donnent chascun an les seigneurs de ce pays la pour estre bien avec luy et le present que luy font lesdictz seigneurs est de aulcuns chevaulx lesquelz sont la beaucop prisez pource qu’il en y a deffaillante et luy donnent aussi quelques bestes comme vaches et chevres et aussi des legumes et miel et semblables choses maintiennent cestuy roy avecques aultres pilleries que il faict. C’estassavoir il faict desrober plusieurs esclaves aussi bien en son pays comme au pays de ses voisins lesquelz il faict labourer la terre en aucunes possessions a luy deputees Encores plusieurs d’iceulx Esclaves il les vent aux marchans de azanaghi qui arrivent la avec chevaulx ne aultres choses Et aussi en vent aux crestiens depuis qu’ilz ont commencé a traicter de la marchandise avec lesditz .xii. mores a cestuy roy est licite d’avoir autant de femmes qu’il en veult et aussi a tous les seigneurs & hommes de celuy pays mais qu’ilz soyent puissans pour faire les despens/ & cestuy roy en a tousjours trente & faict reverence a l’une plus que a l’autre selon la personne dont elle est descendue aussi cestuy roy tient ceste maniere de vivre avecques sesdictes femmes il a certains villages et lieux et en aucun d’iceulx il en tient huit ou dix. Et chascune demeure en sa maison a par soy & chascune a certaines chamberieres jeunes qui les servent et ont des esclaves lesquelz labourent certaines possessions et terres a elles consignees par leur seigneur et ont certaine quantité de bestial comme vaches chievres pour leur usaige avec ceste maniere de femmes de cestuy roi vivent/ elles font semer/ et gouverner par lesditz esclaves le bestial et vivent de cela et quant le roy va a aucuns desdictz villages il va a la maison de aucune de ses femmes lesquelles sont obligees du revenu qu’elles ont de faire les despens au roy et a tous ceulx qu’il mene avecques luy & chacun au matin au lever du soleil chascune de ses femmes font apprester trois ou quatre sortes de diverses viandes et chair et poisson et d’aultres viandes moresques selon leurs coustumes/ et les envoyent par leurs esclaves presenter a la maison de la despence dudit seigneur en maniere que en une heure il se trouve en point .xl. ou cinquante mes de viandes quant vient l’heure que le seigneur veut manger il prent pour luy ce qu’il luy plaist. Et la reste il la faict donner aux siens qui sont venuz avec luy. Mais jamais il ne donne a menger a ses gens en habondance & tousjours ont faim En ceste maniere il va de lieu en lieu & vit sans avoir pensement de aulcune chose pour son manger et coucher. Aucuneffois il couche avec l’une/ et aulcuneffois avec l’autre de sesdictes femmes/ et croist en moult gran nombre d’enfans par ce que des ce que l’une de ces femmes est grosse il la laisse & par ceste mesme maniere vivent les aultres seigneurs de ce pays la.

¶ De l’habit des mores et de leur loy.

Chapitre .xv.

La foy de ces premiers mores est de macommet/ mais pourtant ilz ne sont pas si fermes en ladicte loy comme sont les mores blancz/ & mesmement le menu peuple/ mais neantmoins les seigneurs tiennent la loy dudit Macommet/ pource tiennent avecques eulx aulcuns prebstres de Azanaghi ou voirement des Arrabes/ Lesquelz donnent aulcuns enseignemens a iceulx seigneurs des mores touchant ladicte loy machometaine. En leur disant que ce seroit grant honte estre seigneur et vivre sans aucune foy de dieu & faire comme faict son menu peuple lequel vit sans loy Et pour ceste raison pour non avoir eu jamais conversation aultre que avec ceulx desditz Azanaghi ou voirement d’aucuns Arrabes ilz sont convertis a ladicte loy de Macommet/ mais depuis qu’ilz ont eu conversation avec les crestiens ilz y croyent moins pource que noz coustumes leur plaisent/ et d’avantaige en voyant noz richesses/ nostre engin qui est plus proffitable que le leur ilz dient que celui dieu qui nous a donné tant de bonnes choses monstre ung signe de grant amour avec nous parquoy ne peut estre que il ne nous ait donné une bonne loy Mais que neantmoins leur loy est de dieu/ et que en icelle on se peult sauver sicomme nous povons faire en la nostre Le vestement de ceste gent il ne s’en fault gueres que continuellement ilz ne aillent tous nudz sauf qu’ilz portent ung cuir de chievre faict en maniere d’une braye/ avec lequel ilz couvrent leurs choses honteuses/ mais les seigneurs qui sont plus puissans vestent chemises de coston pource que en iceluy pays y croist du coston assez & leurs femmes en fillent et en font des draps larges de deux paulmes & ne les sçavent faire plus larges pource que ilz n’ont point les pignes desquelz les tisserans usent quant ilz battent les toilles en les faisant & ainsi ilz cousent ensemble quatre ou cinq de telz draps et en font leur chemises larges et courtes jusques a la moityé de la cuisse et les manches sont larges et courtes jusques a la moytié du bras. Encores ilz usent d’aucunes brayes faictes de coston et s’en habillent par le travers et sont longues jusques au col du pied et sont moult larges & si est la laine si subtille que ung homme en mettroit en sa bouche trente ou trente cinq aulnes/ et jusques au .xl. Et quant ilz s’en sont ceincts par le travers cela fait beaucoup de plis a cause de la grande largeur et longueur. Et vient a faire ung sac devant et l’autre derriere et vient pendre jusques a terre/ et faict une queue et a veoir cela c’est la chose la plus contrefaicte du monde pource qu’ilz vont au moyen de ladicte queue avec les jambes larges. Et ilz demandoient a nous aultres si jamais nous avions veu ung plus beau habit que ceulx la/ et tiennent de certain que en leur pays soit la plus belle forme d’abillemens du monde et leurs femmes vont toutes descouvertes au dessus de la sceinture .xiii. soyent elles mariees comme non mariees. Et au dessoubz de la ceinture portent ung linceul faict de coston tainct au travers qui leur joinct jusques a la moytié de la jambe & tousjours vont deschaulx aussi bien masles comme femelles ilz ne portent riens en leur teste et de leurs cheveulx ilz font aucunes tresses polies & liez en diverses manieres aussi bien les hommes comme les femmes & sachez que les hommes de ce pays la font beaucoup d’ouvrages feminins comme de filler et laver draps et aultres choses/ en cestuy pays y a tousjours grande chaleur le plus grant froit qu’il y face est en febvrier et est moindre que celuy qui se faict en nostre pays D’ytalie au mois d’apvril.

¶ Comment les hommes sont netz de leurs personnes et ortz en leur vivre.

Chapitre .xvi.

Alors les hommes et les femmes de ce pays la sont netz de leurs personnes pource qu’ilz se lavent tout le corps chascun jour quatre ou cinq fois/ mais en leur vivre ilz sont tres ortz et mal netz es choses lesquelles ilz n’ont pratiquees ny acoustumees ilz y sont mal a droit/ mais en leurs choses lesquelles ilz ont acoustumees et pratiquees ilz y sont expers comme chascun de nous aultres. Ce sont hommes de beaucoup de parolles et jamais leur parler n’eust achevé et communement ilz sont tresgrans mensongiers et trompeurs/ aultrement ilz sont charitables ilz voyent voulentiers les estrangers & pour ung past ou deux ilz le donnent voulentiers sans en vouloir avoir aulcune chose.

¶ Comment les seigneurs des mores du royaulme de Gamba combatent.

Chapitre .xvii.

Ces seigneurs mores souventesfois font guerre l’ung contre l’autre Et aussi souventesfois avec leurs voisins et leurs guerres se font a pied pource que ilz ont bien peu de chevaulx car ilz n’y pevent vivre pour la grant chaleur qui y est. Armes pour leur veoir ilz n’en portent point pource qu’ilz n’en ont aulcunes mais seullement ilz ont des targes rondes et larges/ et pour combatre ilz portent de Azanaghez qui sont aucuns dardz & les gettent vistement pource qu’ilz sont grans maistres de les tirer et ont cesdictz dardz ung palme de fer labouré avec barbettes mises en diverses manieres & quant ce vient que ceulx qui les ont dedans leurs corps il leur escorche toute la chair Encore ilz portent aucuns bastons moresques a maniere d’une demye simeterre & est estroicte & sont faictes de fer sans acier pource que ces mores du royaulme de gamba ont plus de fer que les autres mores mais d’avoir de l’acier ilz n’en ont point la maniere & posé que par aventure il en acroist la ou ilz font le fer touteffois ilz n’ont point l’industrie de le habiller. Item en batailles ilz portent en esté pour armes une javeline autres armes n’ont ilz point leurs guerres sont mortelles pource qu’ilz sont desarmés & s’en tue assez & sont moult hardis & bestiaulx car ilz ayment mieulx mourir que de fuyr ilz ne s’esbahissent point de veoir leur compaignon mort ainsi comme gens acoustumez qui ne leur en chault de veoir telles choses et ne craignent riens la mort.

¶ Des grans nageurs et du royaulme de senega.

Chapitre .xviii.

Ces gens icy n’ont point de navires & depuis que le monde est monde qu’on sache n’en avoyent jamais veu/ Sinon depuis qu’ilz ont eu congnoissance des portugallois Il est bien vray que ceulx qui habitent sur cestuy fleuve de Senega et qui demouront a la marine ont aulcuns petis basteaulx qui portent trois ou quatre hommes au plus et avec ceulx la vont aucuneffois pescher et passent ledict fleuve avec iceulx et vont de lieu en lieu par iceluy fleuve et telz mores sont les plusgrans nageurs que je sache au monde pour l’experience que ay veu faire a aucuns d’eulx Selon que j’ay peu entendre et sçavoir cestuy royaulme de Senega pays de mores Premierement confine a la terre de la part du Levant avec le pays appellé Tuchuror & de la part du midy avec le royaulme de gamba pays des mores/ et du Ponent avec la mer occeane et la transmontane avec ledict fleuve de senega lequel divise les Azanaghes de ces premiers Mores Sachés qu’il y avoit environ cinq ans avant que je fasse en cestuy voyaige que cestui fleuve fut trouvé de .iiii. caravelles du seigneur infant duquel ay dessus faict mention lesquelles entrerent dedens & firent paix avec ces mores par maniere qu’ilz commençoyent a traicter marchandise avec eulx et ainsi par chascun an y avoit esté des navires jusques a la mienne allee.

¶ La marchandise que loys cadamosto contracta avec le seigneur Budomel.

Chapitre .xix.

Je passay ledict fleuve de Senega avec ma caravelle et en nageant pervins au pays de Budomel distant dudict fleuve par la coste environ .xii. lieues et demye & est ladicte coste toute basse sans aucune montaigne cestuy nom budomel est tiltre de seigneur et s’appelle la terre de budomel qui est a dire tel pays de seigneur ou voirement conté en cestuy lyeu je demouray avec ma Caravelle pour avoir notice .xiv. dudit seigneur pource que j’avoye esté informé des portugalois lesquelz avec luy avoient eu affaire qu’il estoit homme de bien duquel on se povoit fier et payoit reallement ce qu’il prenoit et pource que j’avoye avec moy des chevaulx D’espaigne et aultres choses qui sont de bonne requeste au pays des mores/ nonobstant que j’eusse avec moy beaucoup de choses comme draps de laine & ouvrages de soye moresque et aultres merceries je me deliberay de faire mon faict avec cestuy seigneur & feis mettre a l’autre a ung lieu de la coste de son pays lequel s’appelle les palmes de budomel qui est demourance et non pas port. Et depuis que je fus la arrivé feis assavoir audict seigneur budomel par ung mien truchement more comme j’estoye venu avec chevaulx & autres marchandises pour l’en servir s’il en vouloit Et des ce que ledit seigneur budomel eut entendu ma venue se mist a cheval et vint a la marine avec .xv. chevaulx ou environ et cent cinquante hommes de pied et m’envoya dire qu’il me pleust descendre en terre et le aller veoir & qu’il me feroit honneur et service & pource que je sçavoye sa bonne renommee je m’en allay vers luy & si me fist grant feste et apres plusieurs parolles je luy presentay mes chevaulx et tout ce qu’il voulut de moy en me fiant de luy & me pria que je voulsisse aller par terre en sa maison qui estoit bien loingtaine environ douze lieues et que la il me payeroit & que il m’y conviendroit demourer par aucuns jours a cause des choses que luy avoie baillees en lieu desquelz il me devoit bailler cent esclaves. Je luy baillay mesdictz chevaulx avec leurs harnois et autres choses qui ne me revenoient point a plus de trois cens ducatz Parquoy me deliberay d’aller avecques luy mais avant que partisse il me donna des ce qu’il me vit une jeune garse more de l’aage de douze ans et estoit bien belle et me dist qu’il me la donnoit pour me servir en ma chambre laquelle je acceptay et l’envoyay a ma caravelle. Il est vray que mon aller par terre n’estoit pas tant seullement pour avoir mon payement/ mais aussi pour veoir et entendre aulcunes choses nouvelles de celuy pays.

¶ Comment loys de cadamosto alla par terre avec le seigneur budomel.

Chapitre .xx.

Adoncques je m’en allay par terre avec budomel & me donna chevaulx et tout ce qui m’estoit de besoing et quant nous fusmes pres de sa demourance environ deux lieues plus en ça/ il me bailla a ung sien nepveu qui s’appelloit Bisboror lequel estoit seigneur d’une petite ville en laquelle nous estions arrivez lequel nepveu me receupt en sa maison & si me fist tousjours honneur et bonne compaignie et demouray la environ vingt et huit jours et estoit au temps du moys de novembre dedans lesquelz jours allay plusieurs foys trouver ledict seigneur budomel et son nepveu estoit tousjours avec moy. Et en cestuy temps la je veis une maniere de vivre de ce pays la desquelles cy dessoubz en sera faicte aulcune mention et d’autant que j’avoye intention de veoir autant il me fut necessaire tourner en derriere par terre jusques audict fleuve de Senega pource que en ladicte coste il se mist ung maulvais temps et me fut force que se je me vouloye mettre dedans madicte caravelle que je la fisse venir jusques audit fleuve de senega/ et de m’en aller par terre. Vous advisant que entre aultres choses que je veis en ce lieu la fut que moy voulant envoyer une lettre a ceulx de ma caravelle affin de les adviser qu’ilz me vinssent prendre audict fleuve de senega & que je m’en alloye par terre je demanday aux mores dudit lieu s’il y avoit aucun d’eulx qui sceust nager et eust le courage de porter une lettre dedans madicte caravelle laquelle estoit dedans la mer environ une lieue et incontinent il y eut plusieurs qui me dirent que ouy et pource que la mer estoit grosse & aussi qu’il tiroit gros vent leur dis qu’il me sembloit quasi impossible que aulcun homme y peust nager et aller jusques a madicte caravelle/ et pource que empres terre environ ung traict d’arc il y a des bancs c’estassavoir bancs de sablon et aussi plus avant en mer a deux traictz d’arbalestre et dedans ses bancs y a si grande course d’eaue que a ceste heure elle va en sus et a ceste en bas qui estoit tresdifficille chose a aucun homme en nageant qu’il peust soustenir ladicte course d’eaue et que elle ne le menast a perdicion et aussi sus sesdictz bancs souffloit tant la mer qu’il sembloit qu’il estoit impossible de la passer et non pour cela deux desdictz mores se offrirent a moy d’y vouloir aller ausquelz demanday qu’ilz vouloient avoir pour y aller et ilz me demanderent deux maiulez d’estaing pour chascun qui est une chose qui vault chascune cinq petis blancs et apres que leur eu baillé ma lettre se mirent dedans l’eaue La difficulté qu’ilz eurent a passer ses bancs avec tant de mer je ne la pourroye compter et aucuneffois par bonne espace d’heure ilz estoient que je ne les veoye point en maniere que je jugeoye par plusieurs fois qu’ilz estoient noyez & au dernier l’ung d’eulx ne peut soustenir tous les coups que luy bailloit la mer & s’en tourna .xv. en derriere/ mais l’autre demoura fort et combatit sur lesdictz bancs environ une grosse heure/ et a la fin il passa et porta ma lettre a ceulx qui estoient dedans ma caravelle et retourna avec la responce qui me sembla chose merveilleuse/ et je conclus pour certain que ces mores la sont les meilleurs nageurs du monde Cela que j’ay peu veoir dudit seigneur budomel de ses coustumes & de sa maison fut cecy. ¶ Premierement je veis clerement combien que ceulx icy ayent nom de seigneur touteffois ilz n’ont aulcuns chasteaulx ne villes comme dessus ay dit. Le roy de cestuy royaulme n’a autre chose que villaiges et maisons de paille. Et cestuy budomel estoit seigneur d’une partie dudict royaume qui est petit & ne sont proprement seigneurs pource qu’ilz ne sont riches d’or ny d’argent par ce qu’ilz n’en ont point/ et la il ne se despend aulcune monnoye mais des cerimonies et de suyte de gens se peuvent appeller vrayement seigneurs pource que ilz ont plus grande obedience que noz seigneurs de deça et c’est sans comparaison.

¶ Des maisons et villages de budomel avec plusieurs siennes femmes.

Chapitre .xxi.

Affin que vous entendez tout Telz roys jamais ne sont fermes ilz ont aulcuns villaiges dans lesquelz ilz tiennent leurs femmes et serviteurs et au villaige la ou je fus qui se appelle sa maison y peult avoir .xl. ou .l. maisons de paille toutes pres l’une de l’autre et tout a l’entour. Et sont avironnees a l’entour de certaines hayes d’arbres gros en laissant seullement une bouche ou deux par lesquelles on y entre/ et chascune de sesdictes maisons ont une courtine serree pres desdictes hayes et aussi l’on va de courtine en courtine et de maison en maison Et ce lieu la budomel avoit neuf femmes Et aussi il en a par les aultres lieux plus ou moins selon que bon luy semble et luy est advis et chascune des femmes a cinq ou six chambrieres mores qui les servent & est licite au seigneur de dormir avec lesdictes chambrieres aussi bien qu’avecques ses femmes ausquelles ne semble estre fait injure pource que la coustume y est telle/ par cela change souvent le seigneur de past. ¶ Et iceulx mores tant masles que femelles sont moult luxurieux et le sçay par ledict seigneur budomel avec grande priere pource qu’il avoit entendu que nous autres crestiens sçavons faire plusieurs choses pour esmouvoir l’homme a luxure me fist demander se je le povoye aulcune chose enseigner par laquelle il peut contenter beaucoup de femmes qu’il me donneroit grant chose et sont iceulx seigneurs moult jaloux et ne consentent que aucun aille aux maisons ou demeurent leurs femmes que luy mesmes & de ses propres filz ne se fie & cecy je vous fais assavoir.

¶ De la compaignie de budomel et qui tousjours demeure en sa maison.

Chapitre .xxii.

Cestuy budomel a tousjours pour le moins en sa maison deux cens mores qui le suivent continuellement Bien est vray que l’ung vient et l’autre va et oultre iceulx jamais n’a deffaillance de gens qui le viennent veoir de divers lieux & a l’entree de la demourance dudit budomel/ premierement s’i trouve avant qu’il vienne au lieu ou il dort et cela se praticque jour et nuyt sept grans pavillons et de pavillon en pavillon en passe et au meillieu de chascun y a ung arbre grant affin que ceulx qui attendent en cesditz pavillons soient a l’ombre et esdictz pavillons sont partis les serviteurs dudict seigneur selon leurs personnes. c’est assavoir au premier a l’entree y a serviteurs menuz et ainsi comme plusieurs ont aproché la demourance dudict budomel croist la dignité de ceulx la qui habitent dans lesdictz pavillons jusques a la porte dudict budomel et peu d’hommes osent aprocher la porte fors les crestiens lesquelz on y laisse aller liberallement quant ilz y sont & aussi ses prestres de azanaghi lesquelz leur monstrent leur loy et a ses deux nations.

¶ Coustumes de budomel et ceulx qui les honnorent et saluent.

Chapitre .xxiii.

D’avantaige cestuy budomel leur monstroit une haultesse en ceste maniere il ne se laissoit veoir le jour fors une heure au matin et aussi vers le soir/ touteffois en cestuy temps qu’il se laissoit veoir il ne sailloit point hors de son pavillon sinon jusques a la porte de sa premiere habitation en laquelle comme j’ay dit n’y entre que lesdictes deux nations et quelque homme d’estime encore le seigneur icy quant il veult donner audience a quelc’un ceulx a qui la donne il use de grandes cerimonies quelque homme que ce soit et fusse son parent/ a l’entree de la porte du pavillon dudit budomel ilz se mettent a genoulx avec les deux jambes en inclinant la teste basse jusques a terre avec ces deux mains & mettent derriere leurs espaulles du sablon et dessus la teste & sont tous nudz & en ceste maniere ilz saluent leur seigneur car il n’y a aucuns d’eulx qui osast venir devant qu’il ne fust despouillé tout nud fors les membres honteux lesquelz ilz couvrent de cuir qu’ilz portent avec eulx pour eulx couvrir & sont en ceste maniere une grande espace .xvi. de temps en se metant cestuy sablon au doz et jamais ne se levent mais s’en vont tousjours trainan par terre jusques a ce qu’ilz approchent leur seigneur et quant ilz en sont pres a .ii. pas ilz demeurent la et dient leur faict tousjours en mettant sur leur dos du sablon avec teste basse en signe de humilité et le seigneur montre semblant de ne veoir sinon escarchement et ne cesse de parler avec autres personnes & apres quant son vassal a bien dit avec une grande arrogance des sourcilz/ il luy fait une responce de deux parolles Et quant dieu seroit en terre/ a peine luy pourroit on faire plus d’honneur qu’on fait a cestuy budomel Et tout cecy me semble qu’il procede pour la grant paour que ont les hommes subgectz de cestuy budomel par ce qu’ilz ne sçauroyent si peu faillir que incontinent il ne face prendre leurs femmes & enfans & les fait vendre par ainsi sa seigneurie il se maintient en obedience & crainte de peuple pour ce qu’il fait vendre leurs femmes et enfans.

¶ De la mosquee/ c’est a dire l’eglise de budomel de leur maniere de sacrifier et de vivre.

Chapitre .xxiiii.

Pour la grande familiarité qu’avoye avec ledict budomel il me laissa entrer en la mosquee ou ilz font leurs oraisons quant ce venoit vers le soir il apelloit ses azanaghy ou arabes lesquelz il tenoit continuellement avec soy comme nous tenons noz prestres lesquelz sont ceulx qui luy aprenent la loy de macomet & avec eulx il entroit en ung certain lieu avec aucuns de ses principaulx barons & lui estant sur les piedz & aucuneffois regardant vers le ciel souventeffois se inclinoit et baisoit la terre et tout ce que faisoyent ses prestres aussi fasoit ledit seigneur budomel et les aultres qui estoyent avec luy par l’espace de demye heure Et quant ilz eurent achevé il me demanda qu’il m’en sembloit et pource qu’il avoit grant plaisir d’ouir reciter aucune chose de nostre foy il me dist que je luy en vousisse dire aulcune chose/ et je luy dis que la sienne estoit faulce et qui ceulx qui la luy monstroyent estoyent trompeurs et la avec plusieurs raisons luy monstray que sa foy estoit faulce. Et la nostre estre vraye et saincte en tant que je faisoye courroucer les meilleurs de sa foy ledict seigneur s’en rioit Et disoit nostre foy estre bonne pource qu’il ne pourroit estre autrement veu que dieu nous eust donné tant de bonnes et riches choses et si grant engin/ mais que encores ilz avoient bonne loy laquelle ilz tenoient de bonne raison & qu’ilz se povoient mieux sauver que nous autres crestiens ce que dieu estoit juste seigneur & que a nous en cestuy monde il nous donne tant de biens et richesses/ & a eulx mores comme riens au regard des nostres et que par ainsi dieu nous avoit donné en ce monde le paradis & en l’autre ilz le devoient avoir et en cela il monstroit aucunes bonnes raisons il avoit bon entendement d’homme & moult luy plaisoit le faict des crestiens & je suis certain que facillement on l’eust peu convertir a nostre foy si n’eust esté la paour de perdre son estat et son nepveu avec lequel j’estoye logé me le dist et luy mesme avoit tresgrant plaisir que je luy contasse aucunes choses de nostre loy et me disoit que c’estoit bonne chose d’ouyr la parolle de dieu la maniere de vivre qu’il tient est celle que j’ay dessusdicte du seigneur ou roy senega que chascune de toutes ses femmes luy envoyent divers metz de viandes et tel stille tiennent tous les seigneurs mores & hommes d’estimation que leurs femmes les nourrissent & mengent en terre bestiallement sans aucune coustume et avec sesditz seigneurs mores aucun n’en mengue fors leurs prestres ou ung ou deux de ses plus principaulx barons tous les aultres menus peuples mengent dix ou douze ensemble et mettent une de leurs viandes au meillieu et mengent moult peu par fois/ mais ilz mangent souvent. C’estassavoir quatre ou cinq foys le jour.

¶ Des legumes et vin qui viennent au royaulme de Senega.

Chapitre .xxv.

En ce royaulme de Senega qui est comme dessus est dict pays des mores et aussi plus avant en aulcune terre ne naist forment ne seigle ny orge ny avoine/ ny vin. Et la raison si est que le pays est trop chault et en neuf moys de l’an il n’y pleut point C’estassavoir depuis le moys d’octobre jusques au moys de juillet. Et combien qu’ilz ayent esprouvé de semer lesdictz blez pourtant ilz ne croissent point/ a cause de la grant chaleur/ et semble qu’elle produit du millet de diverses sortes gros et menu & aussi feves faizeulx & sont les plus gros & plus beaulx qui soyent au monde le faizeul est gros comme l’ung de noz noisettes domesticques tout doree/ et painct de diverses couleurs/ et sont tresbeaulx a veoir la feve est fort large plate grande et rouge de une vive couleur et aussi en y a de blanches & sont moult belles et ceulx icy sement au moys de Juillet et recueillent au mois de Septembre. En ce temps qu’il pleut ilz labourent la terre et sement et cueillent les biens ou temps de trois moys ilz sont tresmauvais laboureurs et hommes qui ne veulent prendre peine de semer/ fors pour autant qu’il leur suffise a mengier pour tout l’an/ et encores secarcement/ et ne leur chault guieres d’avoir bledz pour vendre. .xvii. Leur maniere de labourer si est que quatre ou cinq des leur se mettent au camp avec certaines besches : et vont boutant la terre avant au contraire de ce que font les nostres quant ilz beschent la terre ilz tirent la terre a eulx et ne la parfondent que de quatre dois ou environ et cecy est leur labouraige et pource que la terre est vertueuse elle produit comme j’ay dessus dit Leur boire si est eaue laict ou vin de paulme Cestuy vin est une liqueur que gette ung arbre qui est de la forme d’ung dactile : mais non pourtant ce n’est pas cestuy la : & de telz arbres ilz n’en ont gueres et quasi tout l’an telz arbres rendent une liqueur que les mores appellent mignol & en ceste maniere ilz le font ilz frapent d’une congnee l’arbre en deux ou trois lieux en luy faisant des taillades : et il gette une liqueur a maniere d’eaue grise & mettent dessoubz une escuelle ou autre chose qui reçoit ceste liqueur puis apres la prennent : mais il n’en rend pas grande quantité & en ung jour et une nuyt il rend deux pintes moyennes et est tresbonne liqueur pour boire et enyvre comme le vin avec l’eau. Le premier qui se recueille est aussi doulx comme le plus doulx vin du monde : et de jour en jour il va perdant sa doulceur et devient vert : et est meilleur le .iii. et .iiii. jour que le premier. je le sçay pource que j’en ay beu plusieurs jours au temps que j’estoye en ce pays la : et me sembloit meilleur que nostre vin : de ce mignol ilz n’en ont pas si grande quantité que chascun en puisse avoir a habondance mais toutesfois ilz en ont raisonnablement et mesmement les principaulx et est commun a tous hommes pource qu’ilz n’ont point de vignes ne possessions de telz arbres : mais ilz sont dans la forest en lieu commun et est permis a ung chascun de faire telle liqueur.

¶ Fruitz de diverses sortes et huille merveilleux.

Chapitre .xxvi.

En ce pays la ilz ont des fruitz de diverses sortes aux nostres et sont bons et tous sont fruictz de forest C’estassavoir sauvaiges je cuide qui tiennent lesdictz fruictz en leurs mains comme on fait en nostre pays quant ilz sont bons Leur pays est tout champaigne convenable a produire en laquelle de bons pastourages avec multitude d’arbres grans et beaulx mais ilz ne sont point cogneuz de nous & y a aussi plusieurs lacz d’eaue doulce : lesquelz ne sont pas grans mais ilz sont tresparfons d’eau dans lesquelz y a des poissons differens aux nostres : & y a beaucoup de serpens d’eaue qui s’apellent calcatrice et en cestuy pays ilz usent d’une sorte d’huille en leurs viandes lequel a trois vertus C’estassavoir odeur de violettes de mars saveur quasi comme le nostre de olives & la couleur est comme d’ung brou et quant on y met du saffran et est ladicte couleur plus pollie que n’est celle que taint ledit saffran En cestuy pays se trouve aussi une espece d’arbres qui font fuizeulx rouges une espece de legumes avec l’oeil noir et en sont grande quantité mais ilz sont petis.

¶ Des couleuvres grandes qui engloutissent une chevre et des enchanteurs d’icelles.

Chapitre .xxvii.

Il se trouve en cestuy pays diverses generations de bestes/ et mesmement de couleuvres grandes et petites de plusieurs sortes et les aucunes sont venimeuses et les aultres non : il y a des couleuvres grandes de deux pas : Mais ilz n’ont pas aelles ny piedz comme les serpens mais elles sont moult grosses : & se trouve une couleuvre avoir englouty une chievre entiere sans la mettre en pieces et disant que cesdictes grandes couleuvres se reduisent en aucune partie dudict pays par flotes en lieu ou regnent tresgrande quantité de formis blancz lesquelz de leur nature font aucunes maisons ausdictes couleuvres & portent la terre avec leur bouche et quant elles sont faictes elles semblent a ung four et font cesdictes maisons comme on faict es beaulx villages .c. & .cl. par lieu et ces mores sont grans enchanteurs de toutes choses & speciallement de ces couleuvres/ et ay ouy dire a ung genevoys homme digne de foy que luy se trouvant au pays dudict budomel l’an devant que je y fusse & dormans une nuyt dans la maison du nepveu dudit budomel qui s’appelloit bisboror avec lequel je fus logé qu’environ la minuyt a l’entour de la maison il ouyt plusieurs sifletz qui le firent reveiller et aussi ledit bisboror/ Lequel se leva incontinent et apella deux de ses mores et monta a cheval sur ung chameau et s’en alla et demanda ledict genevoys la ou il vouloit aller a telle heure et il me respondit qu’il alloit a ung sien affaire : et qu’il seroit incontinent de retour et apres que il fut de retour en la maison ledict genevois luy demanda de rechef dont il venoit & il luy respondit n’avez vous pas ouy siffler il y a une piece aucuns siffletz environ la maison & ledict genevoys respondit que ouy & lui demanda que c’estoit & ledict bisboror lui dist que c’estoyent couleuvres : lesquelles si je ne fusse allé faire ung certain enchantement duquel deça nous usons avec lequel j’ay fait tourner en derriere toutes lesdictes couleuvres celles m’eussent ceste nuit fait mourir plusieurs de mes bestes & le genevoys respondit que moult il s’esmerveilloit de telle chose pource .xviii. que aulcun crestien ne le croiroit pas et ledict Bisboror luy dist qu’il ne s’en esmerveillast point pource que son oncle Budomel faisoit de plus grans choses que ceste icy/ car quant il vouloit faire du poizon pour envenimer ses herbes/ il faisoit ung grant circuit et avec enchantement il faisoit venir en ung cercle tous les serpens voisins de ce pays la et celuy qui luy sembloit le plus venimeux il le tuoit avec ses mains & les aultres laissoit aller et prenoit le sang de celluy qu’il avoit tué et le destrempoit avec certaines semences d’ung arbre duquel j’ay veu : et en faict une mixtion de laquelle il envenimé ses armes & la ou il en frape & qu’il y ayt sang/ et combien que la playe soit petite en ung quart d’heure la personne meurt qui ainsi en sera frapee Et me dist ledit Genevois que ledict Bisboror luy en voulut faire veoir l’espreuve : mais il ne luy challut d’en sçavoir plus avant Par ainsi je conclus tous ces Mores estre grans enchanteurs Aussi en nostre quartier y a aucunes personnes qui sçavent enchanter les couleuvres.

¶ Des bestes saulvaiges qui y sont en grande quantité/ mesmement des Elephans et Giraffes.

Chapitre .xxviii.

¶ En ce royaulme de Senega pays des Mores ne se trouve aultres bestes domesticques fors beufz/ vaches/ et chievres : de moutons il n’y en vient point : pource que ilz n’y sçauroient vivre pour la grant challeur qui y est Les vaches et beufz de celluy pays sont beaucoup plus petis que les nostres & est advanture d’y trouver une vasche rouge elles sont ou toutes noires ou toutes blanches ou voirement tachees de noir et blanc bestes sauvaiges de rapines sont Lyons & leopardz en grande quantité aussi y a il loups chevreaulx & lievres Encores y a des Elephans saulvaiges : pource qu’ilz ne usent point a les faire privés comme on fait es aultres parties du monde et telz Elephans vont en route comme a nous vont les pourceaulx es boys Et de nature ces elephans ont deux grans dens des deux costés de la gueulle comme ont nos pourceaulx/ fors que les dens desditz pourceaulx regardent contremont et celles des Elephans regardent en bas vers la terre et jamais ne bout sesdictes deux dens que il ne soyt a la mort Et est une beste qui ne fait point de desplaisir a L’homme si l’homme ne luy en faict/ et le desplaisir que il faict a l’homme est que quant il se joinct a luy il luy donne de sadicte trombe longue qui est en maniere d’ung nez & la retire comme il veult ung si grant coup par dessoubz en sus qu’il jecté aulcuneffois l’homme en l’air ung traict d’arbalestre et n’y a homme si viste que le Elephant ne joingne a la champaigne en allant tant seullement son pas a cause de sa grandeur il faict ung pas tresgrant quant ilz ont des faons ilz ne sont plus perilleux que en autre temps ilz n’en font point plus de trois ou quatre a la fois & mengeussent les fueilles des arbres et les fruitz lesquelz elephans pour avoir le fruit rompent les rameaulx des arbres quant ilz sont gros avec leur groin Sa trombe est en la machouere de dessoubz & la fait longue & courte comme il veult & avec icelle prent toute la viande & l’eaue qu’il boit et la met dedans la bouche laquelle bouche est en sa poictrine leur demourance est dedans les bois espés ou y a de la fange et la se gectent comme pourceaulx : & d’avantaige j’ay entendu qu’en cedict pays y a des giraffes & autres bestes savaiges de plusieurs sortes.

¶ Des papegays et oyseaulx de diverses sortes.

Chapitre .xxix.

En cedict pays y a des oyseaulx de diverses sortes et mesmement des papegays en grande habondance lesquelz vollent parmy ce pays la et les mores leur veullent grant mal : pource qu’ilz font dommaige a leurs champs car ilz mengeussent leur millet & autres legumes il en est de diverses manieres j’en euz de deux sortes de petitz et de grans et sont de couleur verte grise & jaulne et en euz de ceulx qui estoient en leurs nidz mais ilz moururent j’en portay en espaigne .cl. et au dessus et les vendiz ung ducat la piece cesdictz Papegays sont oyseaulx moult industrieulx en faisant leurs nidz et les font de joncz et sont tous rondz comme une boulle ilz s’en vont sur ung arbre qu’on appelle palme ou aultre arbre qui ait rameaulx et choisist les plus subtilz et debilles : et au bout du rameau ilz lient ung jonc & au bout de cestuy jonc ilz font leur nid tissu d’une merveilleuse sorte en maniere que quant il est achevé il demoure au bout dudit jonc qui est attaché au rameau une boulle a laquelle il laisse ung trou par lequel il entre et ilz font cela a cause des couleuvres qui leur mangent leurs enfans lesquelles ne pevent aller sur celuy rameau pource qu’il est ainsi foyble et ne sçauroit porter le fez desdictes couleuvres : & en ceste maniere ilz asseurent leur nidz Il y a aussi en cedit pays aulcuns oyseaulx grans lesquelz nous appellons gelines d’inde qu’on a acoustumé d’apporter du levant de cestes gelines en y a grande habondance .xix. y a aussi des oyes lesquelles ne sont pas comme les nostres/ mais ont les plumes diverses. Et y a aussi semblablement plusieurs autres oyseaulx petis grans et beaulx et d’aultre sorte que ne sont pas les nostres de deça.

¶ Des marchés et des gens qui y viennent.

Chapitre trentiesme.

Alors qu’il me convint demourer plusieurs jours en cestuy royaulme de Senega me deliberay de aller veoir ung marché : ou voirement foyre Non pas trop loing du lieu ou j’estoye lequel se faisoit soubz une prayerie le lundy et le vendredy & si allay deux ou trois fois : A cestuy marché il y vient d’environ deux ou troys lieues assez hommes et femmes de celuy pays Et ceulx qui en estoyent loingtains ilz alloyent aux aultres marchez En cestuy marché y aperceus moult bien que ceste gent estoit trespovre eu esgard aux choses qu’ilz portoyent vendre sur ledict marché et ce qu’ilz portoyent s’estoit coton mais non pas en quantité & fillasses : mais touteffois de coton & aussi draps de coton legumes huille miel et escuelles de boys faictes de la palme et toutes autres choses qu’ilz usent pour leur vivre et les hommes vendent de leurs armes Et d’avantaige ilz vendent quelque peu d’or et vendent le tout a charge chose pour chose et non par argent pource qu’ilz n’en ont point et n’ont aucune monnoye de quelque sorte qu’elle soit fors que a changer une chose pour une autre et deux choses pour une trois choses pour deux Et ces mores aussi bien masles que femelles me venoyent veoir par une grande merveille : et leur sembloit chose nouvelle de veoir des crestiens : car jamais au paravant n’en avoyent veu et s’esmerveilloyent de mon habit et de ma blancheur lequel habit estoit a l’espaignolle avec ung pourpoint de damas noir & une manteline grise. Ilz regardoyent le drap de laine/ duquel ilz n’en ont point et aussi regardoyent ledict pourpoint et moult estoyent esbahis et aucuns me touchoyent la main et les bras : et avec le crachat ilz me frotoyent pour veoir si ma blancheur estoit taincte : et en voyant que la chair estoit blanche ilz estoyent tous esbahis. A cesdictz marchez je y alloye pour veoir plusieurs choses nouvelles. mais de tout s’en trouvoit bien peu comme j’ay dit.

¶ Des chevaulx qui se vendent et ce qu’ilz mengeussent et des enchanteurs desditz chevaulx.

Chapitre .xxxi.

Les chevaulx en ce pays la sont moult prisez pource qu’ilz en ont avec grant difficulté car les arrabes & azanaghi desquelz j’ay dessus parlé les y meinent par terre de ceste barbarie nostre de deça et aussi pource qu’ilz ne pevent vivre grandement pour la grant chaleur : et se font si gros qu’ilz meurent par force d’une maladie qu’ilz ne pevent pisser & crevent : le menger qu’ilz donnent a leursdictz chevaulx est d’aucunes fueilles de faizeulx qui demourent dedans les champs depuis qu’ilz ont esté recueillis et ilz les taillent bien menu & les sechent comme fenoul : et en donnent a menger en lieu d’avoyne ilz leur donnent du millet avec lequel ilz s’engressent moult. Ung cheval fourny se vent de .xii. a .xiiii. mores esclaves selon la bonté et beaulté du cheval : et font venir aulcuns de leurs enchanteurs de chevaulx lesquelz font faire ung grant feu de certains rameaulx de herbes a leur maniere faisant grant fumee : et sur icelle ilz tiennent le cheval par la bride et dient aucunes paroles et puis apres font oingdre tout le cheval de oingt subtil et puis apres le tiennent .xv. ou .xx. jours dedans lesquelz ilz ne veulent que aucun le voye et luy attachent au col aulcuns brefz lyez en carrure couvers de cuir rouge et croyent par foy qu’ilz vont plus seurement en bataille.

¶ Des femmes qui dancent de nuyt.

Chapitre .xxxii.

Les femmes de celuy pays sont moult joyeuses & allegres Elles chantent et dancent voulentiers : speciallement les jeunes/ mais ilz ne dancent que de nuyt a la clarté de la lune leur dancer est beaucop differant du nostre de moult de choses Ces mores sont esbahis de veoir de noz choses comme arbalestres et beaucoup plus de bombardes pource que aucuns desdictz mores vindrent a ma caravelle et je les fis venir tirer une bombarde de laquelle ilz eurent grant paour : et leur disoye que une bombarde pourroit tuer plus de cent hommes d’ung coup et estoyent tous esmerveillez et disoyent que s’estoit chose de dyables. Encores s’esmerveilloyent du sonner d’une nostre cornemuse que je fis sonner dedans le villaige a ung mien marinier laquelle estoit couverte de plusieurs couleurs avec aucunes frasques sur la teste ilz cuidoyent que ce fust quelque beste vive qui chantast ainsi de diverses voix d’elle ilz eurent grant plaisir et grant merveille Parquoy moy voyant leur croire estre .xx. faulx leur dis que cela estoit ung instrument & la donnay en leurs mains toute dessemblee & apres qu’ilz eurent veu certainement que c’estoit artifice faict de la main disoient que c’estoit chose celestielle et que dieu l’avoit faicte avec ses mains pource qu’elle sonnoit ainsi doulcement de diverses voix et disoient jamais n’avoir veu la plus belle chose et qu’ilz avoient grandes merveilles de l’artifice de nostre caravelle & de ses appareilz comme de l’arbre voylles & ancres et encores ilz cuidoient que les yeulx qui sont a la proue de ladicte caravelle fussent voirement ses yeulx par lesquelz elle veoyt ou elle alloit par mer et disoient que nous estions grans enchanteurs et quasi comparables aux dyables disant que les hommes qui alloient par terre avoient peine a sçavoir d’aller de lieu en lieu & que nous qui allions par la mer & qu’ilz avoient entendu que nous y demourions dessus tant & tant de jours sans veoir terre parquoy il estoit impossible de sçavoir ou nous allions sinon par le povoyr du dyable et ilz disoient cela pource qu’ilz n’entendoyent pas l’art de naviguer. Et plus s’esmerveilloient de veoir de nuyt ardre une chandelle sur ung chandelier/ pource que en leur pays ilz ne font aultre lumiere fors celle qui vient du feu : et non ayans jamais plus veu chandelles ardre leur sembla une belle chose & merveilleuse. Et pource que en celluy pays on y trouve du miel lequel ilz sucent & gectent hors la cire Parquoy apres que je euz achapté une petite gauffre de miel avec sa cire leur monstray comme se tiroit le miel d’avec la cire/ & puis apres leur demanday se ilz sçavoient quelle chose c’estoit & ilz me respondirent que c’estoit une chose de neant : & en leur presence leur fis faire des chandelles et les feis allumer ce que voyant ilz demourerent moult esbahis en disant que nous sçavons toutes les choses du monde.

¶ Comment Anthoine & Loys de cadamosto se acompaignerent aupres le chef verd.

Chapitre .xxxiii.

En cedict pays ilz ne usent d’aulcun instrument pour sonner : fors que deux l’ung est de Tabourins grans l’autre est a maniere d’ung Rebec : mais il n’a que deux cordes et le sonnent avec les dois et si y a une corde grosse et l’autre menue : & cela n’est d’en faire estime : Comme j’ay dict eu occasion de demourer en cestuy pays du seigneur de budomel aulcuns certains jours pour vendre et achapter et entendre plusieurs choses : dequoy estant depesché : et en ayant eu certaine quantité d’esclaves : je me deliberay passer plus oultre : et passer le chef verd/ & aller pour descovrir pays nouveaux & pour prouver mon advanture pource avant que je partisse de portugal j’avoye entendu le seigneur Infant comme d’aulcunes personnes qui conduisoient les caravelles : il estoit advisé de temps en temps des choses de cestuy pays de mores & entre autres choses il avoit esté adverty que non pas trop loing de cestuy premier royaulme de senega de mores plus avant se trouve ung autre royaulme appellé Gambra & que les mores qu’on amenoit en portugal ou en espaigne luy avoient dit que en iceluy royaulme se trouvoit grande quantité d’or & que les crestiens qui yroyent seroient riches parquoy moy esmeu de trouver cestuy or & aussi pour veoir diverses choses apres que je fuz despesché de budomel me tournay a ma caravelle : & en me appareillant pour la voille pour devoir partir de ceste coste vecy une matinee apparoistre deux voilles en mer : lesquelles avoient veue de moy et moy d’eulx & sachant qu’il ne povoit estre fors que crestiens qui venissent a parlamenter et apres que je euz entendu que l’ung des deux navires estoit anthoine acoustumé de la mer gennes & l’autre navire a certains escuyers dudict seigneur infant & que lesdictes deux navires avoient faict leurs provisions pour passer ledict chef verd pour prouver leur avanture & descouvrir choses nouvelles & en me trouvant d’ung mesme propos me mis avec eulx d’ung vouloir dreçasmes noz caravelles vers nostre chemin de chef verd touteffois a la voye de ostro tousjours par la coste a la veue de terre dequoy le jour ensuyvant avec bon vent eusmes veue dudict chef verd lequel est distant du lieu ou je me partis vingt lieues.

¶ Du chef verd sa domination et gens avec ses coustumes.

Chapitre .xxxiiii.

Cestuy chief verd s’appelle ainsi pour les premiers qui le trouverent lesquelz furent Portugalloys environ ung an devant que je arrivasse en celuy lieu trouverent tout verd d’arbres grandes qui continuellement sont vertes en tout temps de l’an & pour ceste raison luy fut mis nom chef verd ainsi comme au chef blanc celuy de qui nous avons parlé cy dessus pource qu’il fut trouvé tout areneux & blanc on l’appelle chef blanc & cestuy chef verd est moult beau chef & hault de terre & est sur la poincte de nobolete C’estassavoir deux petites montaignes & se met moult avant en la mer et dessus ledit chef & a l’entour de luy a plusieurs habitans de villains mores et leurs maisons sont de paille toutes au pres la marine et .xxi. la a veue de ceulx qui y passent & sont ces mores aussi dudit royaulme de senega & dessus ledit chef y a trois isles petites non pas trop loing de terre toutes desabitees/ toutes plaines de grans arbres toutes vertes & moy ayant besoing d’eau mis l’ancre a une desdictes isles laquelle me sembloit la plus grande & plus fructifere pour veoir s’il trouveroit la quelque fontaine Et apres que fusmes desmontez nous n’en trouvasmes point fors en ung lieu qui sembloit rendre ung peu d’eaue. Laquelle ne nous povoit donner aucun ayde : en ceste isle trouvasmes plusieurs nidz & oeufz de divers oiseaulx par nous incogneuz et cestedicte isle fusmes tout ung jour peschant avec tonnes & hametz gros & prismes infiniz poissons & entre les autres dorades vielles du poix de douze a .xv. livres l’une & fut au moys de juing et apres le jour ensuyvant partismes en tousjours navigant a veue de terre & est a noter que oultre ledict chef verd y a ung goulfe & la coste est toute terre basse habondante de tresbeaulx & grans arbres vers et jamais ne deboutent fueille tout l’an : C’estassavoir qu’ilz n’ayent une fueille premierement devant qu’elle gecte l’autre & croissent cesdictz arbres jusques sus la plaige a ung traict d’arbalestre que semble qu’ilz beuvent sur la mer c’est une tresbelle coste a veoir et selon moy qui ay navigué en plusieurs lieux en levant & ponent jamais je ne veis la plus belle chose de cela qui me aparut en cestedicte coste laquelle est arrousee de plusieurs rivieres & fleuves petiz : mais non pas d’estime et en iceulx n’y sçauroit entrer navires grosses & apres qu’on a passé ce goulfe toute la coste est habitee de deux generations l’une est appellee barbarins & l’autre sereri : touteffoys ilz sont mores/ mais ilz ne sont pas subjectz au roy de senega ceulx icy n’ont point de roy ny aucun propre seigneur mais bien honnorent l’ung plus que l’autre selon la qualité et condition des hommes entre ceulx ilz ne veullent consentir a avoir aucun seigneur affin qu’on ne leur oste leur femmes & enfans qu’ilz ne les vendent pour esclaves comme les roys & tous autres seigneurs en tous autres lieux de mores & ceulx icy sont grans ydolatres & n’ont aucune loy & sont trescruelz hommes & usent de l’arc avec les fleches envenimees & la ou elles touchent dans la chair nue et il en yssit sang subitement la creature se meurt ilz sont hommes tresnoirs & de belle corporance et leur pays plain de bois & y a habondance d’eaue & pour cela ilz se tiennent bien asseurez pource qu’on y peut entrer fors que par passaiges estroitz & ne craignent aucuns seigneurs leurs voisins & advenu plusieurs fois que aucuns roys senega pays de mores comme dessus est dict par le temps passé leur ont faict la guerre & les ont voulu subjuguer mais touteffois de ces deux nacions ont esté mal menez & encourant adoncques par vent large par ladicte coste avec le vent dit ostro nous descouvrismes la bouche du fleuve large environ d’ung traict d’arc & s’appelle par nous le fleuve des barbarins : & ainsi est noté en la quarte de naviguer faicte par moy de cestuy pays : & depuis le chef verd jusques a ce fleuve y a .xv. lieues et nostre navigaige par ceste coste & au paravant a esté de jour en mettant chascun soir au soleil couché l’ancre dedans dix ou douze pas d’eaue & loing de terre deux ou trois lieues & au soleil levé faisans voille en tenant tousjours ung homme en hault & deux hommes a la proue de la caravelle pour veoir si la mer se rompoit point et aussi ledict homme estoit en hault pour descouvrir aucun roc et en navigant nous arrivasmes a la bouche d’ung autre fleuve grant lequel monstroit n’estre moindre du fleuve de senega dequoy voyant cestuy beau fleuve & aussi le pays tresbeau habondant d’arbres jusques sus la marine nous mismes hors & deliberasmes de vouloir envoyer en terre ung des nostres truchemens car chacun de nous avoit dans nosdictes caravelles ung truchement more qu’avions admené de portugal lesquelz sont esclaves mores venduz par le seigneur senega aux premiers portugalloys qui vindrent a descouvrir ledict pays de mores lesquelz esclaves avoient esté faictz crestiens en Portugalloys & sçavoient bien parler la langue espaignolle & leur maistre leur avoit promis de leur donner a chascun d’eulx ung more pour les servir en leur lieu & qu’ilz ne serviroient que de truchement & en donnant a leur maistre quatre mores ilz seroient francz et meismes le sort a qui adviendroit mettre son truchement en terre & advint aux genevois parquoy apres que sa barque fut armee envoya son truchement dehors avec mandement qu’il ne l’approchast point de terre sinon tant qu’il pourroit mettre pied en terre & audict truchement fut donné charge qu’il informast de la condition de cestuy pays & soubz quel seigneur il estoit & qu’il se enquist si on y trouvoit de l’or & autres choses a nous duisables & apres qu’il fut desmonté en terre & la barque tiree ung peu au large incontinent vint audict truchement plusieurs mores du pays lesquelz avoient veu noz navires & s’estoient retirez a la marine avec ars & flesches & armes & estoient embuschez pour joindre aulcuns des nostres quant ilz seroient en terre & venuz a lui parlerent un petit & cela qu’ilz luy dirent ne sçavons fors avecques grant fureur commencerent a fraper nostre truchement avec aucunes espees moresques courtes & en .xxii. bref ilz tuerent et ceulx de la barque ne le peurent secourir ce que veu par nous en trouvasmes bien esbahis et comprinsmes que ces gens icy trescruelz ayant fait tel acte en la personne de ce more qui estoit de leur generation et que par raison beaucoup plus ilz nous en feroyent parquoy fismes voille suivant nostre chemin par ostro en navigant a veue de la coste laquelle continuellement trouvasmes belle et habondante d’arbres verdes toutesfois terre basse Et finablement nous trouvasmes a la bouche du fleuve de gambra : laquelle voyant par nous estre tresgrande : non moins d’une lieue au plus estroit ou nous povyons entrer avec noz navires seurement nous deliberasmes de nous reposer la pour vouloir attendre le jour ensuivant si estoit le pays de gambra que tant desirions trouver.

¶ Fleuves grans naviguez par almadies.

Chapitre .xxxv.

Nous estans reduitz a la bouche de cestuy fleuve lequel en la premiere entree ne monstre moindre estre large de deux a trois [lieues] nous jugeasmes cestuy beau fleuve estre du pays de gambra qui par nous estoit tant desiré et que dessus luy ce seroit merveilles de trouver quelque bonne terre ou legierement nous pourrions [pervenir] a quelque bonne adventure de quelque somme d’or ou espiceries ou vrayement quelque precieuse chose : et apres que le jour ensuivant fut faict avecques le vent estant bon : a ce envoyasmes la petite caravelle avant bien garnie avecques hommes dans l’une de noz barques & pource que ladicte caravelle estoit petite et qu’elle demandoit peu d’eaue nous donnasmes en charge a ceulx qui la menoyent qu’ilz allassent le plus avant qu’ilz pourroyent et quant ladicte barque fut sur la bouche dudit fleuve en tastant le fons et en trouvant bonne eaue grosse pour povoir y entrer noz caravelles ilz tournerent en derriere et nous dirent qu’ilz avoyent trouvé l’eaue estre bien creuse et parfonde plus que quatre pas sur ladicte bouche et apres fusmes d’avis oultre ladicte petite caravelle d’y envoyer ma barque bien armee et aussi celle de mon compaignon ce qui fut faict : or commandasmes a ceulx qui les menoyent qu’ilz allassent oultre ladicte bouche et se paraventure les mores de celui pays venoyent avec leurs almadies ou autres vaisseaulx les assaillir que incontinent ilz se retirassent a ma caravelle sans vouloir avec eulx combatre & cecy estoit pource que estions la reduitz pour vouloir avec ledict pays traicter bonne paix et acquerir leur benivolence lesquelles convenoit acquerir par engin et non par force. Adonc eulx estans passez avec lesdictes caravelles et barques plus avant tasterent le fons en plusieurs lieux : et trouverent par tout non moins de seize pas d’eaue et passerent oultre d’une lieue et voyant les rivages dudit fleuve belles et habondantes de tresbeaulx arbres vers : et voyant ledit fleuve plus hault faire plusieurs tours ne leur sembla de tirer plus oultre & en leur retournant saillirent de la bouche d’ung petit fleuve qui mettoit ung chef dans cestuy grant fleuve trois almadies lesquelles a nostre maniere s’appellent boutequins et sont faictes de une piece d’une arbre grande cavee dedans et noz gens voyant lesdictes almadies doubtant quelles vinssent pour les dommager et nous estans advisez par autres mores que en cestuy pays de gambra ilz estoient tous archers qui tiroyent avec flesches envenimees et combien qu’ilz fussent suffisans pour eulx deffendre neaumoins pour obeyr a cela qui leur avoit esté commandé ilz se misdrent a tirer avec leurs avirons et le plus tost qu’ilz peurent ilz vindrent a nostre caravelle mais non pourtant ilz ne sceurent venir si tost que lesdictes almadies ne fussent a leurs espaulles environ d’ung traict d’arc & pource qu’elles vont moult vistement & noz gens entrez a noz caravelles feismes signe a ceulx dedans lesdictes almadies qu’ilz s’approchassent & iceulx en demourant fermes ne voulurent venir et povoyent estre de .xxv. a .xxx. mores lesquelz estant longue espace a regarder chose que jamais eulx ne leurs predecesseurs n’avoyent veu en ces parties la C’estassavoir navires et hommes blancz : et demouroyent sans jamais vouloir parler pour chose qui leur fust faicte et dicte et s’en allerent pour faire leur besongne/ et ainsi passa cestuy jour sans faire autre chose.

¶ Comment les mores assaillirent les navires dans le fleuve.

Chapitre .xxxvi.

Le matin ensuivant noz aultres deux caravelles environ .viii. heures avec ung vent bonace et avec le cours de l’eaue fismes voille pour entrer audit fleuve avec le nom de dieu esperant plus avant dans terre trouver des gens plus humains que ceulx que avions veu dans lesdictes almadies & ainsi estans joinctz ensemble faisans voilles commençasmes a entrer dans ledict fleuve & alloit la petite caravelle devant et puis apres nous l’ung apres l’autre et apres que eusmes passez les bancz dudit fleuve et y estant dedans environ une lieue : voyez cy venir derriere nous ne sçay de quel lieu aucunes almades lesquelles venoyent a nous autant qu’elles povoyent : et elles estre par nous veues fismes volte .xxiii. dessus eulx et doubtant leurs fleches envenimees joignirent noz navires l’ung pres de l’autre le plus qu’il nous fust possible et nous arrivasmes en ordonnant noz gens qui estoient armez & vindrent par la prouue et amys ung des nostres estoit a la premiere navire et icelles almades se diviserent en deux parties nous meismes au meillieu d’elles et trouvasmes qu’elles estoient .xvii. bien grandes comme seroit une bonne barque et en haulçant les avirons en hault il nous regardoient comme chose merveilleuse & neufve a eulx et nous sembla qu’il povoient estre environ .cl. hommes au plus lesquelz nous semblerent estre beaulx hommes de corps et moult noirs tous vestus de chemise blanche de coton et en leurs testes avoient de petiz chappeaulx blancz quasi en la façon d’allemaigne fors que chascun costé ilz avoient une forme de clé blanche avecques une plume au meilleu du chappeau quasi en voulant signifier qu’ilz estoient hommes de guerre & en chacune de leur proue de leursditz almades y avoit un more sur ses piedz avec une targe ronde au bras qu’il sembloit estre de cuir : et ainsi eulx ny nous n’allasmes contre l’ung l’autre et apres qu’ilz eurent veu les deux caravelles qui me venoient en derriere dressans leur chemin vers eulx et apres qu’ilz les eurent joinctz sans autre salut en boutant jus leurs avirons avec leurs arcs commencerent tous a tirer avec leurs arcs ce qui veu par nous fismes tirer d’ung coup quatre pieres d’artilerie lesquelles ouyes par iceulx mores bien estonnez et esbahis du son qui estoit grant ilz mirent jus leurs arcz regardant puis ça puis la et estoyent tous esmerveillez et apres qu’ilz eurent les pierres de nostredicte artillerie frapper dedans l’eaue aupres d’eulx Et apres qu’ilz eurent regardé une bonne espace de temps et en ne voyant aultre chose ilz perdirent leur paour & prindrent leurs arcs de nouveau et commencerent avec une grande hardiesse de nous vouloir nuyre en eulx aprochant de noz navires a ung ject de pierre & noz mariniers commencerent avec leurs arbalestres a tirer et le premier qui desserra fut ung filz bastard du genevois & frappa ung more en la poictrine qui incontinent tomba mort dedans L’almadie lequel estant veu mort par iceulx mores ilz prindrent le vireton et moult le regardoient & sembloit qu’ilz se esmerveillassent de veoir telle armeure ne pour cela ne laisserent a tirer vigoreusement a noz navires et ceulx de noz navires a eulx en telle sorte que en peu d’espace de temps il fut gasté beaucoup desdictz mores & par la grace de dieu aucuns des crestiens ne fut feru : parquoy voyant ces mores estre ainsi affollez et perir toutes les almadies d’ung accord se meirent par couppe la caravelle petite en luy donnant grande bataille pource qu’ilz estoient dedans peu de gens et mal en point d’armeures et moy voyant cecy feis charger voylle sur ladicte caravelle et en joignant a icelle nous tirasmes au meillieu de nous aultres deux navires en deschargeant l’artillerie & arbalestres : quoy voyant lesdictz mores ilz se eslargirent de nous et nous enchesnasmes noz trois caravelles ensemble en levant ung ancre et avec vent bonace toutes trois si tindrent sus ladicte petite caravelle : et apres tentasmes avoir parolles avec lesdictz mores.

¶ La deliberation qui fut faicte sur la riviere de Gambra.

Chapitre .xxxvii.

Apres nous fismes tant que noz truchemens firent approcher de nous une de ces almadies a un traict d’arc et dismes a ceulx qui estoient dedans Pourquoy ilz nous couroyent sus attendu que nous estions hommes de paix et faisans faict de marchandise avec les autres mores du royaulme de Senega et que avec eulx avions bonne paix & amitié & ainsi voulons faire avec eulx si leur plaisoit : et que estions venus de loingtain pays pour faire aucuns beaulx presens a leur roy et seigneur de la part de nostre roy de Portugal pource que avec luy il desiroit avoir amytié & bonne paix en les priant qu’ilz nous voulsissent dire en quel pays nous estions et qui estoit le seigneur qui les gouvernoit et si s’estoit fleuve sur lequel nous estions et comme il s’appelloit et qu’ilz voulsissent venir paisiblement a nous : & prendre amoureusement de noz choses & que des leur ilz nous en donnassent ce qu’il leur plairoit ou peu ou riens et que de tout serions contens leur responce fut que le temps passé ilz avoient [eu] quelque notice de nostre pratique que nous faisions avec les mores de Senega. lesquelz ne povoient estre sinon mauvaises gens & vouloir avoir nostre amytié pource qu’ilz tenoient pour certain que nous autres crestiens mengeons/ chair humaine et que nous ne achaptions les mores sinon pour les menger & que pour ceste cause ilz ne vouloient nostre amytié en aucune maniere mais qu’ilz nous vouloient tous tuer et apres qu’ilz feroient de noz choses present a leur seigneur lequel estoit loing de trois journees Et que c’estoyt le pays de Gambra & que le fleuve estoit gros Et dirent le nom dudict seigneur mais il ne m’en souvient point & en ce disant le vent se leva ce que voyant et leur mal vouloir fismes voille sur eulx & ilz s’en fouyrent .xxiv. par le chemin de la terre et ainsi achevasmes avec eulx nostre guerre. Et apres nous eusmes conseil d’y aller plus avant sur ledict fleuve pour le moins de .xxv. lieues si tant nous povions en esperant de trouver meilleures gens mais noz mariniers avoyent desir de retourner a leurs maisons sans vouloir plus prouver d’eulx mettre en peril et tous d’ung accord commencerent a crier que d’aler plus avant ilz n’en feroyent riens et qu’il souffisoit de ce qu’ilz avoyent faict en cestuy voyage Parquoy nous voyans leur vouloir estre tout ung nous convint estre de leur advis affin d’eviter scandal : pource que ce sont gens obstinez Et ainsi le jour ensuivant de ce lieu la nous partismes en tenant la voye du chef verd pour retourner avec le nom de dieu en espaigne.

¶ La elevation de nostre transmontane : et les six estoilles oppositees.

Chapitre .xxxviii.

Nous en ces jours que nous feusmes sur la bouche de cestuy fleuve n’avions veu que une fois la transmontane et apparoissoit moult bas sur la mer & pource il la nous convenoit veoir avec ung temps bien cler et aparoissoit sur la mer la tierce partie d’une lance & la nous eusmes veue de six estoilles basses sur la mer claires lucentes et belles et estoyent en derriere par ostro et se ardoyent en la maniere dessus figuree/ lesquelles nous jugeasmes estre le chariot de l’ostro mais l’estoille principalle ne se veoit point : parquoy n’estoit pas raison de dire que ce fust ledit chariot se premierement elles ne perdoyent la transmontane Et devez sçavoir que en cestuy lieu au commencement de juillet trouvasmes la nuyt de treze heures et le jour de unze Et fut le deuziesme dudict moys. Cestuy pays est tousjours chault en tout temps de l’an Il est vray qu’il y a yver pource que commençant ledit moys de juillet il y pleut quasi continuellement chascun jour sur le midy jusques par tout le moys d’octobre En ceste maniere se levent aucunes brouees continuellement dessus terre entre grec et levant et de levant en Siroch avec grans tonnoirres esclere : & fouldres & par ainsi il y pleut une grande eaue en celui temps les mores commencent a semer en la maniere que font ceulx du royaulme de senega et leur vivre est de millet et autres legumes et chair et laict et ay entendu qu’en cestuy pays dedans terre l’eaue qui y pleut est chaulde En cestuy pays le matin quant il se faict jour au paravant que le souleil se lieve l’aube n’aparoist point comme elle faict au nostre/ car de l’aube au lever du soleil y a tousjours une espace brune qui separe l’obscurité de la nuyt et incontinent on voit le soleil mais de demye heure il ne rend clarté pource que au commencement de son lever : il semble estre tout trouble en maniere d’une chose consummee/ et la raison de ceste veue de soleil ainsi soubdaine contre l’ordre de nostre pays je n’entens pas dequoy cela peut proceder pour autre raison que pource que la terre de ce pays la est moult basse et despoullee de montaignes : et a ceste oppinion s’accordent tous mes compaignons.

¶ Comment anthoine genevois & loys de cadamosto trouverent nouvelles isles.

Chapitre .xxxix.

De la condition de cestuy pays de gambra par cela que j’en ay peu veoir et entendre En cestuy mon premier voyage peu ou riens s’en peut dire et speciallement de veue pource que comme avez entendu a cause des gens de la marine qui estoyent trop aspres & sauvages ne peusmes avec eulx avoir aucunes parolles en terre ny traicter aucune chose/ mais devez sçavoir que par cestuy voyage retournasmes en espaigne : et ne passasmes plus avant pource que noz mariniers ne vouloyent passer oultre parquoy l’an ensuivant ledict genevois et moy fusmes d’acord d’y retourner : et armasmes deux caravelles pour vouloir cercher cedict fleuve Et apres que le seigneur infant eut sceu nostre deliberacion car sans lui n’y povons aller il en fut moult joyeulx & luy pleut et arma une sienne caravelle affin qu’elle vint en nostre compaignie Et apres qu’elle fut fournie de toutes choses necessaires partismes du lieu appellé lanchus qui est aupres le chef sainct vincent au commencement du moys de mars avec bon vent & tinsmes la volte des canaries & en peu de jours arrivasmes la & a cause du bon temps ne nous chalut de toucher ladicte isle mais tousjours en nostre voyage navigant par ostro et avec les vagues des eaues qui moult tirent bas a garbin nous courusmes beaucop en derriere : et arrivasmes au chef blanc et ayans veu ledit chef nous eslargismes ung peu en la mer et la nuyt ensuivant se mist a faire ung temps de garbin avec ung vent fort contraire : dequoy par non tourner en derriere tinsmes la volte de ponent. Le maistre du navire sauva le vent pour reparer et costizer le temps deux nuitz et trois jours Le .xxv. troisiesme jour eusmes veue de terre en criant tous terre. Moult nous esmerveillasmes pource que nous ne sçavions que en ceste part y eust aucune terre : et envoyasmes deux hommes en hault lesquelz descouvrirent deux isles grandes et apres qu’ilz le nous eurent notiffié rendismes graces a nostre seigneur lequel nous conduisoit a veoir choses nouvelles Pource que nous sçavions bien que de ces isles en espaigne n’en estoit faicte mencion Et pour entendre plusieurs choses & pour prouver nostre adventure tinsmes la volte de terre l’une desdictes Isles & en brief temps nous l’aprochasmes Et quant nous en fusmes pres Et que la trouvasmes grande : nous la couvrismes une piece a veue de terre : et tant que parvinsmes a ung lieu : ou me sembloit estre bonne demourance et la mismes l’ancre et boutasmes la barque hors : et icelle bien armee l’envoyay en terre pour veoir si en ceste ysle paroissoit aucune personne et ceulx qui estoyent dedans ladicte barque en saillirent et cercherent dedans icelle ysle : et ne trouverent aucun signe de chemin : parquoy se povoit conclure que en icelle n’y avoit aucuns habitans : et apres que eusmes entendu ceste chose le matin ensuivant pour esclaircir mon courage envoyay dix hommes bien en point de armeures et arbalestres : et qu’ilz montassent d’une part ceste ysle laquelle estoit montueuse et hault assez pour veoir s’ilz trouveroyent aucune chose. Lesquelz .x. hommes y allerent et n’y trouverent riens fors habondance de grans coulombs lesquelz se laissoyent prendre avec les mains non congnoissans quel instrument fust l’homme & d’iceulx en porterent beaucoup aux caravelles lesquelz ilz avoyent prins avec bastons et massues Et en une autre heure eusmes veue de trois autres isles grandes : desquelles n’avions jamais eu veue pource que l’une estoit soubz vent de la part de la transmontane & les autres deux estoyent l’une en drome et l’autre par la voye de ostro : toutesfois a nostre chemin & toutes a veue l’une de l’autre. Encores nous sembla veoir en la mer de la part de ponent d’aultres ysles : mais au vray nous ne le povyons bien discerner pour la distance Lesquelles ysles ne me chalut d’aller cercher aussi pource que le temps m’estoit brief et aussi pensoye qu’elles fussent deshabitees comme estoyent ces autres : mais depuis que eu divulgué cesdictes quattre ysles que j’avoye trouvees aultres y ont esté et ont descouvert les aultres ysles : et trouverent qu’il y en avoit dix tant grandes que petites deshabitees & ne trouverent en icelles que coulombs & infinis oyseaulx d’estrange sorte et grande habondance de poisson : mais en retournant a mon propos me party de ladicte isle et en suivant mon chemin je vis deux autres isles et en courant la demourance d’une d’icelles qui me sembloit habondante de arbres : je descouvry la bouche d’ung fleuve qui sailloit de ceste isle & en jugeant qu’il y avoit bonne eaue nous saillismes pour nous en fournir et apres que aulcuns des miens furent descendus en terre allerent par la voye de cedit fleuve et trouverent du sel tresblanc et beau duquel ilz porterent au navire et y en avoit grande quantité & de cestuy sel nous en prismes ce que bon nous sembla : et aussi en trouvant l’eaue tresbonne nous en prismes vous declarant que la nous trouvasmes grant quantité de couleuvres desquelles nous en prismes aucunes et leur couverture estoit plus grande d’une bonne targe : et apres que les mariniers les eurent tuees ilz en firent plusieurs viandes & disoyent que aultreffois en avoyent mangé au goulfe de argin ou aussi il s’en trouve mais non pas si grandes et je vous dys que encores moy pour prouver plusieurs choses j’en mengay et me semblerent bonnes et ont la chair blanche : comme est celle d’ung veau elles rendoyent si bonne odeur et saveur que nous en salasmes beaucoup et nous firent en partie une bonne munition pour nostre voyage Je mengay aussi en mon premier voyage de la chair des elefans laquelle je ne trouvay gueres bonne & si peschasmes sur la bouche de cestuy fleuve et aussi dedans : ouquel nous trouvasmes si grande quantité de poissons qu’il est incredible a le dire : desquelz plusieurs d’eulx jamais nous n’avions veu ilz estoyent tresgrans et bons ledit fleuve est grant de sorte qu’il y pourroit entrer ung navire de cent cinquante botes : Et est large d’ung traict d’arc la pour esbat nous demourasmes deux jours et nous fournismes des choses dessusdictes avec coulombs que nous tuasmes sans nombre. En notant que en la premiere ysle ou descendismes la nommasmes l’isle de bonne veue pource que c’estoit la premiere veue de terre en ceste part la. Et ceste autre ysle qui sembloit estre plus grande de toutes quatre mismes nom l’isle de sainct jacques pource que le jour de sainct jacques et saint Phelippe nous arrivasmes a icelle ysle a mettre ancre.

¶ Des deux palmes et de la navigacion du fleuve de Gambra.

Chapitre .xl.

.xxvi. Les choses dessusdictes ainsi faictes le jour susdit sainct jacques passasmes lesdictes isles en tenant la volte du chef verd & en peu de jours par la grace de dieu vinsmes a veue de terre a ung lieu qui s’appelle les deux palmes qui est entre ledict chef verd et le fleuve de senega et ayant bonne congnoissance de la terre nous courusmes ledict chef verd le matin ensuyvant nous le passasmes et navigasmes tant que nous arrivasmes une autre fois au fleuve de gambra dessus nommé auquel en brief entrasmes & sans contradition de mores et de leurs almadies navigasmes de jour amont par ledict fleuve en tousjours tastant le font. Nous trouvasmes aucuns almadies de mores lesquelles touteffois alloient au long des rives dudict fleuve & environ deux lieues & demie nous trouvasmes une petite isle a maniere d’une montaigne et s’est faicte par ledit fleuve de laquelle apres que eusmes mis l’ancre par ung dimenche deffaillit de ceste vie ung des nostres mariniers lequel par plusieurs jours avoit esté malade de fievre & combien que sa mort a tous nous autres nous grevast neaumoins voulans ce que a dieu plaist nous l’ensevelismes & mismes en ceste ile lequel avoit nom André & a cause de ce nous intitulasmes cestedicte isle l’isle de sainct andré affin que desormais elle fust ainsi apellee en partant de cest isle & tousjours navigant sus ledict fleuve aulcunes almadies de Mores nous suyvoient de loing parquoy nous faisions dire par noz truchemens a ces mores en leur monstrant aucuns draps rouges de soye et autres choses en leur disant que asseurement ilz se approchassent de nous et que nous leur en ferions presens & qu’ilz n’eussent de nous paour que estions gens humains & traictables & iceulx mores peu a peu s’approcherent & prindrent quelque assurance au dernier ilz vindrent a ma caravelle & ung de ces mores entra dedans pource qu’il entendoit le parler de mon truchement & cestuy More moult se esmerveilloit de nostre navire et la maniere de naviguer avec les voylles pource que ilz ne voguent leurs almadies sinon avec avirons & croient que aultrement ne se naviguoit et si estoit aussi bien esbahy de nous veoir blancz & non moins de veoir noz habitz qui leur estoit merveilleux et moult different des leur/ & principallement pource que la plusgrande partie de eulx trestous vont tous nudz et si aulcun de eulx va vestu/ il est vestu de ces chemises blanches de coston nous fismes grant chere a ce More en luy donnant plusieurs merceries dequoy il fut trescontant de nous & nous luy demandasmes de plusieurs choses & au dernier il nous afferma cestuy pays estre le pays de Gambra et que leur principal Seigneur estoyt Farosangoli lequel il disoyt demourer depuis le fleuve par terre vers le midy/ & siroch de neuf a dix journees lequel farosangoli estoit soubmis a l’empereur de melly qui estoit le grant empereur de Nebel et que neaumoins il y avoit plusieurs autres seigneurs moindres de luy qui habitoient aupres ledit fleuve aussi bien d’ung costé que d’aultre & si nous voulions il nous meneroit a l’ung de cesdictz seigneurs : Lequel s’appelloyt Batimaussa & qu’il traicteroit avec ledict seigneur qu’il voulsist prendre amytié avec nous pour autant que luy sembloit que nous estions bonnes personnes : son offre a nous autres nous pleut molt bonne compaignie jusques a tant que nous fussions arrivez audict lieu de Batimaussa lequel selon nostre jugement estoit loing depuis la bouche dudit fleuve environ quinze lieues et plus.

¶ Comment le seigneur Batimaussa eut bonne paix avec nous.

Chapitre .xli.

C’estassavoir que en allant sus ledict fleuve nous allions par levant et cestuy lieu ou nous meismes anchre estoit beaucoup plus estroit que la bouche a nostre jugement il n’estoit point plus large que de demye lieue & cestuy fleuve faict beaucoup de branches/ lesquelles apres se mettent dedans et apres que nous feusmes arrivez a cestuy lieu nous deliberasmes d’envoyer avecques se more l’ung des nostres truchemens audict seigneur batimaussa et luy envoyasmes une zupe de soye moresque pour luy en faire present qui vault a dire en nostre langaige une chemise laquelle estoit assez belle : et faicte en terre de mores et luy envoyasmes dire comme nous estions venuz par le commandement de nostre sire le roy de portugal crestien pour faire bonne amytié et pour entendre de luy s’il avoyt besoing des choses de nostre pays & que chascun an nostre roy luy envoyeroit & avec autres parolles le truchement alla avec ledict more & pour abreger il fut avec ledit seigneur et de la nous ne partismes que non pas seullement eusmes son amytié/ mais nous luy vendismes plusieurs choses en change dequoy eusmes certains esclaves mores et certaine quantité d’or mais non pas en estimacion eu esgard a cela que devions trouver par la renommee des mores du royaulme de senega & en effect selon nostre oppinion nous trouvasmes y en estre peu & a les veoir ilz sont povres gens & lequel or est d’eulx molt prisé & selon moy plus que de nous autres pource qu’ilz le estiment pour chose moult precieuse neaumoins ilz en font bon marché eu regard aux choses qu’ilz prenoient de nous .xxvii. a l’encontre de luy et la demourasmes environ quinze jours & en ce temps la venoient a nostre caravelle plusieurs de cesdictz mores qui habitoient d’une part dudit fleuve et qui venoit pour veoir chose moult nouvelle a eulx et jamais non veue par le temps passé & qui venoit pour achepter & vendre aucunes de leurs merceries ou quelque petit aneau d’or les merceries qu’ilz portoient estoient premierement de coton filaces de coton & draps de coton fillez a leur mode aulcuns estoient blancz autres de diverses couleurs comme vers blancz azurs & rouges moult bien fais Item ilz portoient moult grant quantité de marmotz et de chatz baboins grans et petis de diverses sortes : et en cestuy pays s’en trouve grant quantité et les donnent pour moins de .xii. liars a change de quelque chose nous leur baillons. Item ilz apportoyent a vendre de la civete et donnoient une once de civete a l’encontre d’une chose qui povoit valoir dix solz. Non pas qu’ilz le vendent au poix. mais je le dys pour estimacion et aultres nous aportoient fruictz de diverses sortes et entre les autres moult de dattes petis & sauvaiges/ toutesfois on en mengeoit et plusieurs des nostres en mengerent et les trouverent de diverses saveurs mais moy je n’en voulu point mangier pour doubte du flux de ventre : et en ceste maniere chascun jour nous avions gens nouveaulx dedans noz caravelles : et de divers langaiges jamais ne cessoient d’aller hault et bas par cestuy fleuve avec leurs almadies de lieu en lieu : ou avec femmes et hommes a la façon des nostres par deça sur les rivieres : mais tout leur navigaige si est par force d’avirons & en vagant ilz sont tous en piedz autant d’une bande comme de l’autre & ont tousjours ung d’avantaige qui vogue de derriere/ ores d’ung costé ores d’ung aultre : affin de tenir leur almadie droicte leur vogue si est sur leur piedz a force de bras sans apuyer l’aviron et l’aviron est faict en ceste maniere. Ilz ont une lance en maniere de demie lance longue d’ung pas et demy et au bout de ceste lance ilz fischent ou voyrement tient ung taillouer rond et avec ceste sorte d’aviron ilz voguent tres vistement leurs almadies par la coste de la mer a terre et ont beaucop de bouches de petis fleuves ou ilz se mettent & vont asseurement : mais continuellement ilz ne se eslargent gueres de leur pays car ilz ne vont pas asseurement de pays en autre pour non estre prins de mores et venduz pour esclaves & au bout de certains jours nous deliberasmes de partir et de venir a la bouche dudict fleuve pource que plusieurs de noz gens commençoient a devenir malades d’une fievre chaulde et aguë : et soubdainement nous partismes.

¶ Des elefans sauvaiges et en quelle maniere ilz les prenent.

Chapitre .xlii.

Des choses qui se pevent dire de cestuy pays par cela que nous vismes et par information que nous eusmes en celuy peu de temps que nous demourasmes la : Premierement de leur foy elle est communement ydolatre en diverses manieres en donnant grande foy aux enchantemens & autres choses qui sont dyaboliques : mais tous congnoissent dieu aussi y en a qui sont machometains et telz ceulx sont qui vont par le monde par les pays de mores et ne sont fermes au pays : les païsans qui ne vont par le monde ne sçavent riens de la maniere de vivre de ceulx icy tous ces manieres de gens icy se gouvernent en la maniere des mores du royaulme de Senega et mangeussent de telles mesmes viandes sinon qu’ilz ont plus ris pource qu’il n’en croist point au pays de celuy de senega ilz mengeussent aussi de la chair de chiens et jamais n’ay ouy dire qu’il s’en mengeast que la. Les vestemens de ceulx cy est de coton fors que les mores de senega vont quasi tout nudz : les femmes se vestent semblablement comme celles de Senega fors qu’elles prenent a plaisir quant elles sont petites d’eulx faire aucuns signes percez en la chair & aucuns sur la poictrine & aucuns sus le bras & autres sus le col : lesquelz semblent de ces ouvrages de soye que ce souloient user faire sus les mouchouers & font avec feu et jamais en aucun temps ne s’en vont ceste region est moult chaulde et tiennent que tant plus on va soubz ostro que tant plus sont pays chaulx et especiallement en cedict fleuve faisoit plus grant chault qu’en la mer pour estre ocupee par beaucop d’arbres tresgrans qui sont par tout celuy pays et de la grandeur de ces arbres je vous dis que nous tous prismes de l’eaue d’une fontaine qui estoyt aupres la rive dudict fleuve et aupres d’elle y avoit ung arbre tresgrant & moult gros. Mais la haultesse n’estoit a raison de la grossesse pource que nous jugeasmes qu’il n’estoit point plus hault de vingt pas et la grossesse estoyt de dix et sept Laquelle nous fismes mesurer & estoit noueux en plusieurs lieux et avoit les branches moult larges et longues par façon qu’il faisoit grande umbre a l’entour de lui et s’en trouve de plus grans parquoy povez entendre que par la vertu de telz semblables arbres la vertu du pays estre bonne et fertille : pour estre arrousee de beaucoup d’eaues qui le arrousent.

.xxviii. En cestuy pays se trouve grande habondance de elefans & j’en ay veu trois vifz qui estoyent sauvaiges pource qu’en cestuy pays ilz n’ont pas l’art de les faire domesticques comme on faict en autres parties du monde Et quant nous les vismes saillir hors du boys nous estions dedans nostre caravelle au meilleu dudit fleuve et aucuns de nous saillirent et se misrent dedans la barque pour aller a eulx pource qu’ilz n’estoyent gueres loing de nous mais des ce qu’ilz nous eurent veuz ilz retournerent en leur boys. apres j’en viz ung petit qui estoit mort Lequel ung noble seigneur de celuy pays qui s’appelloit Guinimensa qui demouroit environ la bouche dudit fleuve de gambra pour me complaire avec plusieurs mores alla chasser & le print & furent deux jours a le poursuivre. Ces mores vont a la chasse a pied Et ne portent autres armes pour le frapper que des azagayes desquelles en est parlé cy dessus et arcs Et toutes leurs armes qu’ilz tirent sont envenimees : & sachez qu’ilz vont trouver ces elefans aux boys en lieux fangeux ou ilz se trouvent continuellement pource qu’ilz sont de la nature du porc qui voulentiers se tient a la fange Ces mores se mettent derriere des arbres & ferissent les elefans ou avec sayettes ou voirement avec azagayes envenimees et vont saultant & fuyant d’ung arbre en autre en maniere que l’elefant qui est beste fort grosse avant qu’il se puisse tourner il se trouve estre blecé de plusieurs En ceste façon il se treuve fort blecé sans ce qu’il se peve deffendre Je vous dis bien que au large ou il n’y eust arbres il n’y a homme qui se osast approcher de luy que l’homme ne sçauroit courir si fort que l’elefant ne le joignist en allant son pas est moult long et quant il est persecuté et il arrive que par fortune il trouve l’homme en la planure et il le joigne avec luy il ne luy faict mal que de sa trombe grande de son museau qui est quasi semblable a celuy du porc combien qu’elle soit autrement pource que la trombe du museau du porc n’est mobile comme est celuy de l’elefant laquelle est comme une levre gros et dur : laquelle il tort : & alonge et acourcist comme il veult Et cela ne faict pas le porc en façon que en acueillant l’homme avec ceste trompe il le gecte si hault que avant que l’homme tombe en terre il est ja pieça mort : & ceci j’ay ouy compter a plusieurs mores. Non pourtant l’elefant n’est pas furieuse beste a l’homme qui ne le persecute Cestuy petit elefant veiz mort en terre lequel n’avoit les dens longues que trois paulmes et ses dens se remettoyent dedans la machouere de une paulme : parquoy sembloit qu’ilz n’eussent que deux paulmes de dens parquoy disions qu’il estoit bien jeune pource qu’il en y a qui ont de longues dix ou douze paulmes de dens. Et pour petit qu’il fust nous jugeasmes qu’il avoit chair pour autant que ont quatre ou cinq beufz des nostres Cestuy elephant me fust donné par cestuy seigneur : c’estassavoir que j’en prinsse telle partie que je vouldroye et la reste que la donnasse aux veneurs pour menger Et apres que j’euz entendu par les mores que la chair des elephans estoit bonne pour menger j’en feiz tailler une piece par embas : De laquelle je mengay dedans ma caravelle de rotie et bouillie/ affin de prouver plusieurs choses Et aussi pour dire que j’avoye mengé de la chair d’une beste que nully de ma ville n’avoit mengé : laquelle chair en effaict n’est gueres bonne : elle me sembla dure et sans goust & j’en portay a la caravelle ung pied & partie de la trombe & si tiray plusieurs poilz de son corps qui estoyent noirs et longs une paulme et demye et plus et estoyent moult gros desquelles choses avec aulcune partie de la chair en feiz present audict seigneur don hurich de portugal Lesquelles choses il receut pour ung grant present pource que s’estoit la premiere chose qu’il avoit eue de ce pays la : et aussi qu’il se prisoit beaucoup d’avoir telles choses estranges que luy venoyent estre presentees de si loingz pays descouvers pour son industrie.

¶ Des piedz et jambes de l’elephant et [du] poisson cheval.

Chapitre .xliii.

Et fault que vous entendiez que le pied de l’elephant est rond a l’entour et quasi comme le pied d’ung cheval : la solle du pied est noire & tresgrosse il a cinq ongles a l’entour dudit pied et sont rondes et de longueur ung petit plus que ung grant blanc : et si n’estoit le pied de cestuy elephant petit : mais il estoit large plus d’une paulme & demye soubz la solle en toute carreure : pource que comme j’ay dit il est tout rond. en notant que par ledit seigneur more me fut aussi donné ung autre pied d’ung elephant lequel mesuray plusieurs fois soubz la solle presens beaucop de personnes & je le trouvay large de trois paulmes : & avoit de tous costez ladicte largeur Lequel aussi je presentay audit seigneur Infant don hurich avec une dent de elefant laquelle estoit longue de douze paulmes et moult bien faicte laquelle avec ledit pied ledit seigneur Infant envoya presenter a la duchesse de Bourgoigne pour ung grant present Aulcun ne doit croire que l’elefant jamais ne se mettoit a genoulx Comme j’ay .xxix. ouy dire aultreffois/ mais est le contraire/ car ilz vont et se gettent et lievent comme faict une aultre beste Encores en ce fleuve de gambra et aussi en plusieurs fleuves de cedit pays oultre les colcatrices et aultres diverses choses qui la se trouvent il se trouve une beste qui est appellé poisson cheval Ceste beste est quasi de la nature de la loutre qui a ceste heure se tient en l’eaue et a ceste heure en terre et de ces deux elemens se nourrist & est de ceste nature C’est a sçavoir de telle forme Il est long de corps comme une vache et court de jambes et a les piedz fendus sa teste est de la forme d’ung cheval et a deux dentz grandes a maniere d’ung porc sanglier et sont ces dens moult grandes : j’en ay veu de deux paulmes & plus longues/ et aucunesfois ceste beste sault de l’eaue et va en terre comme une beste de quatre piedz de semblables bestes ne s’en treuve aucune part ou se navigue par noz mariniers fors qu’en cestuy pays de mores Encore se trouve en cestuy pays des chauldes souris grandes de trois paulmes & plus & autres oyseaux moult differens des nostres : & mesmement infinis papegaulx Et aussi y a plusieurs poissons en cedit fleuve divers des nostres de tant de goust que de forme toutesfois ilz sont bons a manger.

¶ Du fleuve de casamansa : et du chef rouge.

Chapitre .xliiii.

Comme j’ay dit dessus pour la maladie de noz hommes nous partismes du pays du seigneur batismansa : et en peu de jours yssismes hors dudict fleuve de gambra : et en dehors estant apres que nous eut semblé qu’avions beaucoup de vivres que ce seroit chose louable puis que nous estions la/ que deussions courir ça & la plus oultre par ceste coste par ce que nous avions trois navires : et que s’estoit assez bonne compaignie. ce que fut faict et ung jour environ tierce avec bon vent fismes voyles et pource que nous estions trop engoulfez en ceste bouche du fleuve de gambra et que la terre de la part de Ostro et Garbin se mettoit hors de la mer & la se faisoit un chef nous tinsmes a la volte de ponent pour nous en mettre hors & entrer en la mer : & toute la terre se monstroit toute basse et copieuse de infinitz et grans arbres vers Et apres que fusmes au large dans la mer nous descouvrismes cela n’estre ung chief pour en faire mencion Pource que oultre la poincte on veoit la terre tout du long de la coste Neantmoins nous allions au large de ceste poincte pource que a l’entour d’elle se veoit la mer rompre plus de deux lieues Parquoy continuellement en allant tenions deux hommes a la proue et ung autre sur l’arbre d’en hault pour descouvrir rochers ou aultres secques en navigant seullement le jour avec peu de voylles avec grant regard et de nuyt nous mettions l’ancre et chascun de nous trois avoit son jour pour aller devant/ car chascun eust bien voulu que son compaignon fust allé devant : et ainsi navigant par deux jours par celle coste tousjours a veue de terre Et le troiziesme jour nous descouvrismes la bouche d’ung fleuve assez grant selon que monstroit ladicte bouche qui estoit de plus de demy quart de lieue et en allant plus avant environ la nuyt eusmes veue d’ung petit goulfe et ressembloit quasi a la bouche d’ung fleuve & pource qu’il estoit nuyt nous mismes l’ancre et le matin fismes voilles/ et apres que nous fusmes ung petit dedans ledit goulfe nous descouvrismes la bouche d’ung grant fleuve et nous sembloit qu’elle fust ung peu moindre que celle du fleuve de gambra/ et aux rives dudit fleuve sembloit y avoir plusieurs arbres vers Parquoy nous en approchasmes et la demourasmes aupres ladicte bouche et chascun de nous mist hors sa barque avec noz truchemens pour envoyer en terre pour sçavoir nouvelles du pays et le nom de cestuy fleuve et aussi qui en estoit seigneur et pour abreger les barques y allerent et retournerent : et ceulx qui estoyent dedans nous dirent que ledit fleuve s’appelloit le fleuve de casamansa C’est a dire le fleuve de ung seigneur nommé casamansa more : lequel habitoit dedans ledit fleuve environ huit lieues Mais que le seigneur ne se trouvoit point la : pource qu’il estoyt allé a la guerre contre ung sien voisin ce que par nous ouy le jour ensuivant nous partismes de la en notant depuis ledit fleuve de gambra jusques a cedit fleuve de Casamansa y a environ [vingt] cinq lieues.

¶ Des fleuves trouvez en ceste coste : et des gens qui y habitent.

Chapitre .xlv.

Apres que fusmes partis de cestuy fleuve de casamansa suivant la coste nous arrivasmes a ung chef lequel a nostre jugement est loingtain de la bouche dudict fleuve environ cinq lieues : et cestuy chef est un petit plus hault que la terre de la coste & monstroit son fronc estre rouge & pour cela nous lui mismes a nom le chef rouge Et apres en naviguant par ladicte coste pervinsmes a ladicte bouche de ung fleuve .xxx. assez raisonnable & a nostre jugement il estoit large d’ung trait d’arbalestre il ne nous chalut gueres d’essayer qu’il y avoit dedans et l’appellasmes le fleuve de saincte Anne Nous passasmes par ledict fleuve mais toutesfois en navigant tousjours a nostre chemin vinsmes a ung aultre fleuve touteffois en ladicte coste lequel ne nous sembla point moindre de celuy dessudict a cestuy mismes nom de sainct Dominiam depuis ledit chef rouge jusques a ce dernier fleuve peult estre environ .xv. lieues En apres aussi en navigant par ladicte coste par une journee arrivasmes a la bouche d’ung tresgrant fleuve Je dis si grant au commencement nous le jugeasmes estre ung goulfe Neantmoins on veoit les arbres de l’autre partie dans terre vers ostro laquelle largeur fut jugee estre par nous tous non moindre de cinq lieues et au dessus par ce que nous mismes bonne espace de temps a traverser ladicte bouche/ c’estassavoir d’une terre a l’autre & quant nous fusmes de l’autre partie eusmes veue en mer d’aucunes isles. Parquoy nous deliberasmes de vouloir sçavoir en ce lieu quelque chose nouvelle de ce pays et incontinent mismes l’ancre et le matin ensuyvant vint a noz caravelles deux almadies qui sont quasi comme barque comme cy dessus est dict lesquelles en verité estoient moult grandes et quasi que l’une estoit aussi grande comme l’une de noz caravelles mais non pas si haultes en ceste y avoit plus de .xx. mores et l’autre estoit plus petite et y avoit environ .xvi. hommes. Et nous les voyans venir moult hastivement avec leurs avirons en les doubtant aulcuns de nous prindrent leurs armes en leurs mains pour veoir que vouloyent faire telles gens. Quant ilz furent pres de nous ilz mirent en hault moucheneez blanc lyé a ung de leurs avirons lequel a leur maniere demandoit seurté & nous leur respondismes en telle mesme façon Et apres qu’ilz eurent veu que nous avions faict comme eulx ilz vindrent a nous et la plus grande desdictes Almadies se approcha de ma caravelle et ceulx de dedans nous commencerent a regarder par une grande merveille en nous voyant estre hommes blancs Et regardoient la forme de nostre caravelle avecques l’arbre et l’enthene croisee qui est chose que eulx ne sçavent que c’est a cause que ilz n’en usent point Et nous desirans d’entendre quelle generation estoit ceste icy je leur fis parler par mes truchemens lesquelz jamais aucun d’eulx ne les peut entendre quelle chose ilz disoyent ny moins ceulx des autres caravelles/ dequoy en eusmes grant desplaisir et au dernier ilz se partirent sans le pouvoir point entendre. Nous voyans que estions en pays nouveau auquel nous ne povyons estre entenduz nous conclusmes que de passer plus oultre se seroit chose superflue par ce que nous jugeasmes que en allant plus avant trouverions tousjours nouveaulx langaiges/ parquoy nous ne pourrions faire aucune chose qui vaulsist riens : et parquoy nous deliberasmes de tourner en derriere de ces mores lesquelz estoient en icelles almadies desquelz nous acheptasmes aucuns anneletz d’or a change d’aucunes merceries et sans parler faisions noz marchez l’ung avecques l’autre : & en ceste maniere nous demourasmes deux jours sur la bouche de cedit grant fleuve et la transmontane qui se monstroyt moult basse. et en ce lieu la trouvasmes une contrarieté qui ne se trouve en aucun autre lieu ou naviguent les crestiens. C’estassavoir qu’il s’i faict en cestuy pays une marque d’eaue de montaigne comme est a venise : ou en tout le ponent mais en chascun lieu la ou elle croist en six heures & en autre six elle baisse & si croist aussi en quatre & baisse en huit : et le cours de ladicte marque : quant elle commence a croistre est tant impetueux que c’est quasi chose credible par ce que trois ancres par proue avec grant peine se povoient tenir et fut une heure que ledict cours nous fist faire voylle par force et non sans dangier pource que ledict cours avoit plus de force que les voylles avec le vent.

¶ Comment nous partismes de la par non sçavoir le langaige qu’ilz parlent.

Chapitre .xlvi.

Nous partismes de la bouche de cestuy grant fleuve pour retourner en espaigne en tenant la volte de la mer vers celles isles lesquelles estoient distantes de terre ferme environ huit lieues desquelles en y a deux autres petites ces .ii. grandes sont habitees de mores et sont moult basses mais habondantes de grans arbres et haulx et les habitans ne les peusmes entendre ny eulx nous et au partir desdictes deux isles vinsmes vers nostre pays des chrestiens auquel par noz journees navigasmes tant que dieu par sa misericorde nous conduisit a bon port.

¶ Le second livre de la navigation de lisbone a calichut translaté de langue Portugaloise : en ytalienne et de ytalienne en françoys.

¶ Icy se descouvrent nouveaulx pays avec leurs noms.

Chapitre .xlvii.

Ce que dessus est escript est ce que j’ay entendu et veu au temps que allay es parties dessusdictes. mais despuis moy il y en a esté .xxxi. d’autres principallement depuis la mort dudict seigneur infant don Hurich a envoyé deux caravelles armees/ et en estoyt capitaine Pierre de Sinzia escuyer dudict seigneur : lequel donna commission & chargea audit de sinzia qu’il deust aller avec lesdictes deux Caravelles plus avant que on avoit esté par ceste coste de mores & qu’ilz descouvrissent pays nouveaulx avec lequel pierre de sinzia alla ung jeune homme Portugaloys mon amy lequel avoit esté avec moy mon escripvain aux voyages que avez ouys & au retour desdictes deux caravelles moy loys de cadamosto me trouvant en lachus qui est ung lieu apres le chef sainct vincent. arriva ledict pierre de sinzia & mondict amy lequel vint loger en ma maison lequel me compta de point en point tous les pays qu’ilz avoient descouvers et les noms qu’il leur avoit mis : et les lieux la ou ilz avoient sejourné. Et commenceray au fleuve si grant la ou je avoye esté et duquel m’en party pour m’en retourner en portugal desquelz pays leurs noms & demourances cy dessouz en sera faicte mencion. premierement mondict amy me dist qu’ilz avoient esté a cesdictes deux grandes isles habitees et que en l’une d’icelle ilz descendirent en terre & parlerent avec les mores mais qu’ilz ne furent point entenduz Et allerent a leur habitation & leurs maisons estoient trespovrement acoustrees couvertes de paille & [en] aucunes d’icelles maisons trouverent statues de ydolles de boys et par cela qu’ilz peurent entendre de cesdictz mores ilz sont ydolatres/ et apres qu’ilz veirent qu’ilz ne povoient avoir ne entendre aucune chose de cesdictz mores ilz se partirent d’eulx suyvans leur voyage par ladicte coste et tant feirent qu’ilz vindrent a la bouche dudit fleuve grant et large selon leur jugement d’une lieue et dit que depuis cestuy fleuve grant duquel me party jusques a cedict autre fleuve y peut avoir a son advis quatorze lieues. et dit que iceluy fleuve s’appelle le fleuve de Besague/ a cause d’ung seigneur qui demeure a la bouche d’icelui fleuve. Apres qu’ilz furent partiz de la bouche de cedict fleuve de besague en navigant par ladicte coste vindrent a ung chef auquel [misrent] nom le chef de verga et toute celle coste depuis ledict fleuve de besague jusques audict chef de verga est montueuse non pourtant trop haulte : et sont depuis cedict fleuve jusques au chef de Verga environ .xxxv. lieues : et lesdictes montaignes sont plaines de beaulx arbres et moult grans et on les veoit verdoyer de loing et semble une belle chose de veoir.

¶ Du chef de Sargres avec trois aultres et les noms de tresgrans fleuves.

Chapitre .xlviii.

Et apres passerent par ledict chef de verga et en navigant par ladicte coste par l’espace de vingt lieues : ilz descouvrirent ung autre chef lequel selon le jugement de chascun des mariniers dient estre le plus hault chef que jamais ilz veirent au meillieu de la terre. a cestuy chef y a une poincte haulte aguisee a maniere d’ung diament & tout ce chef est grant et habondant d’arbres vers et misdrent a nom a ce chef sacres en maniere de une forteresse que fist faire la bonne aymee du feu seigneur Infant don Hurich sus une des poinctes dudict chef saint vincent a laquelle il meist nom Sages et s’appelle des portugalloys le chef de Sacres de senega et dyent les mariniers que les habitans de celluy pays estre ydolatres pour l’information qu’ilz en eurent/ et qu’ilz adorent statues de boys en formes d’hommes et dient d’avantaige quant ilz veullent menger ou boyre offrent a leurs ydolles de leurs viandes : ces Mores icy ont aulcuns signes fait avec le fer chault dedans leurs visages & dedens leurs corps & ses mores icy sont plus fort tirans beaucoup sur le gris que sur le noir et vont tousjours nudz et leurs braes sont faictes des escorces d’arbres avec lesquelles ilz couvrent leurs parties honteuses ilz n’ont aucunes armes par ce que il ne se trouve point de fer en leurs pays ilz vivent de ris et de miel et de legumes : C’estassavoir feves et faizeulx et d’autres qualitez des nostres mais plus beaulx et plus gros ilz ont chairs de vaches & de chievres mais non pas en quantité et dyent encores que despuis cestuy chef jusques en la mer y a deux petites isles l’une est distante d’une lieue et l’autre de deux & sont desabitees pour estre petites mais elles sont copieuses d’arbres.

En apres les habitans de cestuy fleuve ont aucunes almadies qui sont tresgrandes dedens lesquelz il y naviguent de trente a quarante hommes par chacune & voguent avec avirons eulx estans sur les piedz comme dessus ay dict/ & cestes gens ont tous les oreilles pertuysees tout a l’entour et a chascun pertuis ilz ont des aneaulx d’or et aussi au neez et quant ilz veullent menger ilz les tirent dehors/ et aussi bien les portent les femmes comme les hommes/ et dient que les femmes des seigneurs ou des hommes d’estime ont de nature leurs levres pertuisees d’aucuns pertuis comme ilz ont les oreilles/ esquelz pertuis lesdictes femmes portent par grant dignité : et pour signification d’estat aneaulx d’or ainsi comme es oreilles lesquelz ilz tirent .xxxii. et mettent a leur bon plaisir Passé ledit chef de sacres environ dix lieues se trouve ung autre fleuve appellé sainct vincent et est large dedans la bouche environ dix lieues et plus avant environ douze lieues et demye par ladicte coste se trouve ung aultre fleuve lequel s’apelle le fleuve verd et est plus grant en la bouche que n’est celuy de sainct vincent : c’estassavoir de plus de dix lieues et a telz fleuves ont estez mis noms par lesdictz navigans de deux caravelles du roy de portugal : et toute ceste coste est pays montueux et a par tout bon cours et bon fons Et apres qu’on passe cestuy fleuve verd environ .li. lieue se trouve ung autre chef et l’apellerent le chef allegre Et cela fut pource que cestuy chef avec le pays semble estre tout alegre : et de cestuy chef allegre commence une coste d’une montaigne : laquelle dure environ lieue et demye & est ceste montaigne moult haulte toute couverte d’arbres vers & haulx Et a la fin de ceste montaigne se trouve en la mer environ deux lieues trois isles et la plus grande peut estre environnee de trois lieues et les appellerent isles sauvaiges : et appellerent ladicte montaigne la montaigne lionne.

Item apres qu’on a passé la coste de la montaigne lyonne tout de la en avant si est terre basse et plaige et y a beaucoup de secques de sablon et du chief de ladicte montaigne plus oultre se trouve ung autre fleuve bien gros : et est large en la bouche environ d’une lieue : auquel misdrent nom le fleuve rouge pource que l’eaue de cedict fleuve se monstroit estre au fons comme rouge a cause de la terre qui estoit rouge : et oultre ledit fleuve y a ung chef et pource qu’il se monstre rouge ilz l’appellerent le chef rouge : et depuis cestuy chef jusques en mer environ deux lieues il y a une ysle rouge.

Item en apres qu’on a passé ledit chef rouge on trouve ung goulfe ouquel est ung fleuve grant auquel misdrent nom le fleuve saincte marie pource que le jour saincte marie de la naige il fut trouve par lesdictz mariniers Et de l’autre part du fleuve y a une poincte au devant de laquelle ung pas dans la mer y a une petite isle et se fait en ceste isle beaucop de bancz bas et areneux qui durent en allant par la rive quatre lieues & la romt la mer et y a la grant courance d’eaue et grant mer qui monte et descent et appellerent ladicte petite isle : isle des bans a cause de ce qu’il y avoit beaucop de secheresses & oultre ladicte isle se fait un chef grant lequel ilz apellerent le chef de sainct anne pource que a cestuy jour il fut trouvé : & depuis ladicte isle jusques a cedit chef cinq lieues et tout ceste coste est plaige et de petit fons.

¶ Des fleuves des palmes avec plusieurs autres.

Chapitre .xlix.

Item oultre ledit fleuve de saincte anne a dixhuit lieues toutesfois par ladicte coste trouvasmes ung autre fleuve auquel ilz misdrent nom le fleuve des palmes pource qu’en ce lieu la y a habondance de palmes/ et la bouche de cestuy fleuve combien qu’elle se monstre estre assez longue si est elle occupee de bancz et de Secques de sablon & l’entree de cestuy fleuve est perilleuse & depuis ledit chef de saincte anne jusques a cedit fleuve c’est tout plaige : ¶ Item apres cestuy fleuve est ung aultre loingtain de dixhuit lieues : & est tousjours plaige par ladicte coste et ont appellé cedit fleuve le fleuve des fleuves. Et cela a esté pource que quant ilz le trouverent par tout celle coste on ne veoit autre chose en terre que fleuves faitz par ceulx du pays & oultre cedict fleuve a cinq lieues tousjours par plaige se trouve ung chef qui se met bien avant dedans la mer Sur cestuy chef semble avoir ung mont hault et l’appellerent le chef de la montaigne. ¶ Item plus avant cedict chef de la montaigne environ deux lieues y a ung aultre chief petit et non hault sus lequel monstre estre une montaignette & l’appellerent chef courtois Et en ceste partie ceste premiere nuit ilz virent plusieurs feux & arbres sur lesquelz y avoit des mores et croyent qu’ilz s’estoient mis dessus iceulx pour non estre prins et aussi pour veoir chose jamais par eulx non veue : et oultre ledit chef courtois a trois lieues tousjours par celle coste y a ung grant bois avec plusieurs arbres qui beuvent jusques sur l’eaue de la mer & au derriere de cestuy boys ilz misdrent l’anchre et aucunes almadies vindrent a la caravelle & y avoit dedans trois hommes par chascune tous nudz lesquelz portoyent en leurs mains aucunes massues aguës & a leurs modes ce sont quasi dars et aucuns d’eulx avoyent certains petis couteaulx & entre eulx tous ilz avoyent deux targes de cuir avec trois arcz & vindrent a la caravelle et ces gens icy avoyent toutes les oreilles tout a l’entour pertuisees et aussi le nez par dessoubz Et aucuns d’eulx avoyent au col aucune reste de dens qui sembloit que fussent dentz d’homme ausquelz fut parlé par divers truchemens mores qui estoyent dedans lesdictes caravelles et jamais ne furent entendus d’une seulle parolle et on ne peult entendre d’eulx aucune chose desquelz mores en furent prins par .xxxiii. les portugaloys et de ces .iii. ilz en laisserent les deux : & cecy estoit pour acomplir le commandement de leur roy lequel leur avoit commandé qu’en la derniere terre la ou ilz arriveroyent eulx non voulant aller plus avant si par adventure ilz n’estoyent entendus avec celle generation qu’ilz trouvassent moyen d’amener aulcuns desdictz mores du pays fust par amour ou par force affin de povoir entendre de luy avec le temps ou par voye de truchemens d’autres mores qui se trouvent en portugal ou voirement par espace de temps qu’ilz apprinssent a parler aulcunes nouvelles de ces mores de son pays Et pour ceste raison ilz retindrent cestuy more pour non vouloir passer plus oultre lequel ilz conduirent a portugal & pour abreger le roy de portugal fist parler a cedict more par divers mores & au dernier d’une seulle femme more esclave d’ung bourgois de lisbonne qui estoit de loingtain pays il fut entendu non pas par son propre langage mais par ung autre langaige que luy & elle sçavoyent & autre chose ne raporta au roi par le moyen de ceste femme que entre choses en son pays y avoit des licornes vives et beaucoup d’autres choses Et apres que le roy l’eut tenu environ trois moys en son royaulme il luy donna aucunes robes et le fist conduire de nouveau dans une caravelle en son pays et de ce dernier lieu depuis n’est passé oultre aulcune navire jusques a mon partement D’espaigne qui fut le premier jour de febvrier mil .cccc.lxiiii. Auquel boys fut mis nom le boys de saincte marie finis Et notez que le .vii. jour d’aoust a mon retour eusmes veue du chef blanc en venant a la volte de terre & depuis avec l’autre volte nous le passasmes le .viii. jour dudict moys environ midy et nous apparut sur la mer a la proue ung tresgrant poisson lequel venoit par l’eaue en faisant grant bruit et tempeste vers nostre volte en aprouchant aucunement a nous apres que eusmes veu une bonne partie de si terrible grandeur par ce que aucunement il se mettoit hors de l’eaue avec sa teste/ et veu par nous la terrible impetuosité qu’il menoit nous estraignismes noz voilles en nous mettant de costé le plus que nous povyons et cherchions de nous eslongner et fouyr de cestuy poisson lequel dieu moyennant ne vint vers nous et passa sur le vent qui estoit sus nous environ ung quart de lieue il passa loing de nous & par cela que nous peusmes veoir ledit poisson quant il se monstroit sus l’eaue il monstroit au baisser de la teste a maniere de elles que devoyent estre espines : lesquelles se baissent toutes derriere apres l’autre qui sembloyent proprement esles de moulin a vent. Sa grandeur par ce que monstroit ne me sembloit point moindre de l’une de noz galeaces de venise grosse & tous les espaignolz lesquelz sont usités de veoir plusieurs balaines lesquelz sont les plus grans poissons dequoy nous ayons congnoissance dyent jamais avoir veu poisson si grant ne si terrible ne que si grant paour luy eussent faict comme fist cestuy cy.

¶ Le temps que se partirent les navires de lisbonne et leur retour.

Chapitre .l.

Les navires que envoya le Roy de Portugal furent trois balonniers tous nouveaulx c’estassavoir deux de tonneaulx quattre vingtz et dix et l’autre de cinquante et plus une petite navire de cent tonneaulx chargee de vinnaille : et celles toutes portoyent neuf vingtz hommes et partirent de lisbonne le neufviesme jour de juillet. Mil quatre cens quatre vingtz et dixsept : le cappitaine de Ghiman le dixiesme de juillet mil .cccc.lxxx. et .xix. retourna en ceste de lisbonne avec l’ung des balonniers portant cinquante tonneaulx le cappitaine vasch demoura au travers de l’isle du chef verd avecques ung balonnier de tonneaulx .lxxx.x. pour avoir mis ung sien frere en terre qui estoit malade a la mort/ et l’autre balonnier de quatre vingtz dix tonneaulx ilz le bruslerent : pource qu’ilz n’avoient pas gens de la povoir naviguer et aussi bruslerent la petite navire : combien que ceste n’eust point a retourner.

¶ Le lieu ou est melinde/ calichut avec plusieurs autres lieux.

Chapitre .li.

A leur retour ilz avoyent hommes malades .lv. d’une maladie qui leur venoit en la bouche et apres descendoit en la gorge : et encores leur venoit une grant douleur es jambes depuis les genoulx en bas Ces gens qui avoyent esté dedans ces navires dessusdictes avoient encore descouvert terre nouvelle oultre le chef de bonne esperance environ .M. huit cens lieues Lequel chef fut descouvert du temps de don jehan roy de portugal Et dela ledict chef allerent bien six cens lieues en costoyant toute la coste populee de mores & ausdictes six cens lieues ilz trouverent ung grant fleuve et a sa bouche ung grant village tout habité plain de mores qui sont comme subgectz de mores qui estoyent demourans dedans la terre & font guerre ausdictz mores : & en leur disant qu’ilz demourassent la une lune & qu’ilz leur donneroyent de l’or infiny : le capitaine n’y .xxxiv. voullut pas demourer mais alla tousjours avant et quant il fut allé .ccc.l. lieues il trouva une grande cité avec murs habitee de mores gris comme mores indians avec tresbelles maisons maçonnees de pierre & de chaulx a la moresque Et la descendirent en terre & le roy d’icelle cité qui estoit more les veit voulentiers et leur bailla ung pillote pour traverser le goulfe et ceste cité s’appelle : Melinde et est assise a l’entour d’ung grant goulfe tout habité de Mores : Et cestuy pillote parloit Italien ilz passerent ledict goulfe pour aller de l’autre costé qui furent .ccccccc. lieues de travers & arriverent a une grande cité de crestiens plus grande que lisbonne qui s’appelle calichut lequel goulfe comme se dict est tout populé de grandes citez et chasteaulx de mores de chascun costé et au bout dudit goulfe y a ung estroit comme a dire l’estroict de rommanie et apres qu’on a passé ledict estroict y a une autre mer : c’estassavoir ung goulfe auquel ja est la mer rouge du costé droict & dela jusques a la maison de la mecque ou est l’arche de Machomet y a .iii. journees par terre et non plus a laquelle maison de la Mecque y a une tresgrande cité de mores mon oppinion est que cestuy goulfe soit goulfe d’arabie Duquel escript pline & que Alexandre le grant fut jusques la pour faire guerre Semblablement les rommains y furent et prindrent tout.

¶ Description de calichut du Roi et de son Palays.

Chapitre .lii.

Et pour retourner a la cité des crestiens qui s’appelle calichut elle est plus grande que lisbonne habitee des crestiens indigenes gris qui ne sont noirs ny blans. En laquelle y a eglises avec cloches. Mais il n’y a point de prestres & ne font office ny sacrifice : mais seullement esdictes eglises y a ung baquet d’eau a maniere d’eaue benoiste & autres baquet ont du baume & baptisent en trois ans une fois en ung fleuve qui est aupres la cité dedans laquelle sont les eglises de pierre & de chaulx faictes a la moresque & sont les rues bien ordonnees & droictes comme est en Italie Le roy de ladicte cité se fait servir moult haultement & tient estat de roy avec grande quantité d’escuyers et chambellans a ung tresbeau palais. Et quant le capitaine desdictes navires arriva la le Roy estoit dehors ladicte cité a ung chasteau loing d’icelle cinq ou six lieues et incontinent qu’il eut entendu la nouvelle des crestiens qui estoient la venus : il s’en vint a la cité avec cinquante personnes et troys jours apres envoya appeller le capitaine qui estoit en la nef et incontinent il descendit a terre avec douze hommes et environ cinq milles personnes l’acompaignerent depuis la rive de la mer jusques au pallays du roy a la porte duquel il y avoit dix portiers avecques masses fournies d’argent depuis allerent jusques a la chambre dedans laquelle estoit le roy et se gisoit sur ung lict bas le plancher de ladicte chambre estoit tout a l’entour du lict couvert de veloux verd et la muraille de ladicte chambre toute tapissee de damaz de diverses couleurs/ le lict estoit couvert d’une coulte blanche bien fine ouvré toute de fil d’or : et avoit dessus le lict ung pavillon moult riche : et soubdainement le Roy demanda au capitaine qu’il alloit cerchant Le capitaine luy respondit que la coustume de ces chrestiens estoit quant l’embassadeur disoit son embassade a aulcun prince elle estoit secrete & non publique : a l’heure le roy envoya tous ses gens dehors le capitaine luy dist comme il y avoit grant temps que le roy de portugal avoit eu notice de sa grant haultesse & comment il estoit roy crestien & desiroit avoir son amitié & l’envoyoit visiter comme il est de coustume de faire entre les Roys crestiens le roy receut benignement l’embassade depuis envoya le capitaine reposer dedans la maison du more moult riche.

¶ Des espiceries et marchandises avec les monnoyes de calichut.

Chapitre .liii.

En laquelle cité y a infiniz marchans mores tresriches Et tout le train de marchandise est en leurs mains ilz tiennent une petite mosquee tresbelle. Leur roy est regy et gouverné du tout par les mains desdictz mores/ ou par voye de presens qui luy font par industrie toutes les espiceries se trouvent toutes en cestedicte cité de calichut c’estassavoir canelle poivre clou de giroffle gingembre : encens : lacque : du bresil y a infiniz boys neaumoins ladicte espicerie ne croist pas la/ mais croist dedans certaines ysles loingtaines de ladicte cité environ .cxl. lieues lesquelles isles sont aupres de la terre ferme a une lieue du costé de ladicte cité on y va par terre en vingt jours et sont habitees de mores et non des crestiens et lesdictz mores en sont seigneurs Neantmoins toutes lesdictes espiceries se conduisent dedans ladicte cité dedans laquelle est estape desdictes espiceries. les monnoyes qui plus se despendent sont sarraffis d’or fin monnoyé du souldan qui poisent deux ou trois grains moins que le ducat & en ladicte cité on les appelle sarraffins & s’il y a aucuns ducatz venitiens & genevois et y a monnoye d’argent bien petite qui aussi dict estre du souldan Il y a aussi draps de soye/ veloux .xxxv. de toutes couleurs veloutez : satins : damatz : taffetaz : tapis veloutez futaines cotons ouvrez estaing labouré Ilz ont de toutes choses en habondance/ & mon oppinion est que lesdictz draps y sont conduitz du chaire.

¶ Des navires qui passent sur la calamite avec le pris des espiceries.

Chapitre .liiii.

Ces portugaloys demourerent en ladicte cité de calichut depuis le .xix. jour de may jusques au .xxv. jour d’aoust. Dedans lequel temps ilz veirent venir ung nombre infini de navires et dient qu’il y en vint bien mil cinq cens qui vont au traffigue de l’espicerie & les plusgrandes navires ne passent point .cc. bottes de portee : & y en a de plusieurs sortes grandes & petites lesdictes navires n’ont point d’arbres : & ne pevent aller sinon a poupe aucuneffois ilz demourent quatre ou cinq mois pour attendre le temps & beaucoup s’en perist/ elles sont d’estrange maniere & moult debilles elles ne portent point d’armeures ny artillerie : & les navires qui vont aux isles de l’espicerie/ affin qu’elles demourent aupres la cité elles ont le fons bien plain et demandent peu d’eaue & y a aucunes navires qui sont faictes sans aucun fer pource qu’elles ont a passer sur la calamite laquelle est ung peu dela desdictes isles Toutes lesdictes navires quant elles sont devant ladicte cité/ elles demourent au sec dedans la fange & les y mettent quant la mer est grande affin que l’yver elles soyent asseurees de la mer par ce qu’il n’y a pas bon port : la mer y croist & descroist de six heures en six heures & aucuneffois il s’i trouve des navires cinq ou six cens qui est grant chose Le poix de la canelle qui est cinq quintaulx/ vault dedans ladicte cyté de dix a douze ducatz au plus hault pris & dedans lesdictes isles ou elle se recueille elle ne vault que six ducatz ainsi est le poivre et clou de giroffle le gingembre la moytié moins : la lacque ne vault quasi riens tant en y a & la chargent pour enfondrer les navires & semblablement le bresil duquel y en a bois infiniz et ne veullent avoir leur payement sinon en or ou argent Aussi y a du coral Les marchandises de deça ilz estiment peu fors les draps de lin & croy que qui en meneroit il en seroit bon marchant pource que les mariniers vendirent aucunes leurs chemises a change de l’espicerie combien qu’il y ait toilles fines et blanches. lesquelles toylles doyvent venir du chaire & y a la dohane comme a nous et d’entree ilz payent cinq pour cent des joyaulx ilz en apportent peu : & n’est chose qui vaille par ce qu’ilz n’avoient ny or ny argent pour contracter/ combien qu’ilz dient qu’elles soient la cheres et semblablement les perles et mon oppinion est que la il y en a bon marché/ mais celles que les portugalloys veirent estoient es mains de ces marchans mores et ce qui ne vault que ung ilz les veullent vendre quatre comme ilz ont acoustumé de faire. Touteffois ilz ont apporté aucuns balais saffirs & certains petis rubis & y avoit en granade ilz dyent que le capitaine en apporta des riches il les achepta de son argent et toutes les vendit pour joyaulx.

¶ De la mecque le mont Sinaÿ la mer Rouge.

Chapitre .lv.

Les navires qui chargent les espiceries en ladicte cité des crestiens la plusgrande partie vont avec lesdictes espiceries sur ledict goulfe que passerent les portugalloys lequel est moult grant et aussi passe celuy estroit Et depuis avec les autres navires plusieurs ilz passent la mer rouge : & de la ilz vont a la maison de la mecque & y a trois journees et depuis au chemin du chaire & passent au pied de la montaigne de sinaÿ et apres par le destroict du sablon ou ilz dient que aulcuneffois avec grant vent se leve par ledit sablon en hault : & quant il achept il couvre tout ce qui trouve Aussi aucunes navires vont par toutes les citez de ce goulfe & aussi aulcunes a celuy fleuve lequel nous trouvasmes tout populé de mores & sont quasi subjectz aux mores qui demourent dedans la terre & leur font guerre Noz gens trouverent en ladicte cité des crestiens des malvoisies de candie dedans des barilz a mon jugement elle estoit conduicte du chair comme les autres marchandises il y a environ quatre vingtz ans que en ladicte cité de calichut arriverent certaines navires des crestiens blancz avec cheveulx longs comme ont les almans & la barbe avoient entre le nez et la bouche la reste estoit toute rasee comme font en constantinoble ceulx qui suyvent la court & appellent icelles moustaches & avoient des hommes armez de coraces couvertes de chapeaulx de fer & banieres certaines armes en façon d’une hasche en leurs navires avoyent de l’artillerie plus petites que celles qui se usent a present & depuis ont suivy d’y aller de deux ans en deux ans une fois avecques .xx. ou vingt et cinq navires Ces gens icy ne sçavent dire quelz gens ce sont ne quelles marchandises ilz y portent sinon toilles moult fines & chargent leurs navires d’espiceries lesquelles sont de quattre arbres comme ceulx d’espaigne Si c’estoient allemens il en seroyt .xxxvi. aucune notice ilz pourroyent estre du pays de la roussie selon aucuns qui entendent aucune chose de la mer Neantmoins nous atendons tout sçavoir par cestuy pillote more qui parle ytalien que leur donna le roy more qui vient dedans les baloniers du capitaine et y est contre sa voulenté.

¶ Les viandes que use le roy de calichut et le peuple dudit calichut.

Chapitre .lvi.

En ladicte cité de calichut des Chrestiens les mores avec leurs navires y apportent assez pain Et pour trois ou quatre deniers ung homme en auroit assez a souffisance pour ung jour ilz ne font point leur pain levé & iceluy est faict en façon de gasteaux/ et le cuisent soubz la braise jour pour jour aussi il y a quantité de ris aussi y a vaches & beufz : mais petis : ilz font laict et beurre : il y a aussi des oranges assez mais toutes doulces lymons : cytrons : cedres : pommes moult bonnes : dates fresches et seiches & aussi beaucoup d’aultres fruitz : le roy de ladicte cité ne mengeue chair ne poisson ne aultre chose qui souffre mort aussi font ceulx qui suivent sa court et les hommes de bien pource qu’ilz disent que nostre seigneur jesucrist commanda en sa loy qui tue soit tué & par cela ne veullent manger chose qui preigne mort Le peuple mangue chair et poisson il ne leur en chault de riens mais de la chair de beuf ilz n’en mengeussent point mais en tiennent grant compte par ce qu’ilz dyent qu’ilz sont bestes de benediction. Et quant ilz passent par une rue ilz leur touchent avec la main/ et puis la baisent Ledict roy mengeue ris : lait : et beurre : pain de grain et moult d’aultres choses semblables Ceulx qui suivent sa court et les gens de bien mengeussent des choses dessusdictes. Le roy se fait servir haultement comme appartient a ung roy : il boit vin de palme avec ung verre d’argent et le verre ne s’approche point de sa bouche : mais il tient la bouche ouverte et laisse cheoir dedans ledit vin : il y a des poissons de la mesme qualité que nous avons & de toutes sortes qui se trouvent de deça et y a la des pescheurs qui peschent aussi y a il des chevaulx plus grans que deça/ et peu sont prisez desditz crestiens mores.

¶ La cognition qu’ilz ont de jesucrist et du pape.

Chapitre .lvii.

Les chrestiens qui chevauchent sus les elephans desquelz y en y a quantité : et sont domesticques. Le roy quant il va en aulcun lieu a la guerre. La plusgrande partie de sa gent va a pied & l’autre partie sur les elefans Le roy quant il va d’ung lieu a ung autre : il se faict porter sur le col de ses hommes principaulx Toute ceste gent depuis la ceincture de bas va vestue et la plusgrande partie d’iceulx sont vestus de coton pource qu’il y en y a quantité & depuis la ceinture en sus ilz sont tous nudz ceulx qui suivent la court et les gens de bien aussi semblablement : neantmoins ilz se vestent de draps de soye : de draps jaunes et autres couleurs selon sa qualité & aussi semblablement les femmes. toutesfois celles des hommes de bien vont depuis le hault de la ceinture couvertes de draps de soye : & de la ceinture en bas vont couvertes de toilles blanches moult fines & deliees : et les aultres femmes populaires vont descouvertes : Les mores vont vestus a leur mode avec leurs alzubes et balangiens. Alzubes ou balangiens sont vestemens comme ceulx des Albanoys depuis lisbonne jusques a ladicte cité de calichut y a trois mille huyt cens lieues a raison de .iiii. mille pour une lieue Et lesdictes .iii. mille .cccccccc. lieues a la raison que dessus font de milles .xv. mille. & .cc. et autre tour a retourner or a ceste heure se peut estimer en combien de temps se peult faire le voyage a tout le moins il y fault pour le faire .xv. ou .xvi. moys. Et les mariniers de la C’estassavoir les mores naviguent avec la transmontane & avec certains quadrans de boys Et quant ilz traversent ledit goulfe a main droicte leurs pilotes dient qu’il y a unze mille isles et qui s’i mettroit il se perdroit pource qu’elles sont moult basses Ce doivent estre celles que le roy de castille a faict commencer a descouvrir par ses mariniers. Et les habitans de ladicte cité de calichut ont aucune notice de prebstre jehan : mais non trop et ce doibt estre pource qu’il est bien avant dans la terre d’yndie. Ilz ont encores cognoissance comme jhesuchrist nasquit d’une vierge sans peché : et comme il fut crucifié et mort par juifz : et fut ensepvely en Hierusalem et semblablement du pape qui est a romme Autre notice n’ont ilz point de nostre foy. Ilz ont lettres et escripvent en leur langaige.

¶ Le lieu ou croissent les espiceries.

Chapitre .lviii.

Aussi y a infinis dens de elefans Et si faict semblablement beaucoup de coton & sucres et a mon jugement je estime que en ladicte cité n’y a chose de laquelle on n’y puisse trouver : parquoy c’est la plus grant richesse du monde : je croy que le vin seroit bonne marchandise pour ledit pays d’indye : pource que les crestiens le beuvent moult voulentiers. Ilz demandent de l’huylle D’olive. .xxxvii. En ladicte cité se maintient la justice/ celuy qui tue ou robbe ou faict aultre malefice Incontinent il est empallé a la mode de Turquie/ et qui veult tromper il pert toute la marchandise dedans ladicte cité : aussi se trouve de la Civete musquee de l’ambre : storax : bengin : l’isle ou naissent lesdictes espiceries s’apelle l’isle de zallun Laquelle est dela ladicte cité de calichut .clii. lieues les arbres qui portent ladicte canelle sont en perfection. l’isle qui porte le poivre est en terre ferme a l’entour de ladicte cité de calichut : le clou de giroffle vient de plus loing pays : de rubarbe : il y en a assez et d’aultres espiceries menues : le gingembre est en la terre ferme et est toute perfection Ou goulfe qui se dit estre par tout populé et habite mores depuis j’ay bien mieulx entendu : et est la verité que seullement du costé de deça est la population de mores : et de l’autre costé qui est au midy est populé de crestiens indiens blancz comme nous la terre aussi est bien a la rive de la mer comme en plaine terre moult fructueuse de grans blez : fruitz : chairs et d’autres victuailles assez : lesquelz ilz envoyent audit calichut pource que le lieu ou est assis ledit calichut la plusgrande partie est terre de sablon qui ne porte point de blez En celle part il ne regne que deux vens ponent et levant : c’estassavoir en l’iver ponent & en l’esté levant En ladicte cyté y a de tresbons paintres de figures et de toutes choses : ladicte cité de calichut & aussi toutes les autres n’ont point de murailles sinon tresbelles maisons moresques : les rues bien ordonnez En l’isle ou se trouve la canelle en perfection y a beaucop de saffres.

¶ Le pont auquel arrivent les espiceries du souldan.

Chapitre .lix.

Vous avez entendu particulierement les choses qui croissent au pays d’ynde : depuis est venu celuy pillote que noz gens prindrent par force lequel sembloit esclave au dernier il s’est trouvé estre juif ne en alexandrie : ou en celle part luy estant jeune : il passa par terre en ladicte inde : et est marié en Calichut et a femme & enfans il avoit quattre navires : et aucunesfois il alloit en l’armee : il dit choses merveilleuses de celuy pays de leurs richesses : de leurs joyaulx et espiceries : la canelle bonne et fine se fait en autres ysles dela calichut .cl. lieues moult aupres la terre ferme et sont populees de mores Le poyvre : et le clou de giroffle plus de cousté : il dit qu’en cedit pays y a juifz : et aussi y a roys de juifz de dix tribus du peuple judaïcque qui saillit d’egipte : il dit que audit pays a assez peuple de gentilz C’estassavoir gens ydolatres : & qu’il y a peu de chrestiens et cela qu’on dit estre eglises et cloches sont temples a maniere de gentilz : & y a dedans certaines painctures de ydolles et non de saintz : et cela me semble plus vraysemblable de dire qu’ilz ne sont pas crestiens/ car ilz ne font faire le divin office ne n’y a prestres ne sacrifice et n’entens point qu’il y ait d’autres crestiens d’en faire compte par ce que ceulx de prestre jehan sont trop loing de calichut qui est du costé de deça du goulfe d’arabie et confine avec le roy de melindarum : & avec les ethiopiens C’estassavoir avec le souldan de babilone Cestuy prestre jehan tient prestres et en son pays on y faict sacrifice on y garde les evangilles et le decret qui y a esté faict selon celuy que nous autres chrestiens gardons et n’y a pas grande difference a nous aultres. Le souldan tient port de mer en la mer rouge et de alexandrie on va audit port de mer tousjours par terre dudict soubdan et y a bien .lxxx. journees duquel port se deschargent toutes les espiceries qui viennent de calichut. Et la y a une ysle aupres la terre ferme a une lieue laquelle est toute habitee de pescheurs qui ne font aultre chose que pescher perles : en ladicte isle n’y a point aucune eaue/ mais chascun jour y a infinies barques qui vont a ung grant fleuve qui est la : et emplissent lesdictes barques d’eaue toutes combles sans botes ou barilz : et le bestial qui est dedans ladicte isle quant il voit retourner lesdictes barques il s’en va tout incontinent a la marine pour boire dedans lesdictes barques et en autre lieu ne se pesche point de perles sinon en ladicte isle laquelle est deça de calichut soixante lieues et est habitee de gentilz ilz font grant compte de vasches et de beufz et quasi ilz les adorent et qui en mengeroit d’ung ou d’une ilz le feroyent mourir par justice.

¶ Instrumens pour naviguer : et les marchandises qui se mettent a pris.

Chapitre .lx.

Dedans calichut y a ung temple que qui y entre dedans certains jours de la sepmaine et mesmement le mercredy devant midy il meurt pour les choses dyaboliques qu’il voit et ce juif afferme estre vray et trescertain que en cestuy temple y a ung certain jour de l’an que dedans ledit temple se allument aucunes lampes qui semblent deux choses fort difformees de la nature En ceste mer la ilz avoyent les quadrans par lesquelz tous Mariniers pevent facillement congnoistre le lieu la ou ilz sont : Et aussi pour iceulx quadrans comment ilz .xxxviii. se gouvernent/ mais avec aucuns boys escarrez qui semble difficille chose et mesmement quant il fait obscur qu’ilz ne pevent veoir les estoilles ilz ont certains ancres moult petites et ne sçay comme ilz s’en peuvent ayder. Le temon de la navire se tiennent liez avec cordes et sont plus lung que ses estoilles de la navire de troys paulmes toutes les navires de celuy pays se font en calichut pource que en autre lieu n’y a point de boys et les principalles marchandises qui sont bonnes pour celuy pays me semble que ce soyt coral de cuivre mis en oeuvre comme en chaulderons. et poilles de fer : lunettes. Il y a certain pays que une paire de lunettes vallent ung grant pris/ toilles grosses vin huylle brochatz d’or peu aussi de draps de soye : desquelz cestuy juif nous a donné grande lumiere et d’autres choses.

¶ Des elefans et le tiltre du roy de portugal.

Chapitre .lxi.

Cestuy roy de portugal a ung tresgrant courage sus cest affaire. Et a desja fait mettre en point quatre navires et deux Caravelles bien armez pour les envoyer en ce pays de dela au moys de febvrier avec marchandises et faict compte quant le roy de calichut ne vouldroit consentir que les portugalois feissent la le train de marchandise que le capitaine desdictes navires preigne des navires qui sont sur les passaiges autant qu’il pourra/ a mon jugement il en prendra autant qu’il vouldra pour autant qu’elles sont foibles et mal faictes et ne pevent aller sinon a pompe : desquelles navires y en a grande quantité & vont a cestui train de l’espicerie : les principalles bestes de celluy pays sont elefans et avec iceulx ilz font la guerre et mettent sur leur doz certains chasteaulx dedans lesquelz y a trois ou quatre hommes a combatre & l’ung est le principal qui le guide. Et y a aucuns roys qui tiennent chascun mil cinq cens elefans et autres mil autres huyt cens autres moins selon la seigneurie qu’ilz tiennent : ceulx qui en sont venus dient qu’il y a assez joyaulx mais chers eu esgard aux autres marchandises ne le capitaine ne autres n’ont apporté joyaulx qui soyent d’en faire estime et cela me fait croire que la mine desdictz joyaulx n’est point la : esquelle soit plus loing Et iceulx princes et roys de celuy pays prisent assez les joyaulx il y a assés de storax bengin Civete & semblables choses Le roy de portugal a print les tiltres qui s’ensuivent : C’estassavoir roy de portugal roy de la Garbe deça et dela mer en affrique : et seigneur de Ginca [et de la navigation] de la Ethiope de la Arrabe : et de perse : et inde.

¶ Le lieu ou en personne le roy Manuel de Portugal bailla l’estandart royal au capitaine.

Chapitre .lxii.

En l’an mil cinq cens le roy de portugal appellé par nom manuel envoya une sienne armee de navires tant grandes que petites pour les parties d’inde : en laquelle armee y avoit .xii. navires tant grandes que petites de laquelle armee estoyt cappitaine general Pierre aliares : lesquelles navires estoient bien equipees de toutes choses qui leur estoit necessaire pour ung an et demy : desquelles douze navires il ordonna qu’il en demourast dix en calichut & les aultres deux par la Arrabie : affin qu’elles allassent a ung lieu appellé zasfalle : affin de contracter marchandise : lequel lieu se trouve estre au chemin de calichut : et le huytiesme jour du moys de mars audit an mil cinq cens : furent en point par ung jour de dimenche : & allerent au large de ceste cité dedans la mer demye lieue en ung lieu appellé Rastel ou il y a une eglise appellee saincte marie de balleu : ouquel lieu le roy fut en sa propre personne pour bailler a son capitaine l’estandart royal pour ladicte armee.

¶ Item le lundy qui fut le neufviesme dudict moys partit ladicte armee avec bon temps pour son voyage.

¶ Item le quatorziesme dudict moys ladicte armee passa par l’isle des canariens.

¶ Item le vingtdeuziesme dudict moys elle passa par l’isle du chef verd.

¶ Item le .xxiii. dudict moys se partit une navire de ladicte armee & depuis n’a esté veue & ne scet l’on qu’elle est devenue jusques a present.

¶ Comment lesdictes navires de portugal par fortune alloyent ça et la par la mer.

Chapitre .lxiii.

Le vingtquatriesme jour d’avril qui fut le mercredy apres l’octave de pasques ladicte armee eut veue d’une terre de laquelle ilz eurent grant plaisir et arriverent a terre pour veoir quelle terre c’estoit laquelle ilz la trouverent moult habondante d’arbres et de gens lesquelz alloyent par le rivaige de la mer et ladicte armee gecta l’ancre dedans la bouche d’ung petit fleuve et apres que les ancres furent gectees le capitaine envoya gecter ung petit bateau en la mer pour veoir quelles gens c’estoient qui estoyent la : et trouverent qu’ilz estoyent de couleurs perde : c’estassavoir une couleur entre le blanc et le noir/ et bien disposez avec cheveulx longs Et .xxxix. vont tous nudz comme ilz nacquirent sans aucune honte : & chascun d’eulx portoit son arc avec ses flesches comme hommes qui sont en deffence dudict fleuve/ ladicte armee n’avoit aulcun qui entendist leur langaige : et apres que ceulx qui estoyent dedans ledict bateau eurent tout veu ilz retournerent au capitaine & en cest instant il se annuicta en laquelle nuyt advint grant fortune ¶ Item le jour ensuyvant au matin nous haulsasmes noz ancres avec grande fortune & allions vogant la coste par la transmontane : le vent estoit de Siroch pour veoir si nous trouverions aulcun port auquel pourroit demourer ladicte armee finablement nous trouvasmes ung port auquel nous gettasmes noz ancres. auquel nous trouvasmes de ces gens dessusdictz qui alloient peschant en leurs barquetes et ung de noz petis basteaulx alla sur sesdictz pescheurs et en prindrent deux lesquelz ilz menerent au capitaine pour sçavoir quelz gens estoient et comme est dict on ne entendoit point leur langaige ny moins par signe et celle nuyt le capitaine les retint avec luy : le jour ensuivant il les renvoya vestus avec une chemise et ung habillement et ung bonnet rouge. Duquel vestement ilz demourerent moult contens/ et furent esmerveillez des choses qu’on leur avoit monstrees : et apres ledict capitaine les envoya en terre.

¶ Racine desquelles on faict du pain avec aultres coustumes.

Chapitre .lxiiii.

Celuy mesmes jour qui estoit l’octave de pasques le .xxv. dudict moys d’avril le grant capitaine delibera d’ouyr messe & envoya tendre une tente en une place en laquelle il fist ordonner ung autel & tous ceulx de ladicte armee allerent la ouyr messe/ et semblablement le sermon & au lieu ou ilz estoient vindrent plusieurs de ces gens desquelz prochainement j’ay parlé lesquelz dançoyent et chantoient avec leurs cors : & incontinent que la messe fut dicte chascun s’en alla en sa navire : et cesdictz hommes entroyent en la mer jusques soubz les bras en chantant & faisant grant feste et apres que le capitaine eut disné les gens de ladicte armee retournerent en terre en prenant esbatz et soulas avec ces gens la & commencerent a traicter avec eulx de ladicte armee & donnoient arcs et fleches pour des sonnettes & pour des fueilles de papier & pieces de drap/ & tout ce jour la ilz s’esbatirent avec eulx : et trouvasmes la ung fleuve d’eaue doulce : & estoit tard quant nous trouvasmes aux navires. Item l’autre jour delibera ledict capitaine de prendre de l’eaue & du boys : tous ceulx de ladicte armee furent en terre : et les hommes de ce lieu la leur venoient ayder a porter lesdictes eaues et boys. & aucuns des nostres allerent en terre jusques a leur demeure : laquelle estoit loing d’une lieue : et changerent aulcunes choses a papegaulx : & a une racine appellee igname : de laquelle on fait le pain que mengent les arrabes/ ceulx de l’armee leur donnoyent des sonnettes et du papier en payement desdictes choses auquel lieu nous demourasmes cinq ou six jours. La maniere de ceste gent si est ilz sont de couleur entre blanche et noire et vont tous nudz sans avoir honte du monde. leurs cheveulx sont longs & portent la barbe pelee & les paupieres de dessus les yeulx avec les sourcilz ilz estoyent painctz comme figure de couleur blanche : blanc noir/ asur & rouges ilz portoyent les levres de la bouche c’estassavoir celle de dessoubz percee et au pertuys ilz mettent ung os grant comme ung cloud : & aucuns portent une pierre azuree verde et longue les femmes semblablement vont toutes nues sans avoir honte aulcune et sont belles femmes de corps : Elles ont les cheveulx long : leurs maisons sont de boys couvertes de fueilles et de rameaulx d’arbres avec beaucoup de colomnes de boys/ au meillieu desdictes maisons et desdictes columne ilz atachent aux murs des retz de coton : entre lesquelles ilz font ung feu en façon que en une seulle maison il y aura quarante ou cinquante lytz.

¶ Papegaulx qui ont esté trouvez en la terre descouverte.

Chapitre .lxv.

En ceste terre nous ne veismes fer & moins aultre metal et ilz taillent le boys avec pierres et ont plusieurs oyseaulx de beaucop de sortes : speciallement des papegaulx de plusieurs couleurs : entre lesquelz y en y a de grans comme gelines et aultres oyseaulx moult beaulx et de la plume desdictz oyseaulx ilz en font des chapeaulx et des bonnetz qu’ilz portent Ladicte terre est moult habondante d’arbres et d’eaues et de millet : et de ignames : et de coton. En cestuy lieu nous ne veismes aulcunes bestes : la terre est grande/ et ne sçavons si c’est isle ou terre ferme : nous croyons que ce soit terre ferme a cause de la grandeur et y a moult bon aer : & ces gens icy ont des retz et sont grans pescheurs et peschent de plusieurs sortes de poisson : entre lesquelz nous en veismes ung qu’ilz prindrent qui estoit plus grant d’une pipe : et avoit la teste comme ung porc : et ses yeulx estoyent petis : et n’avoit point de dens : & si avoit icelluy poisson les oreilles longues .xl. d’ung bras et larges de demy bras : au bas du corps il avoyt deux pertuys : et sa queue estoit longue d’ung bras : et entretant large et n’avoit aucuns piedz en aucuns lieux il avoit de la peau comme ung pourceau : son cuir estoit gros d’ung doy et sa chair estoit blanche et grasse comme d’ung porc.

¶ Item en cesditz jours que demourasmes la : le capitaine delibera de faire sçavoir au roy de portugal comment ilz avoyent trouvé ceste terre : et d’y laisser deux hommes banis et jugez a la mort lesquelz ilz avoyent en leurdicte armee pour le faire Incontinent ledict capitaine despescha une petite navire qui estoit en ladicte armee : et ceste navire estoit oultre lesdictes .xii. navires : laquelle navire porta les lettres au roy de portugal : lesquelles contenoyent tout ce que nous avions veu et descouvert et apres qu’il eut despesché ladicte navire ledict capitaine alla en terre : & fist faire une croix de boys moult grande : et l’envoya planter en la plaine : et ainsi comme il a esté dit il laissa les deux hommes bannis en cedit lieu : lesquelz commencerent a plorer & les hommes de celuy pays les confortoyent et leur monstroyent avoir de eulx pitié.

¶ Fortune si grande que .iiii. navires se perirent.

Chapitre .lxvi.

Item autre jour qui fut le .ii. de may dudit an Mil .ccccc. l’armee fist voile pour aller a la volte du chemin du chef de bonne esperance lequel chemin differoit d’ung goulfe de mer plus de mil .cc. lieues a raison de quatre mille pour lieue et le douziesme jour dudit moys en allant par nostre chemin aparut une comette vers les parties d’arrabie : avec une raye moult longue Laquelle nous apparut continuellement de nuyt par l’espace de huit ou dix jours.

¶ Item ung dimenche qui estoit le vingt et quatriesme jour dudit moys de may Toute l’armee joincte en allant ensemble avec bon vent avec les voylles avec la moytié de l’arbre sans la petite voylle au moyen d’une pluye que nous avions eue le jour precedent : et ainsi en allant il nous survint ung vent si fort par devant et si soubdainement que nous ne voyons point : jusques a ce que les voylles furent atraversees aux arbres. Et en ce mesme instant ilz se perirent quattre navires avecques tous les gens qui estoyent dedans sans leur povoir donner aucun secours Et les autres sept qui eschaperent elles demourerent quasi comme toutes perdues : et en prenant le vent en poupe avecques les arbres et voilles En demandant misericorde a nostre seigneur En ceste façon allasmes tout ce jour la : et la mer estoit enflee de telle maniere qu’il sembloit que nous allissions dessus les cieulx : & le vent se changea soubdainement Neantmoins la fortune estoit si grande sur la mer que ne fusmes si hardys de mettre les voylles au vent : et en allant ainsi par ceste fortune sans voylles nous perdismes de veue l’ung l’autre en maniere que la navire du capitaine avec deux autres prindrent autre chemin : & une autre navire appellee royalle avec deux autres prindrent ung autre chemin et l’autre qui demoura ainsi seullette s’en alla par ung autre chemin. Et en cette maniere nous passasmes ceste fortune par l’espace de vingt jours sans donner aucunes voilles au vent.

¶ De zasfalle mine de l’or.

Chapitre .lxvii.

Item le .xvi. jour de juillet eusmes veue de terre de l’arabie Et apres que fusmes joignans a la terre nous getasmes noz ancres et la prinsmes du poisson assez. Et nully ne descendit en terre Ceste terre est moult populee Et en icelle vismes plusieurs gens : et a l’heure levasmes les ancres et allions loing de la terre avec bon temps et vismes de grans fleuves et beaucoup de bestes en maniere que tout estoit habité. Item nous allasmes tant avant que nous arrivasmes a zasfalle : qui est une mine d’or : & trouvasmes des hommes avec deux ysles et vismes deux navires de mores qui venoyent de ceste mine d’or : et alloyent a melinde : et comme ceulx desdictes deux navires eurent veue des nostres commencerent a fouyr et donnerent en terre et ilz se getterent tous dedans la mer pour se mettre en terre Et getterent l’or qu’ilz avoyent dedans la mer affin que nous ne leur ostissions et apres que lesdictes deux navires furent prinses par noz gens Le capitaine les envoya veoir et leur demanda de quel lieu ilz estoyent : Et l’ung d’eulx respondit qu’il estoit more cousin du roy de melinde : et que les deux navires estoyent siennes & que il venoit de zasfalle avec celuy or : et avec luy il menoit sa femme et que en voulant fuyr en terre elle s’estoit nyee et semblablement ung sien filz Le capitaine de ladicte armee quant il sceut qu’il estoit cousin du roy de melinde lequel nous avions pour nostre grant amy il en fut fort desplaisant et luy fist beaucoup d’honneur et luy rendit lesdictes deux navires avecques tout l’or qu’on luy avoit osté. Le capitaine more demanda a nostre capitaine s’il avoit avec luy aulcun enchanteur qui tirast l’or qu’il avoit getté dedans la mer nostre capitaine luy respondit que nous estions crestiens : Et que entre nous ne .xli. se acoustumoit point faire telle chose/ en luy demandant que s’estoit de zasfalle lequel n’estoit point encores descouvert sinon par renommee : lequel more luy dist que zasfalle estoit une mine d’or : et que ung roy more le tenoit : lequel demoure en une ysle qui s’appelle Chilloa qui estoit par le chemin par lequel nous avions a aller et que zasfalle demouroit derriere le capitaine se despescha & allasmes a nostre chemin.

¶ Item le .xxi. jour de juillet arrivasmes a une petite ysle qui est au mesme roy de zasfalle mozonbige : laquelle ysle est petite et peuplee en laquelle y a marchans riches/ et en ceste ysle nous prismes vivres pour nous refreschir/ et ung pillote affin qu’il nous menast a chilloa Ceste ysle est ung bon port et est aupres de terre ferme De la nous partismes pour aller a chilloa au long de la coste en laquelle nous trouvasmes beaucoup d’ysles habitees qui sont a ce propre roy.

¶ Item le .xxvi. jour dudit moys nous arrivasmes a chilloa/ auquel lieu se joingnirent noz six navires : l’autre jamais n’a esté trouvee Ceste isle a petite descendue avec la terre ferme et si y a une belle ville avec maisons haultes a la façon d’espaigne. En ceste ville y a de riches marchans et aussi y a beaucoup d’or et d’argent : de l’ambre : musc : & perles Ceulx de la ville vont couvers de draps de coton fin & de soye et de choses moult fines Et sont hommes mores noirs.

¶ Comment apres que le capitaine eut le saufconduit il parla avec le roy.

Chapitre .lxviii.

Ce temps pendant que nous estions audit pont nostredit capitaine envoya demander au roy ung saufconduit lequel incontinent luy envoya Et depuis que ledit Capitaine eut le saufconduit il envoya en terre alfons furtad avec sept ou huyt hommes qui furent bien venuz avec ambassade : Par laquelle il envoyoit dire audit roy comme ces navires estoyent au roy de portugal et qu’ilz venoyent la pour contracter avec luy : et qu’ilz avoyent beaucop de marchandises de plusieurs sortes : et luy envoya dire d’avantaige qu’il auroit grant desir que ilz se entre vissent ensemble. Le roy luy respondit qu’il en estoyt moult content et que le jour ensuivant si ledit capitaine vouloit descendre en terre ilz se verroyent ensemble Alfons furtad luy fist responce que le capitaine avoit commandement de par son roy de non descendre en terre : et que s’il luy plaisoit ilz parleroyent ensemble dedans les basteaulx et demourerent d’accord que le lendemain ilz parleroyent ensemble dedans lesditz basteaulx. Auquel jour ledit capitaine fist mettre en point tous ses hommes les navires et basteaulx avec les banieres estendues de dehors/ et aussi ses Heraulx estoyent en point et son artillerie. Le roy de ladicte ville aussi fist mettre en point aucunes almadies C’estassavoir basteaux et apres qu’ilz furent prestz il entra dedans avec grans esbatemens et sons a leur maniere. Le capitaine estoit dedans ses navires avec ses trompettes & menestriers & quant ce vint au joindre l’ung de l’autre : l’artillerie dudit capitaine estoit toute preste pour tirer ce quelle fist Et tira de sorte pour la grande tempeste qu’elle feist que le roy avec tous ses gens demourerent tous esbahis et espouentez & depuis le roy et le capitaine eurent conferance ensemble de leurs affaires/ et cela faict ilz prindrent congé l’ung de l’autre : et l’autre jour ensuivant le capitaine envoya ledict alphons furtad en terre pour commencer a traicter Lequel trouva le roy moult hors du propos qu’il estoit par cy devant avec ledit capitaine en soy excusant qu’il n’avoit nul besoing de nostre marchandise & sembloit audit roy que nous fussions courciers de mer/ et avec cela s’en retourna ledict alfons furtad au capitaine Et demourasmes la deux ou trois jours : que jamais nous ne peusmes faire chose qui vaulsist en cestuy temps que nous demourasmes la. Le roy ne fist autre chose que d’envoyer gens a terre ferme dedans ladicte isle doubtant que nous ne la voulsissions prendre par force Et apres que le capitaine eut veu cela : il se delibera de s’en partir et commanda qu’on fist voille pour le chemin de bellinde ce que fut fait & trouvasmes du loing de la coste plusieurs isles peuplees de mores dedans l’une desquelles y a une cité appellee monbaza Et en est seigneur ung roy more.

¶ Item toutes ces costes d’arabie sont toutes peuplees de mores et aussi les ysles et ilz dient qu’ilz sont crestiens mais ne nous en sommes point apperceuz.

¶ Comment la lettre du roy de portugal avec le don fut presenté au roy de melinde.

Chapitre .lxix.

Item nous arrivasmes le .ii. jour D’aoust a melinde audit an Mil .ccccc. Auquel lieu y avoit trois navires ancrees de gambaye/ et chascune estoit de portee de .cc. bottes. .xlii. Au fons elles sont bien faictes et de bon boys cousues avec cordes par ce qu’ilz n’ont point de cloubs : et sont empagees d’une misture : et en laquelle y a beaucoup d’encens Et esdictes navires n’y a point de chasteaulx sinon en la pouppe. Cestes navires estoyent venues de la partie D’indie pour contracter : Et aussitost que fusmes arrivez la le Roy nous envoya visiter avec quantité de moutons : poulles : oyes : limons. et orenges : les meilleures qui soyent au monde : par ce que en noz navires y avoit aulcuns malades en la bouche lesquelles orenges les guarirent Incontinent que nous eusmes devant la ville getté les ancres : le capitaine commanda qu’on mist le feu a toutes les pieces de l’artillerie et aux navires mettre les bannieres et envoya en la ville deux facteurs du roy de portugal : & l’ung d’eulx sçavoit parler more : c’estassavoir arabic pour entendre que faisoit le roy et luy faire sçavoir la cause pour laquelle nous venions : et que l’autre jour y envoyeroit son ambassade avec une lettre que le roy de portugal luy envoyeroit : le roy more eut grant joye de nostre venue : et celuy des facteurs qui sçavoit parler arabic a la requeste du roy demoura dedans la ville Le jour ensuivant le roy envoya aux navires deux mores moult honnestes lesquelz sçavoient parler Arabic pour visiter nostre capitaine et luy envoya dire comme il avoit grant plaisir de sa venue en le priant que de tout ce qu’il auroit affaire estant en sa ville qu’il l’envoyast querir comme s’il estoit en portugal : Et que lui & tout son royaulme estoit au commandement du roy de portugal. Le capitaine incontinent ordonna de envoyer dedens ladicte ville les lettres avec le present que le roy de portugal lui envoyoit. Le present estoit cecy C’estassavoir une selle riche/ une paire de testieres pour chevaulx et une paire d’estriers avec les esperons d’argent tous esmailletez et dorez : avec ung poictral sortable a ladicte selle avec cordons et fornimens de cramoisy moult riche. Et ung licoul ouvré d’or fillé pour ung cheval. Et deux oreilliers de drap d’or et autres deux de veloux cramoisy : et ung tappis fin & une piece de tapisserie : et deux pieces D’escarlate. Lequel present dedans Portugal valloit plus de mille ducatz. Et encores y avoit une piece de Satin cramoisi : et une piece de taffetas cramoisi. Le Capitaine eut par conseil qu’il debvoit envoyer ledict present par Areschorea qui alloit pour le roy de Portugal pour son grant facteur : Lequel alla en ladicte ville avecques la lettre et present Et avec luy alloient les plus principaulx hommes avec trompettes le roy envoya semblablement tous ces principaulx pour recepvoir ledict facteur : & les maisons du roy estoyent en la rue du port : & et devant que arrivissions a la maison du roy nous vindrent au devant beaucoup de femmes avec vaisseaulx plains de feu : dedans lesquelz ilz y mettoyent tant de parfumes que les odeurs estoyent par toute la ville & ainsi entrasmes en la maison du roy : en laquelle il estoit assis en une chaire & avec luy avoit plusieurs mores de ses plus principaulx : Le roy eut grant plaisir de nous veoir et luy fut donné le present et la lettre : laquelle une partie estoit en arrabic et l’autre en Portugalloys. Le roy apres qu’il eut leue ladicte lettre parla avec ses mores et entre eulx ilz eurent grant plaisir & tous ensemble gecterent ung merveilleux cry au meileu de la salle en rendant graces a dieu d’avoyr ung si grant roy comme le roy de portugal pour leur amy/ & incontinent il fist emporter le present & fist dire a ceulx qui avoient apporté ledict present & mesmement areschorea qu’ilz demourassent dedans la ville jusques a ce que les navires vouldroient partir : et qu’il avoit grant plaisir de parler avec ledict areschorea : lequel respondict qu’il ne le sçauroit faire sans le congié du grant cappitaine : incontinent le roy envoya ung sien cousin audict capitaine avec ung sien aneau d’or : en le priant qu’il laissast demourer ledict areschorea. et qu’il envoyast querir dedans sa ville tout ce qu’il avoit de besoing Le capitaine de ce fut content & soubdainement le roy bailla audict areschorea ung beau logis : & luy envoya bailler tout ce qui luy estoit necessaire : c’estassavoir moutons : gelines : et ris : laict : et burre dates miel et fruictz de toutes sortes : du pain il ne luy en envoya point : pource que en ce pays ilz n’en mangeussent point & ainsi demoura ledict areschorea trois jours dedans la ville en parlant au roy a toutes heures des choses de nostre roy de portugal & des choses estans au royaulme de portugal : en luy disant qu’il auroit moult grant plaisir de ce trouver avec le capitaine : areschorea luy deist que le capitaine n’avoit point de commission de descendre en terre mais qu’ilz se pourroyent veoir dedans les bateaulx : comme fist le roy de chillea : Le roy recusant a cela areschorea feist tant avec luy qu’il luy mist en teste d’y aller : & l’envoya dire au capitaine : lequel soubdainement se mist en poinct en ses bateaulx en laissant les navires avec bonne seureté : ses gens qui estoient avec luy dedans ledict bateau estoient armez par dessoubz leurs habillemens lesquelz estoient d’escarlate moult fine : le roy fist aprester deux bateaulx : .xliii. et aussi envoya mettre ung cheval a la façon de portugal et les siens ne le sçavoient acoustrer en ceste façon : mais les nostres le misdrent en point le roy descendict par ung degrez : et au bout desdictz degrez tous ses hommes l’atendoient bien richement acoustrés lesquelz avoient ung mouton. & ainsi que le roy montoyt a cheval ilz couperent la gorge au mouton & le roy passa par dessus & tous ses hommes crierent moult fort avec une voix moult haulte : et cela faisoient par cerimonie et enchanterie : et ainsi apres il vint a parler audit capitaine : et apres qu’ilz eurent eu plusieurs parolles le capitaine luy dist qu’il s’en vouloit partir : et qu’il avoit besoing d’ung pillote en le priant qu’il le conduisist a calichut. et le roy luy en bailla ung : & apres que le roy fut en terre incontinent il envoya areschorea esdictes navires avec chair & fruitz pour le capitaine et luy envoya ung pillote des navires de combaye qui estoient audict port. Le capitaine laissa la deux hommes bannis de portugal : affin qu’ilz demourassent a melunde l’ung d’eulx demoura la et l’autre fut envoyé a gombaye. Le septiesme jour d’aoust le capitaine se partit dudict port : et commencerent a traverser le goulfe pour aller a calichut.

¶ Le .iii. livre de la navigation de lisbonne a calichut translaté de langue portugaloise en italienne : & de italienne en françoise.

¶ De la mer rouge/ & de la mer de perse l’isle aggradida.

Chapitre .lxx.

En traversant le goulfe duquel ou dernier chapitre est faicte mencion : nous traversasmes par toute la coste de mellinde/ en laquelle a une cité de mores qui s’apelle Magadasio moult riche & belle/ et plus avant d’elle y a une isle grande avec ung point en terre : laquelle s’apelle zonotore. et allant plus oultre par ladicte coste y a une bouche d’ung estroict de la mecque qui est large d’une lieue et demye et serre ledict estroit : et la dedans est la mer rouge : et aussi la maison de la mecque : & saincte katherine du mont de sinaÿ : et de la on porte les espiceries & pierreries au caire & en alexandrie par ung desert avec dromaderes qui sont chameaulx : et en ceste mer y a beaucoup de choses qui sont dignes d’estre comptees & apres qu’on a passé la bouche dudict estroit de l’autre costé est la mer de perse en laquelle y a de grandes provinces et beaucoup de royaulmes lesquelz appartiennent au grant souldan de babilone : et au meillieu de ceste mer de perse y a une isle petite qui s’appelle gulfal dedans laquelle y a beaucoup de perles. et en la bouche de ceste mer de perse est une grande isle qui se nomme Drinus/ dedans laquelle demeure ung roy de mores lequel est seigneur de gulfal : et en ceste isle de Drinus y a beaucoup de chevaulx lesquelz on maine vendre par toute l’inde : et valent ung grant pris : et en toutes cestes terres y a grant train de navires. En passant par cestedicte mer de perse y a une province qui s’appelle combaye : de laquelle en est seigneur ung roy lequel est grant et puissant : et ceste terre est plus fructueuse et grasse qui soit au monde en laquelle y a habondance de froment et d’autres bledz : du ris : de la sire : du sucre : & la y naist l’encens et la y a beaucoup de draps de soye et de coton : et aussi beaucoup de chevaulx et elephans. Le roy a esté ydolatre : et a peu que ung more en fut couronné roy par les grans mores : lesquelz sont sur le royaulme & a encores entre eulx beaucoup de ydolatres et entre ces gens y a de grans marchans : desquelz aulcuns d’eulx font le train avec l’arrabie : et les autres avec l’indie : laquelle se commence en ce lieu ou ilz sont et vont par ceste coste jusques au royaume calichut en laquelle coste y a de grandes provinces et royaumes de mores : & de ydolatres et tout ce qui est dedans ceste coste ne fut pas veu de nous autres. Item le .xxii. dudict moys d’aoust arrivasmes a veue de la terre de l’indie et ladicte terre estoit le royaulme de goga : & comme nous l’eusmes congneu nous allasmes de loing jusques a tant que arrivissions a une petite isle qui s’appelle agradida : laquelle appartient a ung more : au meillieu de laquelle y a ung grant lac d’eaue doulce elle est despeuplee & depuis ladicte isle jusques a la terre ferme y a demye lieue : elle a esté aultreffois peuplee de gentilz les mores de la mecque : qui font leur chemin a calichut ilz font leur chemin par la : & est a cause de la necessité qu’ilz ont d’eaue doulce et de boys ilz en prennent la et quant nous fusmes arrivés en ladicte isle incontinent mismes noz ancres & descendismes en terre et demourasmes la environ .xv. jours : en prenant eaue doulce et bois et aussi en gardant si aulcunes navires venoyent de la mecque lesquelles si nous voulions eussions peu prendre les hommes de terre venoient parler a nous et nous disoient beaucoup de choses nostre capitaine leur faisoit faire grant honneur en cestedicte isle ce pendant que nous y fusmes fut dit plusieurs messes par les prestres qui estoyent avec le facteur de Calichut et ceulx de l’armee se confesserent & communicquerent : et apres que nous veismes que lesdictes navires de la mecque ne venoyent point nous partismes pour aller en Calichut : lequel est oultre ladicte isle .lxx. lieues.

.xliv.

¶ Comment le capitaine alla au roy de calichut.

Chapitre .lxxi.

Nous arrivasmes a calichut le .xiii. jour de septembre audict an mil cinq cens et a une lieue pres dudit calichut saillirent une troupe de bateaulx pour nous recepvoir dedans l’ung desquelz venoit le chimel dudict calichut/ ung marchant de guysurate C’est a dire ung marchant qui est d’ung pays qui s’appelle guysarate moult riche : & les principaulx habitans de calichut : lesquelz entrerent dedans la navire du capitaine : en luy disant qu’ilz avoyent tresgrant plaisir de nostre venue : et nous gettasmes noz ancres en la mer devant ledit Calichut : et nostre artillerie commençoit fort a bruire : dequoy les indiens s’esmerveillerent grandement : en disant que contre nous nully n’avoit puissance sinon dieu : et ainsi demourasmes la ceste nuit le matin ensuivant le capitaine delibera d’envoyer audit calichut les indiens qu’il avoit amenez de portugal Lesquelz estoyent cinq C’estassavoir ung chrestien et les aultres quatre estoyent gentilz : et estoyent pescheurs : lesquelz tous parloyent bon portugaloys : et la deliberation dudit capitaine fut faicte Car il envoya lesditz cinq indiens en calichut richement habillez Et leur chargea de parler avec le roy et qu’ilz luy dissent la cause pour laquelle ilz estoyent venus : et aussi qu’il envoyast ung saufconduit pour povoir descendre en terre ce que lesdictz cinq indiens firent le more parla moult avec le roy : pource que les aultres qui estoient pescheurs n’avoyent hardiesse d’approcher du roy & ne le povent veoir par ce que le roy tient cela par coustume : et aussi pour son estat & pour magnanimité comme plus avant se declairera. Le roy envoya ledit saufconduit Et que tous ceulx qui vouldroyent descendre en terre y descendissent Lesquelles choses veues par ledict capitaine envoya soubdainement alphons furtad lequel sçavoit parler arabic : & eut charge de par ledit capitaine de dire au roy comme les navires appartenoyent au roy de portugal : lesquelles il envoyoit audit calichut pour traicter et faire train de marchandise : & pour avoir bonne paix avecques eulx Et pour ceste chose faire il estoit necessaire que ledict capitaine descendist en terre mais il avoit de commandement de sondit roy de portugal : de non descendre en terre sans avoir aulcuns personnaiges en hostaiges & en seureté de sa personne Et que le dessusdict roy de calichut luy envoyast dedans les navires des personnages dudit calichut : C’estassavoir telz et telz Et adonc que le roy entendit le message Et refusa assez d’obtemperer a ce qu’on demandoit en disant que les personnages qu’on demandoit estoyent bien vieulx et anciens : lesquelz ne povoyent entrer en la mer et qu’il luy en bailleroit d’autres. Alfons furtad luy dist qu’il n’avoit congé de prendre sinon ceulx qui luy avoyent esté baillez en memoire par ledit capitaine de par le roy de portugal. De cela s’en esmerveilla moult le roy : et demourerent en ce different deux ou trois jours. Finablement le roy eut par conseil de les envoyer Ce que incontinent fut dit au capitaine lequel se mist en point pour descendre en terre pour y demourer deux ou trois jours Et emmenoit avec luy vingt ou trente hommes et les plus honnourables et mieulx en point qu’il eust avec ses officiers comme il appartient au service d’ung prince & emporta toute la vaisselle d’argent qui estoit dedans lesdictes navires et laissa en son lieu pour grant capitaine ung nommé Sainct de tronar auquel il donna charge de faire honneur aux hommes de la ville qui venoyent pour hostaige de luy Le jour ensuivant le roy vint a une sienne maison qui estoit joignante la marine pour recevoir ledit capitaine : et de la envoya les hostaiges es navires : lesquelz estoyent cinq hommes moult honnorables & avoient avec eulx cent hommes portans espees & targes avec lesquelz y avoit .xv. ou .xx. tabourins. Le cappitaine saillit de sa navire avec ses Basteaulx : lequel avoit envoyé a la ville tout ce qu’il luy estoit necessaire ledit capitaine en descendant arriverent lesditz cinq hommes lesquelz ne voulurent entrer dedans lesdictes navires jusques a ce que ledit capitaine fust descendu en terre/ et en cela ilz contesterent par une grande piece de temps soubdainement Areschorea se mist dedans l’ung de leurs basteaulx & fist tant qu’ilz entrerent dans les navires & apres que ledit capitaine fut descendu en terre plusieurs gentilz hommes le vindrent recevoir lesquelz l’embrasserent et tous ceulx qu’il menoit avec luy & ne misdrent pied en terre jusques a ce qu’ilz fussent ou estoit le roy.

¶ L’abbaye du roy de calichut.

Chapitre .lxxii.

Le roy de calichut estoit en une maison haulte mis dedans une cuve dedans laquelle y avoit vingt oreillers de soye. La couverture de ladicte cuve estoit de ung drap de soye qui ressembloit a une escarlate & estoit nu depuis la ceinture en bas & aussi en hault il avoit tout a l’entour ung drap de coton moult subtil & blanc & faisoit plusieurs tours a l’entour de luy et estoit ouvré d’or Il avoit .xlv. en sa teste ung bonnet de drap d’or fait a maniere d’une sallade longue et moult haulte : et avoit les oreilles percees dedans lesquelles il avoit grandes pieces d’or : avec Rubis de grans pris : et aussi de dyamans et deux perles moult grandes l’une estoit ronde et l’autre comme une poire et avoit dedans ses bras braceletz d’or et au dessus des couldes il estoit plain de riches pierreries C’estassavoir de perles de grande valeur & avoit aux jambes de grandes richesses Et en ung doy du pied il avoit ung anneau : dedans lequel y avoit ung rubiz de moult grande clarté et pris et aussi es doiz des mains plusieurs aneaulx garnis de joyaulx comme rubis : esmerauldes et dyamans entre lesquelles y avoit une esmeraulde plusgrande d’une feve & avoit deux ceintures d’or plaines de rubiz ceinctes sur le drap Pour abreger les joyaux qu’il avoit sur luy ne pourroyent estre estimez : aupres luy il y avoit une grant chaire d’argent laquelle avoit les braceletz et spalicies d’or garniz de pierrerie : C’estassavoir de joyaulx Dedans sa maison il avoit ung challit qui estoit faict a la façon de ceulx qui sont dessoubz les grans lytz de ce pays. lequel est assis sur quatre poulyes. Sur lequel challit il estoit venu de sa grant maison en laquelle il a acoustumé de se y tousjours tenir : et iceluy challit povoyt bien porter deux hommes et estoit riche sans nombre : il avoit aussi .xv. ou .xx. trompettes d’argent : et trois d’or L’une d’icelles estoit de si grande grandeur & poix que deux hommes avoient assez a faire a la porter : et les bouches de ces trois icy estoyent plaines de rubiz : et avoit joignant de lui quatre vaisseaulx d’or & d’argent & beaucoup de potz de cuir en façon de ceulx la dequoy on lave les mains chandeliers de laton : et autres plains d’huille et destouppes lesquelz estoyent allumez par la maison : et n’en estoit necessité et les tenoit pour une magnificence : et son pere estoit a cinq ou six pas sur ses piedz. Et aussi deux de ses freres acoustrez de grans richesses & aussi y avoit beaucop de gentilz hommes honnorables lesquelz estoient plus loing & si avoyent sur eulx grandes richesses pour l’amour du roy Quant le capitaine entra il voulut aller vers le roy pour luy baiser la main ilz luy firent signe qu’il se retirast pource qu’entre eulx ilz n’avoyent pas ceste coustume que aucun s’aprochast du roy. Et le capitaine demoura. Le roy pour luy faire honneur le fist seoir : et commença a dire son ambassade : et lirent la lettre du roy de portugal qui estoit escripte en langue arabicque : & soubdainement le capitaine envoya en sa maison pour le present des choses qu’il voulloit presenter : desquelles cy en bas parlerons.

¶ Le present qui fut donné au roy : avec le desordre qui y fut.

Chapitre .lxxiii.

Premierement ung bassin d’argent pour donner l’eaue a laver les mains faict de figures eslevees tout doré. Une Esguiere d’argent doree bien grande avec sa couverture ouvree semblablement de figures eslevees deux masses d’argent avec leurs chaines d’argent pour les massiers Et quattre grans oreillers : C’estassavoir deux de drap d’or & deux de veloux cramoisy : puis apres ung poille de drap d’or avec les franges d’or et de cramoisy : et ung grant tapis : et deux pieces de tapisserie moult riches : l’une [de] figures : et l’autre de verdure : et oultre ung pot d’argent pour donner l’eaue a laver les mains ouvré de semblable façon comme le bassin Et comme le roy eut receu ce present et la lettre aussi l’embassade il se monstra bien joyeulx Et dist au capitaine que il s’en allast en son logis qui luy avoit faict acoustrer : et que il envoyeroit querir les hommes qu’il avoit baillé en hostaige pource que ilz estoyent gentilz hommes et n’avoyent que boire ne que menger dedans lesdictes navires Et neantmoins que s’il voulloit aller dedans ses navires qu’il y allast et que le lendemain ensuivant il luy envoyeroit lesditz hostaiges et il viendroit en la ville pour faire tout ce qui luy seroit necessaire le capitaine laissa en son logis aller furtad : et avecques luy sept ou huit hommes pour l’atendre en sondit logis Le capitaine en partant de ceste place ung crocheteur de calichut fut devant luy aux navires pour dire aux hostages comme le capitaine s’en retournoit ce que par eulx entendu ilz se getterent dedans la mer Et areschorea facteur principal incontinent se mist dedans ung basteau : Et en print deux des principaulx et deux ou trois serviteurs : Et les autres en nageant s’en fuyrent en terre/ et en ces entrefaictes le capitaine arriva aux navires : Et commanda mettre ces deux principaulx au bas de la couverture de la caravelle et depuis envoya dire au roy que luy en arrivant aux navires avoit trouvé cestuy inconvenient : et que ung sien escrivain luy avoit fait cecy & qu’il avoit retenu ces deux hostaiges pource que en la ville il y estoit demouré plusieurs de ses gens et beaucoup de choses & qu’il luy pleust les lui envoyer et qu’il luy envoyeroit les siens/ lesquelz il traictoit moult bien Les ambassadeurs pour faire ce messaige furent les deux serviteurs qu’ilz avoyent prins avec les hostaiges et toute celle nuit le capitaine demoura en attendant la responce et l’autre jour ensuivant .xlvi. le roy vint a la plaine avec plus [de] douze mille hommes et noz gens qui estoyent dedans la ville furent prins : affin de leur envoyer avec leurs almadies : affin d’avoir les hostaiges en change Et vindrent vingt ou trente almadies et noz gens saillirent avecques les basteaulx dedans lesquelz estoient les deux hostaiges. Les almadies ne se osoyent approcher de noz bateaulx & semblablement noz basteaulx a leurs almadies Et ainsi tout celuy jour allerent sans faire autre chose : et puis apres qu’ilz furent retournez en terre avec les nostres : ilz leur commencerent a faire grandes rudesses en leur faisant paour en disant qu’ilz les vouloient tuer Celle nuyt les nostres furent en grande tribulation : le jour ensuivant le roy envoya dire au capitaine qu’il luy envoyeroit ses gens et ses besongnes avec les almadies & que ceulx qui estoient dedans ne portoient aulcunes armes : aussi qu’il envoyast ainsi ses basteaulx : ce que fist le capitaine et envoya avec eulx Saint de tronar capitaine : & arriverent ou estoient les almadies : & commencerent a recepvoir toute leur vaisselle d’argent & toutes leurs autres besongnes qu’ilz avoient dedans la ville en maniere qu’il ne demoura que ung alino fresse c’est a dire que une malle : en laquelle estoit le lict avec son formement & quasi tous noz gens & ainsi estant l’ung de ces gentilz hommes qui estoyent dedans noz basteaulx que Sainct de tronar conduisoit se gecta dedans la mer : et quant les nostres qui estoient dedans lesdictes almadies veirent cela ilz commencerent a se courroucer et enorgueillir en telle maniere qu’ilz gecterent dedens la mer tous ceulx qui estoient dedans lesdictes almadies : et ilz demourerent seulletz dedans icelles almadies : et en noz basteaulx demoura ung vieillart qui estoit gentil homme pour hostaige des nostres & deux des garçons des nostres demourerent dedans lesdictes Almadies qui ne peurent eschapper. Et l’autre jour le capitaine ayant pitié du vieillart qui estoit pour hostaige. Car il y avoyt troys jours qu’il n’avoit mengé l’envoya en terre. Et luy bailla toutes les armeures qui estoyent demourés dedans lesdictes navires. Lesquelles appartenoyent a ceulx qui se estoyent gettez dedens la mer Et le capitaine le envoya dire au roy que il luy envoyast ses deux garçons lesquelz le roy leur envoya & depuis demourerent trois ou quatre jours que nul des navires ne descendict en terre ny aucun de la ville a nous Le capitaine & tous les autres avecques le facteur principal delibererent d’envoyer au roy de Calichut qu’il luy envoyast deux hommes pour seureté/ et qu’il yroit en la ville : mais il n’y avoit celuy qui voulsist faire le messaige au dernier ung chevallier appellé françoys chorea deist qu’il yroit parler au roy et ainsi fut faict et luy dist comme areschorea facteur principal avoit deliberé de descendre en terre pour asseoir le train de la marchandise avec lui & qu’il luy envoyast pour ostage deux marchans : c’estassavoir ung de Guzerate moult riche : surquoy respondit ledict guzerate more au roy qu’il luy envoyeroit deux de ses nepveux dequoy le roy fut bien content & l’autre jour françoys chorea envoya la responce au capitaine : et soubdainement areschorea se mist en point/ & aussi les hommes pour ostage lesquelz le roy envoya ausdictes navires : et areschorea s’en alla en la ville : et en sa compaignie .viii. ou dix hommes lequel jour areschorea retourna bien tard esdictes navires pour dormir & l’autre jour retourna a la ville pour mettre a effect ce qui avoit esté ordonné le jour precedent : les hostaiges touteffois demourerent es navires : le roy luy envoya bailler la maison d’ung marchant Guzerate. & le enchargea qu’il aprint audict facteur les coustumes et train de ladicte ville : & ainsi areschorea commença a negocier et faire ses besongnes la langue qui se parloit pour nous estoit en Arrabic de sorte qu’on ne povoit parler au roy sans mettre vingt mores au millieu : lesquelz sont mauvaises gens : et estoyent moult contraires a nous autres : en façon que a toutes heures ilz usoyent & envers nous de tromperie : et nous disoient que nous ne envoyssions aucun en noz navires : et quant le capitaine veit que chascun jour alloit de ses gens en la ville : et que nully n’en retournoit pour faire responce : il delibera de s’en partir et commanda de faire voilles : et nous ainsi estans pres de la ville en une maison assez gardee d’hommes : veismes comme les navires s’en alloyent a guzerate a cause de ses deux nepveux qui estoient dedans lesdictes navires areschorea trouva façon d’envoyer ung garçon avec une almadie aux navires lequel garçon feist ung protest au capitaine quoy voyant le capitaine ledict protest de areschorea s’en retourna au port : & ainsi commença ledict areschorea a traicter avec le roy et accorda petit a petit le train ainsi qu’il voullut et pource que cestuy guzerate ne se voulloit plus empescher de noz besongnes : a cause de ces deux nepveulx qui estoyent es navires pour ostage. Le roy chargea ung turc grant marchant qu’il fist noz besongnes : et nous fist saillir de la maison de laquelle nous estions : et nous fist mettre dedans une aultre maison aupres celle .xlvii. ou nous estions : et incontinent ilz commencerent a veoir aucunes de noz marchandises : desquelles ilz en achepterent une partie : & demourasmes deux moys & demy avant que nous eussions acomply nostre train Lequel nous achevasmes a grant paine de areschorea [et] de ceulx qui estoyent avec luy : et apres qu’il fut parachevé le roy luy bailla une maison joygnant a la mer laquelle avoit ung jardin : dedans laquelle areschorea mist une baniere avec les armes du Roy : et cestuy train le roy en fist deux lettres signees de sa main l’une desquelles estoit escripte en une lame de laton : lequel devoit demourer en la maison du facteur et l’autre d’argent avec son signe escripte d’or laquelle devoit estre portee au roy de Portugal. Lesquelles lettres ainsi faictes areschorea fut aux navires et consigna ceste lettre d’argent au capitaine & mena en la ville ces deux hommes qui estoient aux navires pour ostage : et dela quant nous commençasmes a nous fier d’eulx en sorte qu’il sembloit que nous feussions en nostre pays. Et ung jour nous estans ainsi vint une navire qui alloit d’ung royaulme en ung aultre : en laquelle navire avoit cinq elephans : entre lesquelz y en avoit ung moult grant et de grant pris pource qu’il estoit praticqué en guerre & la navire estoit moult grande : & y avoit beaucoup de gens dedans bien armez & apres que le roy eut entendu la venue de ladicte navire il envoya dire audict capitaine qu’il prioit qu’il voulsist prendre ceste navire qui portoit ung elephant duquel il luy vouloit bailler beaucoup d’argent : le capitaine luy envoya dire qu’il le feroit : mais qu’il les tueroit s’ilz ne se vouloyent rendre le roy se consentit de cela : et envoya ung more a noz navires : affin qu’il fust present a veoyr en quelle maniere on prendroit ladicte navire. Et aussi pour parler a eulx affin qu’ilz se rendissent : et incontinent le capitaine envoya une caravelle bien garnie d’artillerie : et bien armee avec soixante ou septante hommes laquelle fut deux nuitz derriere ladicte navire sans la povoir joindre et l’autre jour ensuyvant ilz la joignirent et arriverent sus elle en disant a ceulx qui estoient dedans qu’ilz se rendissent : et les mores se misrent a rire pource qu’ilz estoient gens assés : & la navire moult grande et commencerent a tirer avec flesches : & quant le capitaine de la caravelle veit cela fist descharger l’artillerie de sorte qu’elle desbarra ladicte navire & incontinent ilz se rendirent et ainsi les menerent a calichut avec tous les hommes. Le roy saillit dehors a la marine pour les veoir et le capitaine de la caravelle bailla au Roy le capitaine de ladicte navire et la navire semblablement le roy se esmerveilla fort comme une caravelle tant petite et avec si peu de gens povoit prendre une navire si grande dedans laquelle y avoit troys cens hommes de guerre : le roy receut la navire & les elephans. avec ung grant plaisir et soulas. et de la caravelle il fut sus la navire.

¶ Coustumes et choses de calichut.

Chapitre .lxxiiii.

La cité de calichut est grande & n’est point de muraille environnee : et y a plusieurs lieux dedans icelle vuidez : et les maisons sont loing l’une de l’autre : Elles sont faictes de pierre de taille et de chaulx Elles sont couvertes de Palmes : et leurs portes sont grandes et bien ouvrees : et a l’entree desdictes maisons y a ung mur dedans la closture duquel y a beaucoup de herbes. Et viviers plains d’eaue/ dedans lesquelz ilz se lavent. Aussi ilz ont des puys d’eaue de laquelle ilz boivent. et par la cité y a d’aultres grans viviers plains d’eaue : esquelz va le menu peuple se laver et cela est par ce qu’ilz se lavent trois ou quatre fois le jour tout le corps : le roy est ydolatre combien que aulcuns ayent creu qu’il fust crestien : lesquelz n’ont pas entendu de ses coustumes comme nous avons faict qui avons faict le faict de la marchandise oudict calichut. lequel Roy s’appelle guaffer. Tous ces gentilz hommes & les gens qui le servent sont hommes qui ne sont blancz ny noirs et sont bien disposez depuis la ceincture en bas et en hault ilz sont nudz. A l’entour de eulx c’estassavoir des parties honteuses ilz portent draps de coton blancz et fins et aussi d’aultre couleur. Ilz vont deschaulx et sans bonnetz fors les grans seigneurs qui portent des bonnetz de veloux et de drap d’or : desquelz bonnetz aulcuns d’eulx sont moult beaulx et leurs oreilles sont pertuysees : & es pertuys ilz portent des joyaulx Aux bras ilz portent braceletz d’or. Les gentilz hommes portent en leurs mains espees & targes Leurs espees sont nues et sont plus larges par la poincte que par ung aultre lieu. Leurs Targes sont rondes comme rondelles d’ytalie moult legieres. Desquelles y en y a de noires et de rouges : Ce sont les plus grans joueurs d’espee et de targe qui soyent au monde Et ne font aultre chose que de jouer : et de telz faictz en y a en la court du Roy sans nombre. Ilz ont cinq ou six femmes : et celle qui est la mieulx aymee ne luy demande riens : pource qu’il dort plus souvent avec elle que avec les aultres : entre eulx n’y a point de chasteté : ny honte : et .xlviii. les filles depuis qu’elles ont huyt ans elles commencent a gaingner leurs vies par deshonnesteté : les femmes vont nues ainsi comme les hommes/ et portent sur elles grandes richesses : et ont leurs cheveulx bien longz et sont bien belles : elles prient les hommes qu’ilz leur ostent leur virginité/ pource qu’elles estans vierges ne trouveroyent maris : ces gens icy mengent deux fois le jour Ilz ne mengeussent point de pain : ne boivent point de vin. Ilz ne mengeussent ne chair ne poisson Leur viande est ris : beurre : laict : succre : ou fruyct. Devant que ilz mengent ilz se lavent/ et deppuis qu’ilz sont lavez Si aulcun qui ne se feust lavé touchoit leurs viandes : ilz ne mengeroyent point jusques a ce qu’ilz se seroyent retournez laver : Par façon que en ceste chose ilz y font de grandes cerimonies Tout le jour aussi bien les hommes comme les femmes mengent d’une fueille qui s’appelle beteille. Laquelle faict la bouche vermeille : & les dens noires : et ceulx qui ne font pas cela ce sont gens de basse condition. Quant aucun meurt en lieu de porter le dueil : ilz escurent leurs dens : et ne mengeussent point par certains moys de ladicte herbe. Le roy a deux femmes et chascune a dix prestres pour l’acompaigner : et chascun d’eulx dort avecques elles : et la congnoist charnellement pour honnorer le roy Et pour ceste cause les filz ne sont point heritiers du royaulme Mais ses nepveux filz de ses seurs Et pour grande magnificence d’estat : Il demoure en la maison plus de mille ou cinq cens femmes : lesquelles n’ont autre office que de nettoyer la maison et de arroser la maison devant le roy ou il veult aller : et l’arrosent d’eaue mistionnee les maisons du roy sont grandes & dedans lesdictes maisons y a beaucop de fontaines : dedans lesquelles le roy se lave & quant il en sault hors il va en son chalit riche : & le tirent deux hommes & devant luy y a plusieurs personnes qui sonnent de divers instrumens et aussi y a plusieurs gentilz hommes avec leurs espees et rodelles. et beaucoup d’archers : et devant sa garde sont ses portiers et au dessus de luy ung ciel treshonnestement paré on luy fait plus d’honneur que a nul roy du monde : on ne s’aproche de lui plus pres que de trois ou quatre pas : et quant ilz luy baillent aucune chose ilz luy baillent avec une verge par ce que ilz n’osent le toucher Quant ilz parlent avec luy ilz parlent avec la teste basse la main devant la bouche & nul gentil homme ne se monstre devant luy sans espee et rodelle. Quant ilz luy font la reverence : ilz mettent la main sur la teste Et nul officier ne homme de basse condition ne le veoit et ne sçauroit parler a luy et mesmement les pescheurs sy ung gentil homme va par la rue et ung pescheur luy vint a l’encontre ou il s’en fuyt ou il reçoit plusieurs coups de baston. Quant le roy meurt les gentilz hommes le bruslent & ses femmes avec luy ilz bruslent le roy avec du boys de sandal pour le honnourer. Le boys de sandal est semblable au cipres rouge. Les hommes de basse condition ilz les enterrent ilz portent longue barbe. Ilz sont grans compteurs et escripvains Ilz escripvent en une fueille de palme avec une plume de fer sans aucune tainture Et ainsi fait une autre sorte de gens qui sont grans marchans et s’appellent cussurantes ilz sont d’une province qui s’appelle Combaye. Ceulx icy sont naturellement ydolatres : et adorent le soleil : la lune : et les vaches : et si aucun tuoit une vache on le tueroit. & ces marchans cussurantes ne mengent d’aucune chose qui reçoive mort ny du pain : ny aussi ny boivent vin Et si aucun garçon par erreur mengeue de la chair ilz l’envoyent dehors par le monde a demander pour l’amour de dieu combien qu’ilz fussent descendus et fussent filz de grans seigneurs et de riches marchans Ces gens icy croyent aux enchanteurs : & aux devineurs : ilz sont plus blancz que les naturelz de calichut Ilz portent les cheveulx moult longz & aussi la barbe Ilz sont vestus de drap de coton bien fin Ilz portent voilles et leurs cheveulx entortillez comme ceulx des femmes. Ilz se marient avec une seulle femme comme nous : ilz sont moult jaloux et tiennent leurs femmes enfermees : elles sont moult belles et chastes : ilz sont marchans de draps de turquie et de joyaulx.

¶ Des marchans de calichut et le voyage de l’espicerie du chaire en alexandrie.

Chapitre .lxxv.

Dedans calichut y a d’aultres marchans qui s’appellent zetiettes et sont d’une aultre province Ilz sont ydolatres et grans marchans de joyaulx et perles D’or et d’argent Ilz sont plus noirs que ceulx de calichut : et vont nudz ilz portent les toques petites et basses. Les chevaliers portent toques et sont faictes de queue de beuf & de cheval Ces gens icy sont les plus grans enchanteurs de monde Chascun jour ilz parlent invisiblement au dyable. Leurs femmes sont moult corrompues en luxure autant que femmes qui soyent sur terre. Audit calichut y a des mores de la mecque de turquie/ de Babiloine : et de perse : et de beaucop d’autres provinces : et sont tresgrans marchans & .xlix. riches gens Lesquelz tiennent en ceste cité de calichut de toutes les marchandises qui y arrivent : C’estassavoir joyaulx de toutes sortes et aussi d’autres choses moult riches : du musc : d’ambre : bengin : encens : boys : aloes : rubarbe : porcelaine : clou de giroffle : canelle : brisil : sendal : lacque : noix/ muscade : et macis. Toutes ces choses viennent de dehors : gingembre : poyvre. tamaris : mirabolans : et casse : fistule : et tut croissent en la terre de calichut Et aulcune canelle saulvaige Ces mores sont tant riches et graves que quasi ilz commandent a toute la terre de calichut En la montaigne de cestuy royaulme demoure ung roy moult grant & grave qui s’appelle Naremega : et est ydolatre Lequel tient deux ou trois femmes Le jour qu’il meurt ilz le bruslent & toutes ses femmes avec luy Et tous ceulx qui sont mariez quant aucun meurt ilz luy font une fosse et le mettent la dedans. et a l’heure la femme se vest tout des plus riches habillemens qu’elle ait : & tous ses parens avec elle la meinent avec instrumens et feste a la fosse. Et quant elle va a la fosse elle va dançant a rebours comme vont les escrevisses Et la fosse est embrasee de feu et elle se laisse cheoyr dedans. Et ses parens sont tous prestz avec potz plains d’huille et beurre Lesquelz parens des ce qu’elle est cheute en ladicte fosse ilz gettent lesditz potz sur elle affin qu’elle brusle plustost. En cestuy royaulme y a beaucoup de chevaulx et elefans pource qu’ilz en font leur guerre Lesquelz elefans sont si bien enseignez et aprins qu’il ne leur fault sinon la parolle. Et ilz entendent tout comme personnes humaines Et cela nous autres l’avons veu en calichut. Les elefans que le roy tient et lesquelz il chevauche sont les plus fors et furieux du monde Deux d’iceulx tirent une navire en terre. Les navires dudit calichut ne naviguent sinon depuis octobre jusques par tout le moys de mars En ces moys est leur esté : et les autres moys leur yver : ausquelz ilz ne naviguent point et tiennent leurs navires en terre Au moys de novembre se partent de calichut les navires de la mecque avec les espiceries Et vont a vida qui est porte de la mecque. Et de la les portent par terre au chaire. et du chaire en alexandrie.

¶ Grande occision de mores et de chrestiens dedans calichut.

Chapitre .lxxvi.

Apres que nous eusmes demouré environ troys moys dedans calichut et que le train estoit ja affermé : & deux de noz navires chargees d’espiceries Ung jour le capitaine envoya en Calichut pour dire au roy qu’il y avoit trois moys qu’il estoit en sa ville : et que nous n’avions chargé sinon deux navires : et que les mores caichoyent leurs marchandises Et que les navires de la mecque chargeoyent secrettement & apres qu’elles estoyent chargees elles s’en alloyent. Et que celuy capitaine luy seroit moult obligé s’il vouloit le faire bien tost despescher : pource que le temps de son partement s’approchoit fort. Le roy luy fist responce qu’il luy feroit bailler toutes les marchandises qu’il vouldroit. Et que l’une desdictes navires ne chargeroit jusques a ce que les nostres fussent chargees : et que si aucunes navires desditz mores se partoyent que le capitaine les prinst pour veoir dedans s’il y avoit de la marchandise : et que s’il y en avoit il la luy feroit donner pour le pris que l’avoyent achepté lesditz mores. Le seiziesme jour de decembre audit an Mil cinq cens. Areschorea facteur principal luy estant dedans ladicte ville de Calichut a faire compte avec les deux facteurs & escripvains de noz deux navires Lesquelles estoyent ja bien chargees pour partir et se partit une navire de mores avec plusieurs marchandises et le capitaine la print. Le capitaine more d’icelle navire et les plus honnorables d’icelle navire descendirent et s’en allerent dedans calichut : et firent de tresgrandes plainctes & clameurs : en maniere que tous les mores se misrent a parler au Roy en disant que dedans la ville nous avions plus de richesses que cela que nous avions porté en son royaulme : et que nous estions tous larrons les plus grans robeurs du monde et que nous avions prins ceste navire en son port et que deça en avant ilz se obligeoyent de nous tuer tous/ et que toute sa magesté robast la maison du facteur. Le roy comme homme sedicieux se consentit a cela. Et nous aultres non sachans aucune chose de cecy/ Aulcuns des nostres alloyent par la ville pour faire leurs besongnes veirent venir tout le peuple contre eulx en les tuant et frappant Et aucuns des nostres saillirent pour donner secours et ayde ce que fut faict et en tuasmes des leur sept ou huit & des nostres en fut tué deux ou trois/ nous estions environ .lxx. hommes avec espees & cappes et eulx estoyent sans nombre avec lances : espees & rondelles : arcz : et flesches et nous contraignirent en telle sorte qu’il nous fut necessaire de nous retirer a la maison : et en nous reculant ilz en blesserent cinq ou six des nostres : avec une grande peine nous serrasmes la porte : et puis ilz se combatirent fort & ferme contre la maison laquelle par tout estoit environnee de muraille .l. de la haulteur d’ung homme a cheval nous avions sept ou huit arbalestriers avec lesquelles nous tuasmes ung certain nombre de gens de leurs hommes : et se gecta sur nous plus de troys mil hommes de guerre : Et quant nous vismes cela nous mismes une banniere affin que des navires ilz nous envoyassent secours. Les basteaulx vindrent et eulx joinctz a la playe la ilz tirerent de leur artillerie et ne faisoient riens A l’eure les mores commencerent a rompre le mur de la maison en façon que en demye heure ilz la mirent toute par terre et avoient trompettes & tabourins avec grans cris/ et croyons que le roy fust avec eulx a cause d’ung sien chambellan qui y estoit Et quant areschorea vit qu’il n’y avoit remede aucun et qu’il y avoit deux heures qu’ilz combatoient tant asprement par maniere que nous ne povyons plus tenir delibera que nous saillissions dehors a la playe en rompant par eulx pour veoir si les basteaulx nous pourroient saulver et ainsi fismes/ et ainsi la pluspart de nous aultres arrivasmes la jusques a ce mettre en l’eaue et les basteaulx n’osoient approcher pour nous recevoir et ainsi par faulte d’ung petit de secours ilz tuerent areschorea et avec luy cinquante et trois hommes : et de nous aultres eschappa a nager environ .xx. personnes tous bien blecez entre lesquelz eschappa ung filz dudit areschorea de l’aage de unze ans Et ainsi entrasmes dedans es bateaux quasi noyez le capitaine desditz basteaulx estoit las : pource que le grant capitaine estoyt malade et fusmes conduitz aux navires. Et quant le grant capitaine veit ceste discencion et le maulvais traictement de noz gens : il commanda qu’on print dix navires de mores qui estoyent dedans le port. Et commanda que tous ceulx qui seroyent trouvez dedans fussent tuez ce qu’il fut fait : & en tuasmes la quantité de cinq cens hommes : et en prinsmes vingt ou trente qui s’estoyent cachez ou bas de la navire et toutes les marchandises/ et pillasmes lesdictes navires de tout ce qu’il y avoyt dedans/ en l’une d’icelle y avoit trois elefans Lesquelz nous tuasmes et les mengeasmes. Et apres que les navires furent deschargees nous les bruslasmes toutes dixset le jour ensuyvant noz navires s’approcherent plus pres de la ville. Et la bombardasmes en telle maniere que nous tuasmes beaucoup d’hommes. Et leur feismes grant dommaige. Et ilz tiroyent de terre de aucunes pieces d’artillerie : Mais elles estoyent moult foibles Et ainsi que nous estions la passerent deux Navires : Lesquelles alloyent a Pandarada qui est loing de calichut de cinq lieues/ et les navires donnerent en terre : et nous ne les peusmes prendre par ce qu’elles estoient en lieu trop sec et quant le capitaine veit cela il delibera d’aller a cuchin : ou nous chargeasmes noz navires.

¶ Comment les navires chargent a Cuchin.

Chapitre .lxxviii.

Nous partismes de calichut pour aller a cuchin qui est loing de calichut de .xxx. lieues : et est royaulme sans subjection. Les gens d’icelluy sont ydolatres & [de] la mesme langue de calichut et en allant nostre chemin trouvasmes deux navires de calichut chargees de ris et allasmes droit a elles et les gens s’en fuyrent avec leurs basteaulx en terre et nous prinsmes les navires et le capitaine voyant qu’elles ne portoyent aultres merchandises les envoya brusler & arrivasmes a cuchin le .xxiii. jour de decembre et gectasmes noz ancres dedans la bouche d’ung fleuve : le capitaine envoya ung povre homme du pays de guzerate : lequel de sa voulenté partit de calichut pour venir en portugal : & alla dire au roy tout ce qui nous estoit advenu en calichut et que s’il luy plaisoit le capitaine chargeroit voulentiers ses navires en son royaulme et que pour payement des choses qu’il y prendroit/ il luy bailleroit or et marchandise. Le roy luy fist responce qu’il estoit moult desplaisant de la grant injure qu’il luy avoit esté faicte et qu’il avoit grant plaisir de la venue en son pays par ce que il sçavoit que nous estions bonnes gens et feroit tout ce que nous vouldrions. Ledit guzerate dist au roy qu’il seroit de besoing que nous eussions quelque seureté laquelle se faisoit homme pour homme. et qu’il envoyast audit capitaine quelc’un de ses hommes : et que incontinent les nostres qui estoyent dedans les navires descenderoyent en terre. Le roy soubdainement envoya deux hommes de ses principaulx : avec autres marchans et monstres de marchandises en noz navires : et deirent au capitaine qu’ilz feroient tout ce qu’il luy plairoit Le capitaine envoya incontinent le facteur avec quatre ou cinq hommes : avec charge qu’ilz acheptassent de la marchandise. Touteffois ledict Capitaine retenoit avec luy les hommes qu’ilz avoient envoyez pour hostages : lesquelz il les traicta moult honorablement & chascun jour ilz se changeoient par ce que les gentilz hommes de celles contrees ne naviguent point sur mer/ et se par adventure ilz mengent dessus la mer ilz ne pevent .li. plus veoir le roy Et demourasmes la .xiiii. ou .xv. jours en chargeant noz navires loing de cuchin a ung lieu appellé Carangallo : auquel lieu y a des chrestiens : juifz : mores : & zafaras et en cedit lieu nous trouvasmes une juifve de Sibille : Laquelle estoit venue par le caire. et a la mecque : et de ce lieu elle vint avec nous avec deux autres crestiens lesquelz disoyent qu’ilz vouloyent passer pour aller a romme : & en hierusalem. Le capitaine eut grant plaisir d’avoir trouvé ces deux crestiens Les navires estans ja quasi toutes chargees vint une armee de calichut : en laquelle y avoit de .lxxx. a .lxxxv. navires entre lesquelles y en avoit .xxv. moult grandes : Le roy des ce qu’il eut congnoissance de la venue de ceste dicte armee envoya dire au capitaine que s’il vouloit combatre avec eulx qu’il luy envoyeroit navires et hommes Le capitaine luy fist responce qu’il n’en estoit point de necessité : et pource que il estoit desja nuyt : ladicte armee s’esloigna de nous d’une lieue et demye : ainsi qu’il fut nuyct commanda de mettre les voylles en hault en menant avec luy les hommes qu’il tenoit pour hostaiges. pour ceulx qui estoyent demourez dedans la ville et estoyent sept hommes Le capitaine disoit que sans aultre secours que le sien il romproit ladicte armee : la nuyt ne luy fist aucun vent pour aller sur l’armee de calichut. Le jour ensuivant qui fut le dixiesme jour de Janvier mil cinq cens. nous allions a eulx : Et eulx venoyent a nous en maniere que nous fusmes bien pres l’ung de l’autre Le capitaine avoit deliberé de combatre avec ladicte armee. Et estant ja aussi pres comme le traict d’une bombarde : Sainct de tronar capitaine avec sa navire : et une aultre navire demourerent en derriere en telle maniere que le capitaine vit que entre eulx il n’y avoit point de ordre Pourquoy il determina de prendre son chemin vers portugal : pource que il avoit vent en pouppe. Neantmoins tout ce jour la : il suivit tousjours l’armee de Calichut jusques a une heure de nuyt : et en celle nuyt nous la perdismes de veue Pourquoy le cappitaine delibera du tout de partir pour venir en portugal : en laissant ledict facteur & ses gens dedans ladicte ville et emmena avec luy les hommes de cuchin lesquelz il commença a festoyer en les priant qu’ilz voulsissent menger car il y avoit ja trois jours qu’ilz n’avoyent mengé Et avec grant peine ilz mengerent : et nous vinsmes a nostre chemin.

¶ Du royaulme de cananor : et du recueil que feist le roy a noz navires.

Chapitre .lxxviii.

Le quinziesme jour de janvier arrivasmes a ung royaulme deça de Calichut qui s’appelle Canamor qui est de caferis : et parlent comme en calichut. Et en passant par ledit royaulme. Le roy envoya dire au cappitaine qu’il avoit grant desplaisir de ce qu’il n’estoit allé en son royaume : et qu’il le prioit qu’il laschast ses ancres et que si nous n’estions chargez qu’il nous chargeroit Quant le capitaine vit cela il envoya en la terre guserate pour dire au roy comme les navires estoyent ja chargees : et qu’il n’avoit besoing sinon de cent barchars de canelle qui sont quatre cens quintaux : et soubdainement le roy envoya avec diligence es navires ladicte canelle en se fiant moult de nous. Le cappitaine l’envoya payer en beaulx cruciatz : et depuis arriva beaucoup de canelle aux navires Mais il n’y avoit point de lieu pour la mettre Le roy luy envoya dire au cappitaine que se il le faisoit par faulte d’argent que pour cela nous ne laississions a la prendre et charger a nostre voulenté et que au retour du voyage nous le payerions. et que il avoit bien entendu que le roy de Calichut nous avoit desrobez : & que nous estions bonnes gens et de verité Le capitaine l’en remercya moult/ et puis il monstra au messager : c’est assavoir a l’embassadeur dudit roy trois ou quatre mille cruciatz : c’est a dire ducatz : lesquelz luy estoyent demourez Et le roy luy envoya dire s’il vouloit avoir autre chose : le capitaine luy fist responce que non : sinon que sa haultesse envoyast ung homme pour veoir les choses de portugal Le roy incontinent y envoya ung gentil homme affin qu’il vint avec nous en portugal Le capitaine escripvit au Roy de cuchin comment il emmenoit avec luy les deux hommes qu’il avoit pour hostaige et qu’ilz s’en venoyent en portugal & aussi ledit capitaine escripvit audit facteur qui estoit demouré audit cuchin Et en ce lieu nous ne demourasmes point plus de ung jour Et nous partismes pour traverser le goulfe de melinde le dernier jour de Janvier a midy arrivasmes audit goulfe et trouvasmes une navire de cambaye qui venoit a melinde et feismes demander qui elle estoit car nous cuidions qu’elle fust de la mecque et la prinsmes Laquelle estoit moult riche et chargee de plus de deux cens hommes et femmes. Et quant le capitaine entendit qu’ilz estoyent de cambaye il les laissa aller a leur voyage : mais il retint ung pillote Et ainsi se partirent : et nous aultres a nostre chemin.

.lii.

¶ Du naufraige qui fut faict au Goulfe de melinde.

Chapitre .lxxix.

Le douziesme jour de febvrier ainsi comme la nuyt s’approchoit & ja tous les pillotz & aussi tous les autres estoient prestz de prendre terre. Sainct de tronar qui estoit cappitaine d’une grande navire deist qu’il vouloit aller plus avant avec sa navire & fist mettre toutes les voilles : et ainsi se mist devant toutes les aultres navires. Et quant fut l’heure de minuyt sa navire frappa en lieu sec : et ledict sainct de tronar voyant cela fist faire feu et quant le capitaine le veit commanda que on le secourust. et en la nuyct creut tant le vent que ne le povyons emporter. Parquoy le grant capitaine fut contrainct d’envoyer les basteaulx a la navire pour veoir si on la pourroit saulver : et si on ne la povoit sauver qu’on la bruslast et que les hommes qui estoyent dedans s’en vinsent quant lesdictz basteaulx arriverent/ ladicte navire estoyt ja ouverte et mise en lieu duquel elle ne povoit saillir : et le vent croissoit tant que les autres navires estoyent en grant dangier. En telle maniere qu’il fut necessaire a ceulx qui estoyent dedans ladicte navire d’eulx sauver avec la main et ne fut saulve aulcune chose de ladicte navire sinon les hommes qui se sauverent en chemise. Ladicte navire estoyt de deux cens tonneaulx : et chargee d’espicerie et de la nous partismes avec les aultres navires. Et passasmes par melinde ou nous ne peusmes entrer et vinsmes a mousabichi ou nous prinsmes de l’eaue et du boys : & mismes es navires en lieu sur/ Et de la le grant Capitaine envoya sainct de tronar avec une petite caravelle : Et avec une pillotte que nous prinsmes en l’isle de zasfalle quant nous allasmes pour sçavoir quelle chose c’estoit/ et demourasmes la par aucuns jours pour acoustrer noz navires : et de la nous partismes avec quatre navires : et allasmes a ung coing ou nous fismes une grande pescherie : et en saillant de la vint sur nous une fortune qui nous fist retourner assez en derriere/ et une navire se esgara parquoy ne nous demoura que trois navires.

¶ Les navires qui retournerent a lisbonne.

Chapitre .lxxx.

Le jour de pasques fleuries arrivasmes au chief de bonne esperance Et de la eusmes bon temps/ avecques lequel traversasmes et vinsmes a la premiere terre Qui se appelle Imbessinica : qui est joignante au chef verd : et la nous trouvasmes avec quatre navires : lesquelles le roy de portugal envoyoyt pour descouvrir la terre nouvelle : et aussi trouvasmes la une navire que avons perdue de veue quant nous allions a calichut. Laquelle fut a la bouche de l’estroit de la mecque et fut devant en laquelle ilz luy prindrent son basteau avec tous les hommes qui estoyent dedans et ainsi venoit ladicte navire seullement avec six hommes la plusgrant partie d’eulx estoient malades. & ne beuvoyent point d’autre eaue que celle que ilz recueilloyent dedans ladicte navire et quant il pleuvoit : et ainsi vinsmes et arrivasmes en ceste cité de lisbonne en la fin de juillet ung jour apres vint la navire que perdismes de veue quant nous peschions a nostre retour et aussi arriva sainct de tronar avec la caravelle qui fut a zasfale lequel dist que zasfale est une petite isle en la bouche d’ung fleuve et est peuplee de mores : & la l’or y vient de la montaigne. Ledict or vient d’unes autres gens qui ne sont pas mores : et apportent a ceste dicte isle ledict or pour aultre marchandise : et sainct de tronar quant il arriva la il trouva la beaucoup de navires de mores : et print ung more pour sa seureté pour ung crestien d’arrabie qu’il avoit envoyé en terre et la demoura deux ou trois jours : et ledit crestien ne vint point et n’eut aucunes enseignes de luy. Parquoy il s’en vint avec le more en portugal : en laissant le crestien : et par ainsi ceulx qui vindrent de calichut furent six navires et toutes les aultres sont perdues.

¶ Le poix et monnoye qui se use en Calichut.

Chapitre .lxxxi.

Cecy est le pris que vallent les espiceries et drogueries dedans Calichut : et aussi la maniere du poix & la monnoye.

¶ Premierement le bar de noix muscade lequel est poix de quatre quintaulx : vault quatre cens cinquante favos. Les vingt favos vallent ung ducat.

¶ Item ung baar de canelle vault .ccclxxxix. favos.

¶ Item la faracole de gingembre sec vault six favos. .xx. faracoles font ung bacar.

¶ Item la faracole de gingembre en conserve de sucre .xxviii. favos.

¶ Item ung bacar de tamarins vault trente favos.

¶ Item ung bacar de zerombel vault .xl. favos.

¶ Item ung bacar de zedovaria vault .xxx. favos.

¶ Item ung bacar de lacque vault .cclx. favos.

.liii. ¶ Item ung bacar de marcis vault .cccclxxx. favos.

¶ Item ung bacar de poivre vault .ccclx. favos.

¶ Item ung bacar de poivre long vault .ccc. favos.

¶ Item ung bacar de mirabolans de sebuli en conserve .ccccclx. favos.

¶ Item ung bacar de sandali rouge vault .lxxx. favos.

¶ Item ung bacar de bresil vault .clx. favos.

¶ Item une faracole de camphre vault .clx. favos.

¶ Item une faracole de encens vault cinq favos.

¶ Item une faracole de bengin vault six favos.

¶ Item une faracole de casse fistule vault deux favos.

¶ Item ung baar de clou de giroffle vault .cccccc. favos.

¶ Item ung baar de sandali vault .ccccccc. favos.

¶ Item une faracole de boys aloes vault .cccc. favos.

¶ Item une faracole de rubarbe vault .cccc. favos.

¶ Item une faracole de opiate vault .cccc. favos.

¶ Item une faracole d’aspic vault .cccccccc. favos.

¶ Item ung nutrical d’ambre vault deux favos. une once & six nutricales est ung quarteron.

¶ Ung baar poise vingt faracoles : & une faracole poise .xxiiii. aratoles : et ces .xxiiii. aratoles viennent dedans venise de .xxxii. a .xxxiii. livres : le ducat vault vingt favos.

¶ Cecy est le pris des marchandises qui se portent de deça a calichut es environs.

¶ Et premierement une faracole d’arain vault .xlv. favos.

¶ Item une faracole de plomb vault .xviii. favos.

¶ Item une faracole d’argent vault .liiii. favos.

¶ Item une faracole d’espicerie d’alung .xx. favos.

¶ Item [une] faracole de coral blanc vault mille favos.

¶ Item une faracole de coral tors vault .ccccccc. favos.

¶ Item une faracole de coral bastard vault .ccc. favos.

¶ Il y a aussi audict calichut ung aultre poix qui s’appelle almen qui est aultre poix que de portugal .ii. arates et deux moitiés font .iii. livres et octave ung peu plus ou moins au poix subtil de venise : et avec ce ilz poisent le saffran qui vault .lxxx. favos.

¶ Les lieux desquelz viennent les espiceries.

Chapitre .lxxxii.

Cy apres sera faicte mencion des lieux desquelz viennent les espiceries et drogueries a calichut.

¶ Le poivre vient d’une tour qui se nomme chononchel laquelle est plus avant de calichut a la coste de mer.

¶ La canelle vient de zalon et ne se trouve canelle fors qu’en ce lieu la est plus avant de calichut de .cclx. lieues.

¶ Clou de giroffle vient de melucque : et est plus avant de Calichut .ccccccc.xl. lieues.

¶ Le gingembre doit croistre en calichut et en canamor qui est distant de calichut de douze lieues de portugal.

¶ Noix muscades et macis viennent de melucque loing de calichut .ccccccc.xl. lieues plus avant.

¶ Le musc vient d’une ville appellee pego plus avant de calichut .ccccc. lieues.

¶ Perles grosses viennent d’armis plus en ça de calichut .cccccccc. lieues.

¶ Spic/ nard et mirabolans viennent de combaye plus en ça de calichut de six cens lieues.

¶ Casse fistulle croist en calichut.

¶ Encens vient de seer plus en ça de calichut de .cccccccc. lieues.

¶ Mirrhe croist en fraticque plus en ça de calichut de .ccccccc. lieues.

¶ Bois aloes : rubarbe camphre/ et galingue viennent de chiui plus avant de calichut deux mille lieues.

Zeromba croist en calichut.

Cardamome plusgrant vient de cananor plus en ça de calichut douze lieues.

¶ Poivre long croist en samato.

¶ Bengin croist en zana plus avant de calichut .ccccccc. lieues.

¶ Tamaridi croist en calichut.

Zedovaria croist en calichut.

¶ Lacque croist en une terre appellee samator plus avant de calichut quatre cens lieues.

¶ Bresil vient de thanazar plus avant de calichut .ccccc. lieues.

¶ Oppiate vient de Ade plus en ça de calichut .cccccccc. lieues.

¶ Cy dessus sont les poix et monnoyes qui se usent en calichut avec les lieux des espiceries.

¶ Cy finist le troiziesme livre de la navigation de calichut

¶ Cy commence le quart livre de la navigation faicte en la mer de ponent par Christofle colomb genevoys.

Chapitre .lxxxiii.

Christofle colomb genevois homme de grande stature rouge : de grant engin. & visaige long : par long temps suyvit le Roy et la Royne d’espaigne en quelque part qu’ilz allassent et procuroit que ilz luy aydassent a armer quelque navire et se offroyt .liv. de trouver par la mer de ponent en inde infinies isles en laquelle indie y a habondance de pierres precieuses : espiceries & or et que facillement on les pourroit avoir Par beaucoup de temps le roy : et la royne & tous les principaulx d’espaigne : de ce qu’il disoyt le prenoyent en jeu : et finablement depuis sept ans et apres beaucoup d’ennuy ilz compleurent a sa voulenté et luy armerent une navire avec deux caravelles/ avec lesquelles environ le premier jour de septembre mil .cccc.xcii. Se partit des rivaiges d’espaigne : et commença son voyage.

¶ Isles incongneues trouvees par ledit christofle colomb.

Chapitre .lxxxiiii.

Premierement ledit colomb de gaides s’en alla aux isles fortunees lesquelles a present les espaignolz appellent canaries Anciennement elles furent appellees isles fortunees : et sont en la mer occeane de l’estroit de gilberterre .xxx. lieues Cestes isles de canarie furent dictes fortunees a cause de leur temperance Elles sont hors du climat de europe vers midy : elles sont habitees de gens nudz qui vivent sans aulcune religion : colomb y alla pour prendre de l’eaue et des refreschemens Premierement devant qu’il trouvast aucune chose il fut sur la mer trente & trois jours : et autant de nuitz continuelz sans veoir aucune terre & au bout desdictz trente et trois jours ung homme monta en caige et virent terre & descouvrirent six isles Entre lesquelles y en avoit .ii. de grandesse non ouye/ une appellee espaignolle & l’autre la jehanne mela.

¶ Deux grandes isles avec leurs noms.

Chapitre .lxxxv.

Quant ilz virent l’isle de jehanne ilz n’estoyent pas certains que ce fust isle : mais apres qu’ilz furent joignans d’elle : en la courant par la coste ilz sentirent chanter au moys de novembre entre les boys espés les rossignolz : et trouverent de tresgrans fleuves d’eaue doulce et tresbons portz et grans Et allerent par la coste de ladicte jehanne par maistral plus de .cc. lieues qu’ilz ne trouverent fin ne final d’aucune fin : et penserent que ce fust terre ferme et delibererent de retourner et aussi la mer les y contraignoit : par ce que la bise desormais leur commençoit donner travail Adonc ilz tournerent la proue vers le vent et trouverent l’isle appellee espaignolle et desirant tenter la nature d’iceulx pays de la partie de la transmontane et ja se approuchoyent de terre que la grant navire alla sus une secque plaine qui estoit plaine d’eaue et se ouvrit mais la planeure de la pierre qui estoit soubz l’eaue ayda qu’elle ne fust noyee les caravelles eschaperent les hommes & apres qu’ilz furent descendus en terre/ ilz virent des hommes de l’isle Lesquelz incontinent qu’ilz nous virent se misrent a fouyr dedans les bois tresespés : comme si se fussent esté bestes sauvaiges qui eussent esté chassees des chiens C’est une gent non ouye/ noz gens en les suivant prindrent une femme & la menerent a la navire : et apres qu’elle eut bien repeu de noz viandes et vins : et habillee de vestemens : car ilz vont tous nudz Ilz la laisserent aller.

¶ La condition de l’isle espaignolle.

Chapitre .lxxxvi.

Incontinent qu’elle fut arrivee aux siens elle sçavoit bien ou ilz estoyent & leur monstra l’habit (quant a eulx merveilleux) & apres qu’ilz eurent apperceu la liberalité de noz gens ilz coururent tous a la marine : & pensoyent que fussent gens envoyez du ciel : ilz se gettoyent dedans l’eaue et portoyent avec eulx l’or qu’ilz avoyent et changeoyent leur or en escuelles de terre & tasses de verre Qui leur donnoit une esguillette ou une sonnette ou voirement une piece de mirouer ou autre semblable chose ilz donnoyent l’or qu’ilz avoyent : & fismes en peu de temps avec eulx une grant familiarité & amitié Les nostres en chercheant leurs coustumes trouverent par signes & actes que entre eulx ilz avoyent ung roy et apres que les nostres furent descendus en terre ilz furent receuz du roy honorablement Et aussi des hommes de l’isle en leur faisant bonne chere Quant le roy fut venu et apres que le signe de l’ave maria fut donné les nostres en leur agenoillant semblablement firent ilz : & eulx voyans que noz gens adoroyent la croix & eulx aussi le firent & eulx aussi voyant que ladicte navire estoit rompue ilz alloyent avec leurs barques. lesquelles ilz appellent canoe : ilz portoyent en terre leurs hommes & les besongnes qui estoyent dedans avec une si grande charité qu’elle ne se pourroit dire : leurs barques sont d’ung seul boys et cavees avec pierres tresaguës. elles sont longues et estroictes. Il y en a d’aulcunes qui sont de .lxxx. avirons : ilz n’ont aucun fer pour laquelle chose les nostres s’esmerveilloyent moult comme ilz edifioyent leurs maisons : lesquelles merveilleusement estoyent bien ouvrees et semblablement leurs autres choses qu’ilz ont : et noz gens entendirent qu’ilz faisoient tout cela avec aucunes pierres de rivieres lesquelles estoyent tresdures et tresaguës Encores ilz entendirent que bien loing de ladicte isle il y avoit aulcunes ysles habitees .lv. de trescruelz hommes qui se paissent de chair humaine & cela fut la cause que au commencement qu’ilz virent les nostres ilz se misrent a fouyr en croyant que fussent de ces gens la lesquelz ilz appellent canibales. Les nostres avoient laissé les isles de ces gens canibales environ le millieu du chemin du costé de midy.

¶ Coustumes de canibales.

Chapitre .lxxxvii.

Ces povres gens se plaignoyent et disoient qu’ilz n’estoient point tourmentez sinon de ces Canibales et les tourmentoient ne plus ne moins comme font les tygres ou lyons les aultres bestes saulvages et les enfans qu’ilz prennent les chastrant comme nous faisons les moutons affin qu’ilz demeurent plus gras pour les menger et ainsi comme ilz prennent les hommes meurs ilz les tuent & mengeussent les intestines toutes fresches : et aussi les extremités du corps et la reste ilz le sallent : et les gardent par temps comme nous faisons les jambons les jeunes femmes qu’ilz prennent ilz ne les mangent pas : mais les gardent pour faire des enfans ainsi comme nous gardons les gelines pour faire des oeufz les vieilles elles sont esclaves de cestes isles : desormais nous les povons reputer nostres et aussi bien les hommes et les femmes : lesquelz quant ilz sentent que cesditz canibales s’aprochent d’eulx ilz ne sçavent trouver autre remede que de eulx fouyr : et combien qu’ilz se aident de faulcilles tresaguës. toutesfois cela ne peult reprimer leur fureur et leur raige. Et ces povres gens confessoient que si dix canibales trouvoient cent de eulx ilz les surmonteroient. Noz gens ne peurent pas bien entendre ce que ceste gent adore fors que le ciel le soleil et la lune. Des coustumes des aultres isles la briefveté du temps et aussi la deffaillance des interprestz fut cause que noz gens ne sceurent sçavoir aultre chose.

¶ Coustume des habitans de l’isle espaignole.

Chapitre .lxxxviii.

Les hommes de ceste isle en lieu de pain ilz usent de certaines racines de la grandeur et forme de naveaulx aucunement doulces comme chastaignes fresches : lesquelles racines ilz appellent ages : l’or a eulx est a quelque estimacion ilz en apportent qui est attaché aux oreilles et aux neez : touteffoys les nostres ont congneu que d’ung lieu en autre ilz ne font aulcun traffigue noz gens leur demandoient par signe ou ilz trouvoyent cest or : ilz entendirent qu’ilz le trouvoient dedans le sablon de certains fleuves qui courent de treshaultes montaignes : il n’y a pas grant peine a le recueillir en balotes/ et puis apres ilz le mettent en lames mais il ne se trouve pas en icelle partie de l’isle en laquelle noz gens estoyent comme depuis ilz congneurent par experience en concordant ladicte ysle : par ce que apres qu’ilz furent partis de la ilz arriverent de cas fortuit en ung fleuve d’une grandeur inestimable Et apres qu’ilz furent descendus en terre pour prendre de l’eaue Et aussi ainsi qu’ilz peschoient ilz troverent le sablon meslé avec beaucoup d’or : ilz dient avoir veu plusieurs sortes de bestes et y a des serpens en grande quantité et d’une grandeur merveilleuse. mais ilz ne nuysent a nully. Ilz y virent aussi des torterelles saulvaiges : canardz plus grans que les nostres oyes plus blanches que cygnes avec la teste rouge Papegaulx desquelz aucuns sont vers : aulcuns sont jaulnes par tout le corps autres semblables a ceulx de l’indie avec gorge rouge ilz en aporterent .lx. mais de diverses couleurs ces papegaulx qui ont esté apportez de ladicte isle monstrent ou par proximité ou par nature participer de l’indye combien que l’oppinion de colomb semble estre contraire de la grandeur de l’espere. Ceste isle produit de sa nature en grant habondance de mastic : aloes : cothon : et autres choses semblables : certains grains rouges de divers couleurs plus aguz que le poivre que nous avons certaine canelle : gingembre duquel ilz en apporterent.

¶ Les hommes que colomb laissa pour cercher l’isle.

Chapitre .lxxxix.

Colomb contend de ceste nouvelle terre trouva des signes et ung nouveau monde non ouy estant la premiere veue delibera de s’en retourner & laissa aupres le roy dessusdit .xxxviii. hommes lesquelz eussent a cercher la nature du lieu/ et le temps jusques a ce qu’il retournast. Cestuy roy s’appelloit Guacranatillo Avec lequel il avoit fait confederation de la vie et salut et deffension de ceulx qui demouroyent le roy esmeu de pitié regardant ceulx qui demouroyent pleura : et les embrassa : et leur monstroit qu’il leur feroit tout le plaisir & service qu’il luy seroit possible et colomb au moyen de cela fist faire voille pour aller en espaigne et mena avec luy deux hommes de ladicte isle et estima ledit colomb que leur langaige se apprendroit facillement lequel se peut escripre avec noz lettres. Ilz appellent le ciel turcy la maison boa L’or cauni. l’homme daben toyno : riens maxani : leurs aultres vocables ilz ne le proferoyent moins que nous aultres latins : et cela est advenu en la premiere navigation.

.lvi.

¶ Comment le colomb fut appellé admiral de la mer.

Chapitre .xc.

Le roy et la royne d’espaigne lesquelz autre chose ne demandoyent que de augmenter leur royaulme & la religion chrestienne et reduire moult de simples gens au service Facillement eulx esmeuz non seullement dudit colomb mais de dieu Et de plus de deux cens espaignolz qui estoyent allez avecques luy ilz le receurent avec grant joye : & puis luy firent de tresgrans honneurs & le firent asseoir devant eulx publicquement qui est le plusgrant honneur qu’ilz sçauroyent faire : et voulurent qu’il fust appellé admiral de la mer occeane. Et quant ilz ouyrent racompter ce qu’il avoit trouve esdictes isles ilz esperoyent d’en avoir au commencement grant prouffit plus pour l’augmentation de la foy que d’autre chose Pourquoy lesditz roy et royne firent preparer quarante et deux navires avec grandes caiges : et douze caravelles sans caiges avec mille deux cens hommes avec leurs armeures : entre lesquelz y avoit ouvriers de tous les ars mecanicques : salaires : avec aucuns hommes de cheval Colomb prepara les chevaulx porcz vaches : et beaucoup d’aultres bestes avec leurs masles : legumes : froment : orge : et autres choses semblables : non seullement pour vivre : mais aussi pour semer et porta aussi des plantes de vignes et aussi beaucoup de plantes d’aultres arbres desquelz en ladicte ysle il n’y en y a point car ilz ne trouverent en icelle aucuns qui fussent de leur congnoissance sinon pins et palmes treshaultes et de merveilleuse duresse droicture & haultesse a cause de la fertilité de la terre et aultres assez qui font fruit : lesquelz sont congneuz par ceulx du pays & est le pays le plus fertille qui soit soubz le ciel Ledict admiral prepara aussi pour porter avec luy de tous instrumens de quelque exercite que ce fust : et finablement de toutes choses fut porté qui apartiennent quant on veult edifier de nouveau une cité en ung nouveau pays. Plusieurs officiers et sergens du roy se misrent de leur propre voulenté a ceste navigacion pour le desir qu’ilz avoyent de veoir choses nouvelles Et de l’auctorité dudit admiral le premier jour de septembre mil .cccc.iiii.xx. et .xiii. Avecques bon vent firent voille de cade. Le premier jour d’octobre ilz arriverent aux canaries : et a la derniere laquelle si est appellee Sereta : ilz y arriverent le quatriesme jour dudit moys & de la dessus le midy il dressa tous les voilles on n’eut depuis nouvelles d’eulx sinon jusques au equinoctial de l’yver : et le roy & la royne eulx estans a la table du champ le .v. jour D’avril mil .cccc.iiii.xx. & .xiiii. Ilz eurent nouvelles par ung courrier comme le vingt et troiziesme de mars ilz estoyent arrivez a cades douze de ses navires Celuy qui porta ces nouvelles estoit frere de la nourrice du prince filz desditz Roy et royne : lequel vers eulx fut envoyé par ledit admiral duquel et d’aultres dignes de foy et tesmoignage cy dessoubz en sera parlé.

¶ Comment l’admiral trouva les isles des canibales.

Chapitre .xci.

Apres que Colomb fut party des canaries il navigua vingt et ung jour premierement devant qu’il trouvast aulcune terre mais il alla plus a main gauche vers ostro par garbin que l’autre premier voyage Parquoy il vint es ysles des canibales desquelz icy dessus est faicte mention et a la premiere ysle ilz virent une forest qui est tant espesse d’arbres qu’on ne povoit sçavoir quelle chose s’estoit : & pource le jour qu’ilz la trouverent estoit le jour du dimenche & ilz ne l’aperceurent jusques au dimenche : & eulx appercevant qu’elle estoit habitee ilz ne se arresterent point la/ mais ilz s’en allerent plus avant. En ces .xxi. jour selon leur jugement ilz firent .cccccccc.xx. lieues Le vent leur estoit propice : car il estoit de la transmontane : Apres qu’ilz furent partis de cestedicte isle en peu de temps ilz vindrent en une aultre pleine et habondante de plusieurs arbres qui rendoyent une odeur merveilleux Aucuns descendirent en terre/ mais ilz ne veirent aulcunes personnes ne bestes : fors des liezars d’une grandeur non ouye Ceste isle ilz l’appellerent la croix Et toute la premiere terre habitee qu’ilz virent depuis leur partement des canaries/ ceste isle estoit des caniballes comme apres ilz congneurent par experience : et par les interpretz de l’isle espaignolle qu’ilz avoyent avec eulx : En environnant ladicte isle ilz trouverent beaucoup de villages de vingt a trente maisons l’ung Lesquelles estoyent toutes ediffiees par ordre tout a l’entour d’une place ronde qui estoit au meilleu ou elles estoyent toutes faictes de boys : la façon desdictes maisons est telle. Premierement il y avoit en terre tant d’arbres si haulx qu’ilz faisoyent la circonstance de la maison : apres ilz mettent dedans aulcuns soliveaulx .lvii. cours appuyez a ces arbres affin qu’ilz ne cheoyent La couverture ilz la font en maniere d’ung pavillon : et ainsi toutes cestes maisons ont la couverture aguë Et apres ilz couvrent ces boys de fueilles de palmes : & de certaines autres fueilles semblables qui sont tresseures pour l’eaue ilz lyent lesdictz soliveaulx avec cordes de coton : et d’aulcunes racines qui ressemblent aux sparges : ilz ont aucuns tectz qui sont en l’air : sur lesquelz ilz mettent du cotton et estrain pour leur lict : & ont certaines portes ou ilz reduisent le succre en ung certain lieu ilz virent deux statues de boys qui estoyent dessus deux colomnes : et pensoyent que fussent leurs ydoles mais elles estoyent mises la seullement par beaulté Ilz adoroyent seullement le ciel avec ses planettes Noz gens en eulx approchant de ce lieu la soubdainement les hommes & femmes se misrent a fuyr/ et en cherchant dedans leurs maisons ilz trouverent trente femmes et garçons qui estoyent prisonniers Lesquelz garçons ces canibales avoyent prins dedans aulcunes isles pour les menger & les femmes pour les tenir esclaves. Les nostres trouverent dedans leursdictes maisons vaisseaulx de pierre a nostre usage de toutes sortes & es cuisines de chair d’homme boullie avec celle de papegaulx & y avoit oyes et canardz en broche pour rostir & par la maison trouverent os de bras humains Lesquelz ilz gardoyent pour faire des fers a leurs flesches pource qu’ilz n’ont de fer ilz trouverent aussi la teste d’ung garçon mort depuis peu de temps/ Laquelle estoit atachee a ung soliveau et rendoit encores sang : les nostres admenerent ceulx qui estoyent prins desdictz canibales : Ceste isle a huit fleuves tresgrans : & l’appellerent gaudipea : pource qu’elle ressemble au mont de saincte marie de gaudalippi d’espaigne les habitans l’appellent carachara Ilz apporterent de ceste ysle papegaulx plus grans que faisans moult differens des autres ilz ont tout le corps & les espaules rouges : les esles de diverses couleurs combien que les boys soyent plains de papegaulx neantmoins ilz les nourrissent et puis les mengeussent : L’admiral colomb fist donner des presens aux femmes ordonna que avec ces presens elles allassent trouver les caniballes : pource qu’elles sçavoyent ou ilz estoyent : et lesdictes femmes y allerent et trouverent grande quantité desdictz Canibales : lesquelz vindrent incontinent pour la cupidité des dons : mais des ce qu’ilz virent les nostres ou pour paour qu’ilz eurent ou par conscience de leur inhumanité en eulx regardant au visaige l’ung l’autre se misrent a fuyr dedans les vallees & les boys Les nostres qui estoyent allez par l’isle apres eulx apres qu’ilz furent reduitz aux navires ilz rompirent autant de barques qu’ilz en trouverent Et se partirent de ceste isle Gualippe pour trouver leurs compaignons a l’isle Espaignolle : au premier voyage laisserent la main dextre a la senestre trouverent beaucop [d’isles.] La apparut de la transmontane une grande isle : ceulx que l’admiral avoit menez avec luy de l’isle espaignolle entendoyent leur parler : et ceulx qui estoyent recouvrez de la main desditz canibales disoyent que ladicte ysle s’appelloit matinina : en affermant que dedans icelle n’y habitoit que femmes : lesquelles en certain temps de l’an se joignent avec les Canibales comme se dit des amazones : et si elles enfantoyent masles : elles les nourrissoyent : et puis elles les envoyent a leurs peres : si s’estoyent fumelles elles les retenoyent avec elles Disoyent aussi que cestes femmes ont certaines caves grandes soubz terre : dedans lesquelles elles fuyent quant en aultre temps de l’an que celuy qui est ordonné aucun va devers elles. Et si aucun par force ou autrement cherche : elles se deffendent avec flesches : lesquelles elles sçavent tirer tresbien : pour l’heure noz gens ne se peurent approcher de cestedicte isle En navigant a la veue de ladicte isle a dix lieues ilz passerent par une aultre isle : laquelle ceulx de ladicte isle espaignolle disoyent estre bien peuplee & habondante de toutes les choses necessaires au vivre humain : et qu’elle estoit plaine de haultes montaignes & luy mirent nom de Montferrat ceulx d’icelle isle espaignolle : Et aussi ceulx qui avoyent esté recouvrez des canibales disoyent que aulcunesfois iceulx canibales alloyent deux cens lieues pour prendre des hommes affin de les menger : Le jour ensuivant noz gens descouvrirent une aultre isle/ laquelle pource qu’elle estoit ronde l’admiral l’appella saincte marie rotonde/ une autre plus avant l’appella sainct martin : mais en nulle de cestes ne s’arresterent Le troiziesme jour ilz trouverent une autre isle laquelle ilz jugerent estre longue par coste dyametralle de levant a ponent .xl. lieues les interprestz du pays disoyent cestes isles estre d’une merveilleuse beaulté & fertilité & ceste derniere l’appellerent saincte marie l’ancienne : depuis laquelle ilz trouverent assez d’aultres isles : Mais de la a cent lieues y en a une plus grande de toutes les autres & les habitans d’icelle l’apellerent Ay ay : & les nostres la nommerent saincte croix et la descendirent pour avoir de l’eaue : et l’admiral envoya en terre trente hommes de sa navire qu’ilz cerchassent l’isle : lesquelz trouverent .lviii. quatre canibales avec quatre femmes : lesquelles ainsi qu’elles virent les nostres sembloit qu’elles demandassent secours a mains joinctes : lesquelles furent delivrees par les nostres : Les Caniballes s’en fuyrent au boys : & l’admiral estant la par l’espace de deux jours fist demourer en terre trente hommes des siens continuellement en aguet Ce pendant les nostres virent venir une canoe c’estassavoir une barque avec huyt hommes & huyt femmes. Et le signe fait noz gens les assaillirent : et eulx avec flesches se deffendoient par façon avant que les nostres se couvrissent avec leurs targes ung bisquain fut tué d’une de ces femmes : laquelle avec une flesche en frappa encores ung aultre griefvement les nostres se apperceurent que les fleches estoyent envenimees/ et que en la poincte elles estoyent oinctes de certain oignement venimeux : entre ces gens icy y avoit une femme a laquelle il sembloit que toutes les aultres luy obeissoyent comme a une royne Et avec elle y avoit ung jeune enfant son filz robuste de regard cruel : et avoit le visaige d’ung larron. Les nostres doubtant qu’ilz ne fussent gastez desdictes fleches delibererent pour le meilleur venir aux estroitz & donnerent des avirons dedans l’eaue avec une barque de la navire : et les envahirent et mirent en fons : eulx voirement aussi bien les hommes comme les femmes en naviguant ne laissoyent a tirer desdictes fleches. Mais ilz furent suyviz si roydement des nostres qu’ilz se mirent sus une pierre couverte d’eaue/ et la combatant ilz furent prins des nostres. Et l’ung d’eulx y fut tué : et le filz de la royne fut blecé de deux coups : ilz furent conduitz devant l’admiral mais non pourtant ilz ne perdirent leur ferocité & atrocité ne plus ne moins que fait ung fier lyon quant il se sent prins et lyé : et a l’heure il ronge plus et se faict plus cruel. Il n’y avoit homme qui les vist qu’il ne sentist paour a cause de leur atrocité et dyabolic regard L’admiral en allant a ceste heure par midy : a ceste heure par garbin : a ceste heure en ponent : il vint a une largesse de mer plaine de innumerables isles differentes aucunes sembloient plaines de boys et doulces. Les aultres seiches et steriles sapeuses : montueuses : les autres se monstroient entre les pierres de couleur cramoisy/ les autres de violet les autres tresblanches. Parquoy plusieurs estimoyent que la fussent metaulx & pierres precieuses. Ilz ne descendirent pas la pource que le temps n’estoit pas bon. & aussi pour la paour de l’espesseur & quantité de tant d’isles doubtant aussi que les navires ne trouvassent aulcunes pierres ilz reserverent a quelque autre temps pour nombrer lesdictes isles toutesfois aucunes caravelles qui n’avoyent besoing d’eaue trop parfonde passerent par le millieu d’aucunes : et en compterent quarante et six : et appellerent ce lieu la archipellage. a cause de tant de ysles : En passant avant a cestuy train au meillieu du chemin ilz trouverent une isle appellee buchima : de laquelle plusieurs estoyent de ceulx la qui avoyent esté delivrez des mains des caniballes : ceulx la disoyent qu’elle estoit bien peuplee labouree et plaine d’arbres et de buissons & les habitans d’icelle continuellement avoyent esté ennemis des canibales Ilz n’ont point de navires pour aller trouver l’isle d’iceulx canibales : mais si par advanture les caniballes viennent en leur isle pour les prendre et ilz les pevent prendre ilz leur ostent les yeulx : ilz les taillent en pieces : et les rostissent et les devorent par vengeance. Toutes ces choses ilz entendoient par les interpreteurs admenez de l’isle espaignolle : les nostres pour non trop demourer laisserent cestedicte isle fors d’ung costé vers ponent Affin de avoir de l’eaue/ et aulcuns d’eulx descendirent en terre & trouverent une grant maison & belle a leur coustume avec douze aultres petites mais elles estoyent deshabitees/ et ne povoyent penser pourquoy sinon pour la grant chaleur qui y estoit : et que les gens demourassent es montaignes : ou pour la paour des canibales : toute ceste isle ont ung roy : lequel ilz appellent chiacichio : et est obey avec grande reverence de tous : la coste de ceste isle vers midy se extent environ .l. lieues : la nuyt deux femmes & deux garçons delivrés des canibales se getterent en la mer/ & nouerent a l’isle qui estoit leur païs.

¶ Comment colomb trouva ses gens mors.

Chapitre .xcii.

L’admiral finablement arriva avec son armee a l’isle espaignolle loingtaine de la premiere isle des canibales .cccc. lieues mais il y arriva a une piteuse adventure : car il trouva mors tous les compagnons qu’il avoit laissés/ en ceste isle espaignolle est une region qui s’appelle xainana : de laquelle l’admiral quant il s’en retourna la premiere fois il print et emmena avec luy .x. hommes de ladicte isle desquelz .iii. seullement y en avoit vivans Les aultres estoyent mors pour la mutation de l’air : et quant premierement ilz arriverent a Satheremo laquelle ont ainsi appellee : ceste coste xaniano : Ledict admiral en laissa aller l’ung : les aultres deux de nuyt se desroberent : et se gecterent en mer : et en nouant ilz eschapperent. De laquelle chose L’admiral n’en tint pas grant compte/ cuydant trouver en vie les trente & huit hommes .lix. qu’il avoit laissez : mais apres qu’il fut allé ung peu plus avant il rencontra une canoe/ c’estassavoir barque longue de beaucoup d’avirons : en laquelle y avoit ung frere du roy Guacenarille avecques lequel quant l’admiral se partit avoit fait une grande alliance et avoit affectionnement recommandé ses hommes : cestuy acompaigné d’ung homme seul vint audict admiral et au nom de son frere luy promettoit donner deux ymages d’or : Et comme apres qu’il fut entendu par son langaige : il commença a narrer la mort des nostres/ mais par faulte d’interpreteurs du tout il ne fut pas entendu. Apres quant L’admiral fut arrivé au chasteau du boys : et il trouva les maisons que noz gens avoyent faictes estre destruictes et converties en cendres. de laquelle chose tous eurent grande compassion : toutesfoys pour veoir si aulcun d’eulx seroit demouré en vie il feist tirer beaucoup de bombardes affin que si aulcun eust esté caché qu’il saillist dehors mais c’estoyt en vain/ car tous estoyent mors : l’admiral envoya des messaigiers au roy guacenarille : lesquelz rapporterent par les signes que ilz avoyent peu comprendre que en icelle isle y avoyt de plus grans roys que luy : lesquelz ayant entendu la venue de ceste nouvelle gent estoient venus avec grant excercite et surmonterent les nostres et les tuerent tous & destruirent le chasteau en bruslant tout en les voulant secourir il fut frappé d’une flesche : & monstra ung bras qu’il avoit lyé en disant que c’estoit la cause pour laquelle il n’estoit venu vers l’admiral ce qu’il desiroit faire L’autre jour ensuyvant l’admiral envoya ung marquis de sibelle audict roy : lequel luy tira la bende du bras et trouva que il n’avoit aucune blessure ne signe de playe : touteffois il trouva qu’il estoit dedans le lict en monstrant d’avoir mal/ son lit estoit conjoinct avec sept autres et ses concubines : ledit admiral et tous les aultres commencerent a souspeçonner que les nostres avoyent esté tuez par le conseil et la voulenté de luy. Touteffoys ledict marquis en dissimulant il feist tant que le jour ensuyvant il viendroit veoir ledict admiral & ainsi le fist : & l’admiral luy fist bonne chere & grant feste : et moult se excusa de la mort des nostres Et quant il veit une des femmes que noz gens avoyent osté aux caniballes/ laquelle noz gens appelloyent Katherine : il luy feist grant feste et parla a elle moult amoureusement : les nostres ne l’entendoyent point. Apres il s’en partit avec grant amour. Aulcuns des nostres conseillerent a l’admiral qu’il le deust retenir : et luy faire confesser comme les nostres avoient esté tuez & luy faire porter la peine qu’il avoit meritee mais l’admiral considera qu’il n’estoit pas encore temps d’irriter les habitans de ladicte isle Le jour ensuyvant le frere de cestuy roy vint aux navires et parla avec la femme dessusdicte et la seduyt comme l’yssue le monstra/ car la nuyt ensuivant ou pour se delivrer de captivité ou pour la suasion du roy se gecta dedans l’eaue avec sept autres femmes toutes convices d’elle ce faire et passerent environ une lieue de mer/ les nostres en les suyvant avec leurs barques en recouvrerent trois seullement : Katherine avec les aultres troys s’en allerent au roy : lequel le lendemain ensuyvant il s’en fuyt avec toute sa famille. Parquoy noz gens apperceurent que les trente et huyt hommes qui estoyent demourez avoyent esté tuez de luy.

¶ Les choses que trouva le marquis frere de l’admiral en cerchant le roy et ses gens.

Chapitre .xciii.

L’admiral envoya apres le roy ledict marquis avec .ccc. hommes armez lequel de fortune vint a la bouche d’ung fleuve ou ilz trouverent ung noble et bon port : lequel est apellé port royal l’entree est tant tortue que quant l’homme est dedans il ne congnoist par ou il est entré combien que l’entree soit grande que troys navires de fronc y puissent passer : au millieu du port y a ung mont tout verd & bosqueux plain de papegaulx & aultres oyseaulx qui continuellement chantent doulcement : en cestuy port y avoit deux fleuves en allant plus avant ilz veirent une treshaulte maison & pensant que la fust le roy ilz s’en allerent la/ & eulx en approchant vint au devant d’eulx ung homme acompaigné de cent hommes trescruelz de regard tous armez avec ars flesches et lances en criant qu’ilz n’estoyent pas canibales : mais raynos/ c’est a dire nobles et gentilz hommes : les nostres leur firent signe de paix & eulx apres qu’ilz eurent osté leur ferocité ilz se firent ensemble bons amys de sorte que incontinent sans aultre chose ilz descendirent es navires ou leur fut donné des presens c’estassavoir sonnettes d’esprevier & semblables choses/ les nostres mesurerent ladicte maison & l’entour d’icelle estoit de .xxxii. grans pas elle estoit ronde & a l’entour d’icelle avoit trente aultres maisons petites les solives estoyent de canes de diverses couleurs : cousues avec ung merveilleux art les nostres leur demandoient le mieulx qu’ilz povoyent du roy qui s’en estoit fuy : ilz leur notifierent qu’il s’en estoit fuy a la montaigne/ & de ceste nouvelle amytié les nostres delibererent de le faire sçavoir a l’admiral lequel en divers lieux avoyt .lx. envoyé divers hommes pour exposer ou estoit le roy : entre lesquelz il avoit envoyé horeda et gormalan jeunes hommes nobles et couraigeux : et ceulx icy trouverent quatre fleuves l’ung d’une partie et les trois d’une autre : lesquelz descendoyent d’une autre montaigne : tous ceulx de l’isle dedans le sablon recueilloyent de l’or en ceste maniere : ilz mettoyent leurs mains dedans aucunes fosses : et avec la main gauche ilz tiroyent le sablon : et avec la main dextre ilz cueilloyent l’or : et le donnoyent aux nostres : et disoit avoir veu beaucoup de grains de la quantité d’une cloche de gingembre lequel fut porté au roy d’espaigne il fut veu ung grain de sept onces de plusieurs personnes.

¶ Le fleuve de l’or et beaucoup de choses trouvees.

Chapitre .xciiii.

Quant les nostres virent cela ilz retournerent a l’admiral par ce qu’il avoit commandé sur peine de la vie : que nul ne fist autre chose que descouvrir Ilz entendirent aussi qu’il y avoit ung certain roy aux montaignes desquelles venoyent lesdictz fleuves lequel ilz appellent cazichio : cannoboa. c’est assavoir seigneur de la maison de l’or. Boa veult dire maison : canno or. Et cazichio roy ilz trouverent en cesdictz fleuves poissons tresparfaitz et semblablement ledict marquis de sibille dict que aupres les canibales ou moys de decembre est equinoctial : mais je ne sçay pas comme ce peult estre pour la raison de la spere : et dit que en iceluy moys les oyseaux faisoyent leurs nidz : et aucuns avoyent des petis : toutesfois je demanday de l’aulteur du pole de l’orient : il me fut dit que aux caniballes tout le chariot estoit chargé soubz le pole artic & les grandes transmontanes il n’est venu aulcun de cestuy voyage : auquel on puisse adjouster ferme foy pource qu’ilz sont hommes sans lettres.

¶ Chasteau ediffié de l’admiral en l’isle espaignolle.

Chapitre .xcv.

Or print l’admiral cocinfrone ung lieu joignant a ung port affin d’y ediffier une cité : et commença a ediffier et faire une eglise : mais en aprochant le temps que il avoit promis au roy de luy notiffier ce qu’il auroit trouvé renvoya en derriere douze caravelles : avec notice de ce qu’ilz avoyent veu & entendu L’admiral estant demouré en ladicte isle espaignolle/ laquelle aulcuns l’appellent offira : et dyent que c’est ceste la. De laquelle ou vieil testament ou .iii. livre des roys s’en fait mention Laquelle est par sa grandeur cinq degrez austrailles : Qui sont des lieues mille .lxx. le pole se lieve .xxvii. degrez/ & de la moitié du jour sicomme il dit degrez .xxii. sa longueur de levant a ponent a .cccccccclxxx. milles : qui sont de lieues deux cens vingt lieues La forme de ladicte isle est comme la fueille d’ung chastenier. L’admiral delibera ediffier une cité sus une montaignette au meilleu de l’isle de la part de la transmontane pource que la empres y avoit une montaigne faicte avec boys : Et pierres de faire de la chaulx laquelle il appella ysabeau : et aupres de ceste montaigne est une plaine de seize lieues de long : & large en aucun lieu plus estroicte d’une lieue et demye : par laquelle passent plusieurs fleuves Ceste plaine est tant fertille que en aucuns jardins sur le sablon du fleuve ilz semerent de diverses sortes d’herbes comme laictues : bourraiges : raves : et toutes en terme de .xvi. jours elles creurent Pompons : concombres : et autres choses semblables en .xxxvi. jours furent recueillis : les meilleurs que jamais nous mengeasmes : L’admiral a cause de la notice qu’il avoit eue des habitans de ladicte isle envoya .xxx. hommes en une province qui est dedans ladicte isle : laquelle s’appelle Cipangy : laquelle est situee au meilleu de ladicte ysle/ et est montueuse avec grande habondance d’or. Ceulx qui y furent racomptent choses merveilleuses de richesses de ce lieu la : et que de la montaigne descendoyent quatre fleuves : lesquelz se divisent en quatre parties/ l’ung va vers le levant appellé summa L’autre en ponent appellé Atribunco : Le troiziesme va a la transmontaine dit Jachem et le quart a midy et est appellé Naiba.

¶ Comment l’admiral alla a la myne d’or.

Chapitre .xcvi.

Or pour retourner a nostre propos apres que l’admiral eut faict ceste cité environnee de muraille le .xii. jour de mars se partit avec .cccc. hommes tant a pied que a cheval et se mist en chemin pour aller a la province de l’or de la part du midy Et apres qu’ilz eurent passé montaignes : vallees et fleuves ilz vindrent a une plaine : laquelle est le commencement de Cimbago : par laquelle courent aucuns ruisseaulx avec le sablon de l’or Adoncques quant l’admiral eut cheminé par dedans l’isle environ dixhuit lieues : et loing de sa cyté il arriva a une rive d’ung grant fleuve : et la en une montaigne assez apparente delibera de faire une forteresse pour plus seurement .lxi. chercher les secretz du pays ce qu’il fist : et apella la forteresse sainct thomas et luy estant en faisant cest ediffice : Plusieurs paysans vindrent a luy pour avoir des sonnettes et autres merceries qu’il avoit : il leur demandoit a l’encontre que ilz luy apportassent de l’or Parquoy en peu de temps ilz allerent et porterent assez bonne quantité d’or Entre lesquelz ung des leur aporta ung grain d’une once : les nostres s’esmerveilloyent de telle grandeur. Toutesfois avec signes ilz demonstroyent qu’il s’en trouvoit encores de plusgrans & mesmement en un pays distant de la d’une demye journee : et que la s’en trouve de grans pieces/ lesquelles pieces pour non estre mises en oeuvre ilz ne les estimoyent gueres & oultre cela aultres en apportoyent des pieces plusgrandes de dix dragmes l’une : et aussi affermoyent qu’il s’en trouvoit de plusgrandes. L’admiral envoya aucuns des siens a ce lieu la : lesquelz en trouverent beaucoup plus que ne luy avoit esté dit ilz ont des boys plains d’espicerie : mais ilz ne les recueillent pas sinon quant ilz la veulent permuter avec les hommes des autres Isles voysines en platz et escuelles de terre et vaisseaulx de boys faitz dedans aultres ysles : pource qu’ilz n’en ont point Au moys de mars ilz trouverent des raisins saulvaiges bien meurs : combien qu’en ceste province soit planté de pierres : toutesfois elle est plaine d’arbres et verde. Ilz disent qu’il pleut la assez : parquoy la y a plusieurs fleuves & ruisseaulx avec le sablon de l’or : et croyent que celuy or descende de ces montaignes : et sont gens moult paresseux en yver ilz tremblent de froit et combien qu’ilz ayent les boys plains de coton toutesfois ilz ne font faire aulcuns vestemens.

¶ Des choses merveilleuses trouvees par l’admiral.

Chapitre .xcvii.

Quant tout ce que dessus a esté dit a esté cherché. L’admiral s’en retourna a la tour ysabeau en laquelle il laissa aucuns pour la gouverner : et luy se partit avec trois navires pour aller descouvrir certaine terre qu’il avoit veue et pensoit que ce fust terre ferme et est loing de ladicte isle espaignolle de .xvii. lieues : et demye et non plus Laquelle terre les paysans l’appellerent cuba Apres qu’il eut passé du costé de midy : il se mist a aller vers ponent Et tant plus y alloit avant tant plus il se esloignoit des rivaiges et s’en alloit engoulfant vers midy tant qu’il arriva a une isle appellee des paysans Jamaïca : mais comme il est dit des cosmographiens elle est dicte Jehanne plusgrande : elle est plusgrande que la Sicille et a une seulle montaigne au meilleu qui se commence a lever de toutes les pars de l’isle : mais elle va en montant peu a peu jusques au meilleu de ladicte isle : et semble que elle ne monte point Ceste isle aussi bien a la marine comme au meilleu est tresfertille et plaine de peuple qui est plus agu et de plus grant engin que tous les habitans des aultres ysles promptz a la marchandise et sont belliqueux : Et l’admiral se voulant mettre en terre et en divers lieux ilz acouroyent armés et ne laissoyent descendre noz gens et en plusieurs lieux ilz combatirent avec les nostres : mais ilz demourerent perdans : et depuis ilz se firent amys ilz laisserent ceste isle Jamaïcque : et naviguerent par le ponent sept jours toutesfois par la coste de Cuba tant que l’admiral pensoit avoir passé. L’aurea chersoneso qui est aupres nostre Levant & croit avoir trouvé des .xxiiii. heures du soleil les .xxii. et combien que en ceste navigation il souffrist de grandes tribulations : toutesfois il delibera d’aller tant avant qu’il vouloit veoir la fin de ceste cuba si elle estoit terre ferme ou non & naviga .ccc.x. lieues par ponent tousjours par le rivage dudit cuba En ceste navigation mist nom a sept cens ysles/ mais il en passa plus de deux mille. Et en courant la coste de ceste terre de cuba il trouva beaucoup de choses dignes de commemoration Premierement apres ung peu qu’il eut commencé a naviguer il trouva ung tresbeau port capable d’ung grant nombre de navires et mist en terre aulcuns des siens et trouverent aucunes maisons de paille sans y trouver aucun dedans et trouverent des broches de bois au feu : esquelles y avoit embroché environ cent livres de poisson & deux serpens de huit piedz de long et quant ilz ne apperceurent aucuns hommes ilz commencerent a menger dudit poisson et laisserent les serpens qui estoyent de la forme de cocodrilles depuis se misrent a chercher ung boys de la voisin et virent beaucoup de ces serpens lyez aux arbres avec cordes : et coururent une piece avant & trouverent environ .lxx. hommes qui estoyent fuys en la cyme d’ung grant rocher pour veoir que s’estoit que vouloyent faire les nostres lesquelz leur firent si grant feste avec signes en leur monstrant des sonnettes et autres merceries que l’ung d’eulx descendit en ung autre rocher plus prochain ung de l’isle espaignolle Lequel de sa jeunesse estoit nourry avec l’admiral alla se joindre avec cestuy et parla a luy et quasi de langaige ilz estoyent semblables et le asseura et luy et tous les aultres vindrent aux navires & firent grant amitié avec les nostres .lxii. et leur declairerent qu’ilz estoient pescheurs venus pour pescher pour leur roy qui faisoit ung banquet a ung aultre roy/ & furent bien contens de ce que les nostres leur avoyent laissé les serpens lesquelz ilz gardoient pour la personne du roy/ et que c’estoit une viande delicate. L’admiral apres qu’il fut informé de ce qu’il desiroit sçavoir les laissa aller et suyvit son voyage vers le Ponent et en allant par ceste partie il la trouva moult fertille et plaine de gens humains/ lesquelz sans aucun suspeçon couroyent aux navires et portoyent aux nostres de leur pain qu’ilz usent & des bouteilles plaine d’eaue : & nous convoyent amoureusement de descendre en terre en allant plus avant ilz vindrent en une multitude D’isles sans nombre/ lesquelles se monstroient toutes habitees & pleines d’arbres et tresfertilles de la part de la terre ferme de la coste en laquelle nous trouvasmes ung Fleuve navigable d’eaue toute chaulde que on n’y povoit tenir les mains : depuis plus avant ilz trouverent aulcuns pescheurs dedans certaines Barques de ung boys creux qui peschoient lesquelz avoient pesché ung poisson d’une forme a nous incongneue. lequel a le corps d’une anguille et plusgrant : & dessus la teste a une certaine peau bien tendre qui semble d’une grant bource : & le tenoyent lyé avec une corde a ung bout de la barque/ pource qu’il ne peult souffrir la veue de l’air : et quant les pescheurs veoyent aucun grant poisson ou des tortues ilz laschent ladicte corde et des ce qu’il est lasché il court comme ung carreau d’arbalestre au poisson ou en ladicte tortue en leurs mettant au dos celle peau qu’ilz tiennent sur ladicte teste/ avec laquelle il les tient si fort que ilz n’en peuvent eschaper. Et ne les laisse point sinon que les pescheurs le tirent hors de l’eaue : lequel poisson des ce qu’il a sentu l’aer il laisse la proye : et les pescheurs sont prestz a le prendre & en la presence des nostres ilz prindrent quatre calandres lesquelles ilz donnerent a noz gens pour une viande tresdelicate : & fut demandé a cesditz pescheurs combien duroit ceste coste et ilz respondirent qu’elle n’avoit fin. Eulx partis de la ilz allerent plus avant : touteffois par ladicte coste et trouverent grant diversité de gens : & apres cestedicte terre ilz virent une Isle en laquelle ilz ne apperceurent aulcune personne tous se en estoient fouys mais tant seullement veirent deux chiens treslaidz de regard & ne habayoyent point : & virent des oyes & des canardz dedans ceste isle. En cestedicte coste de Cuba trouverent ung passaige si estroit et avec tant de gorges et tant d’espume que mainteffoys les navires toucherent en terre Ces gorges durent huit lieues l’eaue estoit blanche et espesse qu’il sembloit qu’on eust getté par tout de la farine apres que ces gorges furent passez a vingt lieues ilz trouverent ung mont treshault ou ilz mirent aulcuns hommes en terre pour avoir de l’eaue et du boys : ung arbalestrier qui entra dedans ung buysson pour faire sa necessité : arriva sur luy ung homme vestu de blanc et fut jusques sur la teste devant qu’il advisast au commencement il cuidoit que ce fust ung religieux qu’ilz avoient avec eulx en leur navire : mais tout incontinent au derriere de cestuy en apparut deux autres vestuz de telle sorte : & ainsi regardant il en vit une assemblee environ .xxx. Lesquelz incontinent qu’il les eut veuz il commença a fouyr & ilz alloient derriere en faisant signe qu’il ne s’en fuist point : mais luy le plustost qu’il peut il courut aux navires et fist entendre a l’admiral tout cela qu’il avoit veu : lequel envoya en terre par divers chemins plusieurs gens/ mais nully n’en sceut trouver aulcune chose : ilz veirent beaucoup de voiles atachees aux arbres. & beaucoup d’arbres d’espiceries : en allant plus avant ilz trouverent d’autres gens de diverses langues lesquelles ceulx de l’isle espagnole qui estoient avec l’admiral entendoient aulcunement et en costoyant ladicte terre de cuba ilz s’en alloyent chascun jour plus engoulfant a ceste heure a ostro a ceste heure a garbin/ et alloient & trouverent la mer plaine d’isles : & beaucoup de plaiges : tant que par plusieurs fois les navires touchoient a terre & l’eaue y entroyt dedans : et les voylles estoyent gastees et le biscuyt. Parquoy furent contrainctz de retourner par le chemin qu’ilz estoyent allés et s’en revindrent a l’isle espaignolle.

¶ Comment les roys de l’isle Espaignolle furent desconfitz.

Chapitre .xcviii.

Alors quant ilz furent arrivez en l’isle espagnole ilz trouverent que ung seigneur nommé marguerit et plusieurs autres chevaliers s’estoient partis courroucez avec l’admiral & s’en estoient retournez en espaigne Parquoy luy delibera aussi d’y aller doubtant que lesdictz chevaliers dissent au roy mal de luy : & aussi pour demander gens & victuailles/ mais devant que aller il chargea d’appaiser & de mitiguer aucuns de ladicte isle qui estoyent courroucez contre les espaignolz pour les insolences/ .lxiii. larcins/ murdres/ & beaucoup d’autres maulx qu’ilz faisoyent devant ses yeulx : premierement il reconsilia et feist ung amy d’ung roy appellé guarionexio : lequel y avoit esté du premier voyage/ et l’avoit fait pour son interpreteur Et apres ledict admiral alla au lieu la ou il avoit fait la forteresse appellee sainct thomas : laquelle estoit assiegee d’ung roy & y avoit .xxx. jours que le siege estoit devant il leva le siege et print le roy qui l’avoit assiegee et avoit deliberé d’aller plus oultre en subjugant les roys d’icelle isle : mais il entendit que par dedans on se mouroit de faim et que desja il s’i estoit mort une grant quantité de gens en ladicte isle : & que cela estoit par leur faulte/ car affin que les crestiens eussent souffrance de vivres : ilz avoyent arraché les racines dequoy ilz faisoyent le pain : & se nourrissoient en pensant que pour ceste cause les deussent habandonner ladicte isle : mais le mal estoit sur eulx par ce que les nostres furent secouruz de vivres du roy guarionexio car en son païs n’y en avoit pas si grande necessité comme es autres & pour ceste raison l’admiral se departit du chemin & entreprinse par luy commencee : & affin que les siens eussent plusieurs forteresses en ladicte ysle pour retirer quant le cas y adviendroit : il fist faire entre la rocque saint Thomas et le royaulme du Guarionexio une autre roque c’est a dire forteresse assise dessus une montaigne et l’appella la conception. les habitans de l’isle voyant les crestiens estre en propos de garder et maintenir icelles isles envoyerent de divers lieux embassadeurs vers l’admiral en luy suppliant pour l’amour de dieu qu’il mist ordre a ses gens lesquelz soubz umbre de trouver l’or alloient par l’isle & leur faisoient mille maulx en eulx offrant tribut des choses qui se trouvoyent en leurs provinces et ainsi fut conclud et accordé : les habitans des montaignes cibani entre eulx se obligeoyent donner tous les trois moys que entre eulx ilz appellerent troys lunes une certaine mesure plaine d’or : et l’envoyer jusques a la cité : les aultres ou naissent l’espicerie & coton se obligeoyent donner d’iceulx une certaine quantité.

¶ Les roys qui se rebellerent pour le mauvais portement des espaignolz.

Chapitre .xcix.

Lors cestuy accord fut rompu a cause de la famine pource que quant les racines leur furent faillies ilz avoyent assez de travailz d’aller tout le jour par boys en procurant a menger : touteffois aulcuns tindrent ledit accord. Et au temps deu ilz portoient partie de ce que en quoy ilz estoyent obligez Et eulx excusant de la reste et prometoient que le plustost qu’ilz se pourroyent restaurer ilz payeront le double. En cestuy temps fut trouvé es montaignes de cibani une piece d’or pesant vingt onces d’ung certain roy lequel habitoit assez loing de la rive du fleuve laquelle piece d’or fut portee au roy d’espaigne : & plusieurs gens la veirent il fut trouvé des boys de bresil et beaucop d’autres choses dignes de memoire Et pource que aulcuns se esmerveilloyent en disant pourquoy les caravelles d’espaigne qui estoyent allees en ladicte isle : quant elles retournerent ne furent elles aussi bien chargees d’or attendu qu’il en y a si grande quantité comme elles furent chargees de bresil : je respondray a cela que combien qu’il s’i trouve de l’or assez eu esgard a beaucoup d’aultres lieux. Touteffois il ne recueilloit pas sans grant peine et les hommes que l’admiral admena avec estoyent de disposition contraire a la peine : mais donnez a lubricité : et oysiveté : non envieulx a chastier pays : mais scandaleux et pour leurs maulvaises coustumes ilz se rebellerent a l’encontre dudict admiral : & oultre de cela les hommes de ladicte isle qui estoient de nature barbarique Ilz n’estoyent pas facilles a dompter : & estoyent dolens & courroucez pour le maulvais portement des espaignolz en façon que jusques a present a grant peine le gaing satisfera a la despence. Neantmoins cestuy an mil .ccccc. et .i. ilz ont en deux moys recueilly .xii. milles livres d’or huyt cens pour livre. Et aultres entrés & gaings comme s’il plaist a dieu cy dessoubz nous dirons non divertant de nostre propos. ¶ En celuy an il vint si grande fureur de vent qu’il arrachoit les arbres et les portoit jusques au ciel : et trois navires dudict admiral qui estoyent au port furent noyees et l’eaue creut tant qu’elle vint jusques sur terre plus hault d’ung bras : de laquelle chose ceulx de l’isle pensoyent que les crestiens fussent cause de cela a cause de leurs pechez : car ilz estoyent allez destourber le vivre pacifique : par ce que il n’y avoit aulcuns d’eulx qui jamais eust ouy dire ne veoir telle chose/ l’admiral apres qu’il fut venu au port incontinent fist faire deux caravelles par maistres tressouffisans.

¶ Forteresse ediffiee a la mine d’or.

Chapitre .c.

Ce temps pendant Berthelemy colomb Admiral envoya ung sien frere Lequel il avoit ja constitué Capitaine de l’isle avec aulcuns bien armez & industrieux a la mine des metaulx et alloyent es montaignes esquelles ilz cavent l’or .lxiv. et elles sont distantes de la forteresse ysabeau .lx. lieues Et pour chercher au vray la nature de ces lieux ledit cappitaine y alla et trouva des caves tresparfondes et antiques esquelles que se juge le roy salomon quavoit son tresor comme il se list au vieil testament les maistres que le cappitaine avoit menez avec luy en cerchant les superfices de la terre d’icelles caves virent qu’elles duroyent quatre lieues et jugerent qu’il y avoit si grande quantité d’or que chascun maistre facillement pourroit caver chascun jour trois onces d’or de laquelle chose le cappitaine le fist incontinent sçavoir a l’admiral : lequel apres qu’il eut entendu cela il delibera de retourner en espaigne : mais premierement il constitua son frere capitaine et gouverneur de l’isle et se partit au commencement de mars Mil quattre cens quatre vingtz et quinze a la volte d’espaigne ce pendant ledit cappitaine par le conseil de l’admiral son frere ediffia aupres lesdictes caves de l’or une forteresse et l’appella doree pource que en la terre de laquelle ilz faisoyent la muraille ilz y trouverent de l’or meslé parmy et consomma trois moys a ediffier et forger ouvraiges et recueillir de l’or Mais la famine les destourba et contraignit a laisser l’oeuvre imparfaicte et se partit de la & laissa a la forteresse dix hommes avec telle partie de pain que de l’isle qu’il peust finer : et ung chien pour prendre les connins et s’en retourna a la roche de la conception au moys que les roys Guarionexio & Manicantexio devoyent payer le tribut Et demoura par tout le moys de juing : auquel il receut le tribut & entier de ces deux roys et les choses necessaires pour le vivre pour luy et pour les siens qui estoyent avec luy Lesquelz estoyent environ quatre cens hommes.

¶ Les vivres envoyez d’espaigne avec le commandement du roy.

Chapitre .ci.

Le premier jour de juillet arriva troys caravelles avec froment : huille : vin : chair de porc & d’autres mengeailles sallees lesquelles furent toutes parties & divisees chascun donné sa porcion par cesdictes caravelles le Roy d’espaigne manda par commandement a tous ses hommes qui estoyent en ladicte isle qu’ilz s’en deussent aller habiter a la partie du midy plus prochaine es caves de l’or : et qu’ilz luy envoyassent tous les roys crestiens avec ses subjetz & le mandement fut mis a execution car il fut prins .ccc. habitans de ladicte isle avec leurs roys et envoyez au roy d’espaigne : et aussi a la partie du midy : en ensuivant le mandement ilz ediffierent une roche en une montaigne qui estoit bien pres d’ung tresbon & beau port laquelle ilz appellerent sainct dominique pource que a ung jour de dimenche ilz arriverent la : audit port y court ung fleuve de tresbonnes eaues habondant de diverses sortes de poisson par lequel les navires naviguent jusques a troys lieues pres de ladicte tour doree : en la forteresse d’ysabeau laisserent seullement les malades et aucuns maistres qui forgeoyent deux caravelles toute la reste vint a ladicte tour de sainct dominique apres qu’elle fut ediffiee le capitaine laissa en garde [en] ladicte tour .xx. hommes : et la reste il mena avec luy pour chercher les parties d’entre l’isle vers ponent.

¶ L’honneur qui fut faict au capitaine par ung roy qu’il trouva en cherchant ladicte ysle.

Chapitre .cii.

Apres que ledict capitaine fut mis en chemin il trouva le fleuve naiba/ distant de vingt et cinq lieues lequel comme il est dit cy dessus descend des montaignes de cibani de la part de ostro apres qu’il eut passé ledict fleuve il envoya aulcunes gens en la province d’aucuns roys de la part de ostro qui avoyent beaucoup de bois de bresil desquelz ilz en taillerent grant quantité et le misrent en la maison des habitans de ladicte isle pour sauveté jusques a leur retour pour les emporter avec les navires Et ainsi allant ledit cappitaine a la main dextre non trop distant dudit fleuve Naiba il trouva ung puissant roy qui avoit mis camp pour subjuguer ce peuple de ce lieu la le royaulme de cestuy roy est au chief de l’isle vers ponent qui s’appelle Sanagua : loingtain du fleuve Naiba trente lieues Tout le pays est montueux et aspre : & tous les roys de ceste contree luy doivent obeyssance Le capitaine en allant avant vint a parlement avec cestuy roy en maniere qu’il induit a payer tribut de coton & autres choses qu’ilz ont par ce que l’or ne se trouve en ces parties la et apres que l’acord fut faict ilz allerent de compaignie en la maison de cestuy roy ou ilz furent bien honnorez et luy vint a l’encontre tout le peuple de celuy roy avec grant feste et esbatemens & entre aultres y eut deux Le premier fut que au devant de luy trente belles jeunes filles du roy toutes nues : excepté les parties honteuses : lesquelles estoyent couvertes avec ung certain drap de coton faict a leur usance et coustume des damoiselles celles qui ne sont pas vierges vont avec tout le corps descouvert Chascune .lxv. d’elle avoit une branche d’olivier en la main avec les cheveulx par dessus l’espaule/ mais leur front estoit [lyé] d’une bande/ lesquelles estoyent couleur grisastres mais tresbelles et saultoyent & dançoyent & chascune d’elles donna au capitaine la branche d’olivier qu’elles portoyent en leur main Apres qu’il fut entré en la maison luy fut appresté ung tresbeau soupper a leur usance et puis apres furent logez selon la qualité de chascun Le jour ensuivant ilz furent menez en une maison laquelle ilz usent en lieu de theatre : ou il fut fait beaucoup de jeux et dances paisibles En apres vint deux compaignies d’hommes l’une d’une bande & l’autre de l’autre bande combatans ensemble aussi impetueusement et asprement qu’il sembloit qu’ilz fussent ennemys avec dars & flesches en sorte qu’il en fut tué quatre : et grande quantité de blessez et cela se faisoit pour donner soulas au roy et audict capitaine et plus en y eust esté de tuez mais le roy fist son signe et incontinent ilz cesserent.

¶ Comment les roys qui s’estoyent rebellez furent desconfitz.

Chapitre .ciii.

Le troiziesme jour le capitaine avec sa compaignie se partirent de la et retournerent a la tour d’isabeau ou il avoit laissé ses gens malades & trouva qu’il en estoit mort environ .ccc. de diverses maladies : dequoy il se trouva mal content et beaucoup plus qu’il ne veoit apparoistre aulcunes navires d’espaigne avec victuailles desquelles il avoit grande necessité. Finablement ilz se delibererent de diviser les malades par les chasteaulx a la rive de la mer de la tour ysabeau a sainct dominique a droit chemin de ostro a transmontane ilz ediffierent ces chasteaulx Premierement d’ysabeau a .xii. lieues la tour d’esperance Et d’esperance a huit lieues saincte katherine De saincte katherine a .v. lieues sainct jacques. De sainct jacques aultres cinq lieues la conception. Une aultre entre la conception et sainct dominique laquelle ilz appellerent bon an ainsi est le nom d’ung roy la voisin apres que les malades furent divisez esdictz chasteaux ou tours le capitaine s’en alla a sainct dominique en recueillant les tributz des roys et luy ainsi estant aucuns jours pour les rapines & mauvais portement des espaignolz plusieurs de ces roys se rebellerent et firent leur capitaine le roy guarionexio & avoyent convenu a certain jour d’assaillir les espaignolz avec .xv. mille hommes armez a leur mode Ce que sachant le capitaine s’avanca & tous les surmonta l’ung apres l’autre touteffois ce ne fut pas sans grant peine & travail & angoisses. Nous demourerons la & retournerons a l’admiral colomb.

¶ Nouvelles isles avec diversité de gens trouvees par l’admiral colomb.

Chapitre .ciiii.

Au .xxviii. jour de mars Mil .cccc.lxxx. et .xviii. L’admiral colomb apres qu’il fut party du chasteau de Barameda aupres cades avec huit navires chargees il courut par le chemin acoustumé des isles fortunees & cela aussi pour la paour d’aucuns coursaires françoys : et alla a l’isle de la madere Et de la envoya cinq navires au chemin de l’isle espaignolle et retint avec luy une navire et deux caravelles Avec lesquelles il se mist a naviguer vers midy avec intencion de trouver la ligne equinoctialle et de la se tourner vers ponent et pour chercher la nature de plusieurs et divers lieux et se trouva en celle partie du chef verd : duquel apres qu’il fut party par garbin naviga six vingtz lieues avec sa vehemente chaleure : car s’estoit au moys de juing que quasi les navires se brusloyent & semblablement les tonneaulx esclatoyent en maniere que l’eaue : le vin et huille alloyent dehors et les hommes estoyent rotis de chaleur : ilz demourerent huit jours en ceste peine Les huit jours passez se mist le vent en pouppe : et ilz s’en allerent a la volte de ponent en trouvant continuellement meilleure temperance d’air : tant que le .iii. jour ilz trouverent ung air tressouef et le dernier jour de juillet ceulx qui estoient dedans la caige de la plusgrande navire descouvrirent treshautes montaignes desquelles ilz furent bien joyeulx par ce qu’ilz estoient contens a cause de l’eaue qui commençoit a faillir pource que les tonneaux estoyent crevez pour la desmesuree chaleur : & avec l’ayde de dieu ilz arriverent a terre Mais pource que la mer estoit toute plaine de secques ilz n’en povoient aprocher bien aperceurent que s’estoit terre habitee par ce que des navires on veoit beaulx jardins et prez plains de fleurs : lesquelz rendoyent une odeur tresodoriferante & rendoyent odeur jusques aux navires de la a quatre lieues ilz troverent ung tresbon port : mais sans fleuves pour laquelle chose allerent plus avant & finablement ilz trouverent ung port bien convenable d’eulx reparer & avoir de l’eaue lequel on appelle poincte de sablon Aupres le port ilz ne trouverent aucune habitacion mais plusieurs vestiges de bestes : car le passage des piedz y apparoissoit l’autre jour ilz virent venir de loing une canoe C’est assavoir une barcque a leur maniere avec .xxiii. et deux jeunes hommes .lxvi. armez de flesches & targes & estoient nudz : ilz avoient seullement couvert les parties honteuses avec ung drap de cothon & avoient les cheveulx longs L’admiral avec signes et flateries et semblables choses cerchoit [les] tirer a lui mais iceulx tant plus on les apeloit tant plus se doubtoyent d’estre trompez & se eslargissoient d’heure en heure plus des nostres et regardoyent les nostres par une grande admiration L’admiral voyant ne les povoir tirer a luy par cestes choses ordonna qu’en la caige de la nef on sonnast des tabourins et cornemuses et aultres instrumens et qu’on chantast pour prouver avec telles choses s’ilz se pourroyent domesticquer mais ilz pensoyent que telz sons les invitassent a la bataille en pensant que les nostres les voulsissent assaillir ilz se eslongnerent de la grant navire et eulx confians a la celerité de leurs avirons s’aprocherent a une petite navire plus petite : & tant s’en approcherent que le patron de ladicte navire getta ung sayon & ung bonnet a l’ung d’eulx : & par signes s’accorderent d’aller sur les rives pour parler ensemble. Le patron de ladicte navire envoya demander congé a l’admiral et eulx craignans de quelque tromperie donnerent de leurs avirons en l’eaue et s’en allerent en maniere que de ceste terre ilz n’eurent aultre congnoissance non pas trop loin de la trouverent une courance d’eau de levant et ponent impetueuse et courant si royde que l’admiral depuis son jeune aage qu’il a commencé a naviguer ne eut jamais aussi grant paour. Apres qu’il fut allé aulcunement avant par ceste courance d’eaue : il trouva une certaine bouche et ressembloit a l’entree d’ung port ou alloit ceste courance et a l’entree de ceste bouche jusques a ung aultre ilz trouverent une autre courance terrible d’eaue doulce laquelle se joignoit avec la salee/ et apres qu’ilz furent entrez en cedit goulfe ilz trouverent finablement de l’eaue tresdoulce et bonne & dient que en vingt et six lieues continuellement ilz ont trouvé eaue doulce : et tant plus ilz alloyent vers ponent tant plus elles estoyent doulces/ depuis ilz trouverent une montaigne moult treshaulte ou ilz se mirent en terre et veirent beaucoup de champs cultivez/ mais ilz ne veirent ny hommes ny maisons. ou costé de ladicte montaigne vers Ponent ilz congneurent y avoir quelque plaine et par plusieurs signes ilz comprindrent cestedicte terre estre grande & habitee : & tresbien peuplee. Et ceste terre est appellee Paria : & prindrent de ce pays la quatre hommes et les misrent en ceste dictes navires/ et allerent suyvant ceste coste de ponent ung jour pour la doulceur du pays ilz allerent en terre ung petit plus avant ou ilz trouverent plus grant nombre d’hommes qu’en aulcun autre lieu & trouverent des roys lesquelz ilz appellent cacichi lesquelz envoyerent embassadeurs a l’admiral & par signes et demonstrances il leur faisoient grandes offres & les invitoient a descendre en terre ce que l’admiral recusoit. et quant ilz veirent cela grant nombre d’eulx avec barques alla aux navires avec une multitude d’hommes acoustrez de chaines d’or et de perles orientales a leurs bras et au col et avec signe ilz respondoient que les perles se trouvoyent es rivaiges de la mer la voisine et demonstroient aussi qu’ilz en trouvoyent assez convenablement : toutesfois entre eulx ilz n’en faisoient pas grande estimation/ desquelles ilz en offrirent a noz gens eulx voulans estre amys des nostres/ et pource que le froment des navires se gastoit l’admiral delibera de differer ce train jusques a ung aultre temps/ & envoya a l’heure deux barques chargees d’hommes pour cercher & entendre la nature de ce lieu la : & quant ilz furent en terre ilz furent receuz bien amoureusement tous couroyent a les veoir comme ung miracle & deux de ces icy plus graves des aultres se misrent a l’encontre l’ung estoit vieux & l’autre jeune et estoit son filz/ et faicte selon leur coustume la salutation ilz les menoient en une maison faicte en rond au devant de laquelle il y avoit une grant place et apres qu’ilz furent entrez on leur apporta certaines chairres pour seoir d’ung boys tresnoir & ouvrees avec ung tresgrant artifice : et les nostres se seirent ensemble avec ces plusgrans/ en apres vindrent beaucop d’escuyers chargez de diverses sortes de fruitz incongneuz a nous et apporterent vins blancs et rouges et non pas de raisins/ mais faitz de divers fruictz moult doulx et amyables apres qu’ilz eurent faict collation en la maison du vieil homme depuis le jeune filz les conduisit en sa maison en laquelle il y avoit beaucoup de femmes toutes separees des hommes lesquelz vont tous nudz excepté les parties honteuses lesquelles ilz portent couvertes avec certaines voilles de cothon tyssues de diverses couleurs et nous leur demandasmes d’ou venoit l’or qu’ilz portoient : ilz respondoient avec signes qu’il venoit de certaines montaignes qu’ilz monstroient et dirent que en aucune maniere noz gens n’y allassent pource que la se mengeussent les hommes : mais les nostres ne povoyent entendre si c’estoit des bestes sauvages ou des canibales : & monstroyent avoir grant desplaisir pource qu’ilz n’entendoyent nostre parler et aussi qu’ilz n’estoyent pas entenduz.

.lxvii.

¶ Le retour de l’admiral a l’isle espaignolle.

Chapitre .cv.

Noz gens demourerent en terre jusques a midy et retournerent aux navires avec aucunes chesnes de perles et l’admiral incontinent se leva avecques toutes les navires a cause du forment comme nous avons dit qu’il se pourissoit avec intention de y retourner une autresfois & en allant avant continuellement il trouvoyt moins de fons et par beaucoup de jours les grans navires eurent beaucoup a souffrir a cause dequoy l’admiral envoyoit devant une caravelle bien petite en tastant tousjours le fons de l’eaue laquelle monstroit le chemin aux aultres : et allerent ainsi plusieurs jours/ et croyent que ceste terre fust isle : esperant trouver voye et se tourner par la transmontane vers l’isle espaignole & arriverent a ung fleuve parfond de trente couldees & de largesse inouye lequel estoit environ de dixhuit ou de vingt lieues de large : ung petit plus avant vers ponent mais ung petit plus a midy : car ainsi se engoulfoit celuy rivaige ilz veirent la mer plaine d’herbes combien qu’il semblast qu’elle courust comme ung fleuve et sus la mer avoit aucunes semences qui ressembloyent a lentilles & l’herbe estoit tant espesse qu’elle empeschoit le naviguer des navires en ce lieu la dist l’admiral tout l’an estoit grande temperence d’aer/ & le jour estre quasi esgal par tout l’an & non gueres variable : et luy se voyant en ce goulfe quasi bien intrinqué et non trouvant issue de transmontane pour aller a l’isle espaignole tourna la proue ou il estoit entré & apres qu’il fut hors desdictes herbes print vers transmontane son droit chemin aulcuns disent que icelle terre est terre ferme d’inde : touteffois l’admiral ne trouva aultre chef/ mais quant il fut tourné aulcunement en derriere par transmontane en prenant son chemin vers l’isle espagnolle avec l’ayde de dieu il arriva selon qu’il avoit proposé le .xxviii. jour d’aoust mil .cccc.xcviii.

¶ Le desordre que l’admiral trouva ses gens en l’isle Espaignolle.

Chapitre .cvi.

Et apres que l’admiral Colomb fut arrivé en l’isle Espaignole Il trouva toute chose en confusion Et ung rodien qu’il avoit nourry avec beaucoup d’aultres espaignolz s’estoit rebellé et l’admiral voulant mittiguer non seullement ce pacifia/ mais il escripvit au roy et royne d’espaigne tant de mal de l’admiral qu’il est impossible de le dire : et aussi escripvit de son frere qui estoit demouré capitaine au gouvernement de l’isle espaignolle en le accusant qu’il estoyt vicieux de toute deshonnesteté trescruel & injuste lequel pour chascune petite chose faisoit prendre et mourir les hommes & qu’ilz estoient orgueilleux : envieux : & plains d’ambicion intollerable et pour ceste cause estoyent reboutez d’eulx comme de bestes sauvaiges qui se delectent de espandre le sang humain & ennemis de son empire & comme ceulx qui ne cerchoient que de usurper l’empire de ceste isle en escripvant ceste conjecture qu’ilz ne laissoyent point aller aux caves de l’or sinon leurs serviteurs. L’admiral semblablement notiffia audict roy et royne la nature de ces mauvais garçons & larrons et leur escripvoit qu’ilz ne attendoyent a autre chose sinon a paillardise et larcins et qu’ilz estoyent du tout affrenez dequoy les habitans de l’isle s’estoyent rebellez alloyent par l’isle violant robant & destroussant et ne faisoyent que dormir & estoient habandonnez a toute oysiveté & luxure & que pour leur plaisir ilz alloient mettre au gibet les povres gens d’icelle isle et ce pendant que ces inimitez se faisoient l’admiral envoya pour combatre ung qui s’estoit rebellé qui s’appelloit le roy de cigiani : lequel avoit six mil hommes tous armez de arcz et flesches : mais ilz estoient nudz et leur corps estoit paint de diverses couleurs depuis la teste jusques aux piedz ces gens cy apres plusieurs traveilz furent surmontez & vindrent a obeissance.

¶ Comment l’admiral et son frere furent mis es fers et envoyez en espaigne.

Chapitre .cvii.

Cy apres le roy et la royne d’espaigne en ces entre faictes receurent les lettres de l’admiral et de ses adversaires et eulx voyans que par ceste dissention de tant d’or il en venoit a eulx peu de proffit ilz envoyerent ung leur gouverneur qui eust soy enquerir des choses dessusdictes et ceulx qu’il trouveroyt coulpables qu’il les chastiast ou qu’il les envoyast en espaigne et qu’ilz chastieroyent. Et incontinent que celluy gouverneur fut arrivé a l’isle espaignolle par la subornation et fraulde [de] ces mauvais espaignolz et aussi pour la grant envie que ilz avoyent contre l’admiral et son frere son advis fut de prendre l’admiral & son frere lesquelz furent mis es fers et envoyez a la volte D’espaigne & des ce qu’ilz furent a cades le Roy et la Royne d’espaigne les envoyerent .lxviii. delivrer et les firent venir a leur court voulentairement en laquelle au present jour ilz se trouverent.

¶ Comment alons le noir compaignon de l’admiral trouva isles non ouyes avec divers coustumes des pays.

Chapitre .cviii.

Nous trouvons apres que l’admiral fut venu a ung tel inconvenient plusieurs de ses navires et nautonniers lesquelz continuellement avoyent esté avec luy aux dessusdictes navigations firent entre eulx deliberation d’aller par la mer occeane pour descouvrir nouvelles isles et apres qu’il eut prins congié de leur trescher maistre ilz armerent aulcuns navires a leurs despens et s’en allerent en divers chemins avec commandement qu’ilz n’eussent a approcher de .l. lieues ou avoit esté l’admiral & ung pierre alons appellé le noir avec une Caravelle armee a ses despens se myst a aller vers midy. Et arriva a celle terre appellee poria de laquelle cy dessus avons faicte mencion : ou l’admiral trouva si grande quantité de perles & allant plus avant par ladicte coste de .l. lieues pour obeyr au roy il vint a une province appellee des habitans cursane ou il trouva ung port semblable a celuy de cades et entra dedans et apres qu’il y fut entré il vit ung bourg de .lxxx. maisons et descendit en terre et trouva hommes nudz qui n’estoyent pas de ce lieu la mais d’ung autre lieu trespopulé a ung lieu voisin avec lesquelz il fist permutacion de sonnettes et autres merceries a l’encontre desquelz apres plusieurs prieres il eut d’eulx (combien que au premier ilz en firent responce) .xv. onces de perles qu’ilz portoyent au col : et le jour ensuivant il s’esleva avec sa caravelle et alla au bourg : lequel tout le peuple qui estoit infiny courut a la marine et avec signes et actes le prioyent qu’il descendist en terre mais ledit alons en voyant si grande multitude eut paour de descendre pource qu’il n’avoit en sa compaignie plus de trente et trois hommes : les nostres leur faisoyent signe que s’ilz vouloyent aucunes choses d’eulx qu’ilz venissent en la caravelle : parquoy grande quantité des leurs avec leurs basteaux en portant avec eulx grande quantité de perles avec aucunes merceries qui valoyent peu d’argent il eut environ cinquante livres de perles Et apres que ledit alons les vit si humains et qu’il eut demouré .xx. jours delibera de descendre en terre ce qu’il fist et fut receu amoureusement : leurs habitations sont maisons de boys couvertes de fueilles de palme et pour leur singulier menger ce sont capes & de plusieurs d’icelles ilz en tirent des perles ilz ont cerfz porcz sangliers connins : lievres : pigeons : et torterelles en grant habondance les femmes nourrissent les oyes et canardz et sont comme les nostres En leurs boys y a habondance de paons : mais ilz n’ont point si belles plumes comme ont les nostres le masle n’est comme point si differant a la femelle : ilz ont des faisans en grande quantité Iceulx hommes sont tresparfaitz archers ilz mettent la flesche ou ilz veulent Auquel lieu ledit alons le noir avec sa compaignie es jours qu’ilz furent la ilz firent tresbonne chere ilz avoyent ung pain pour quatre cloux et pour clou ung faisant aussi avoient torterelles oyes canardz & pigeons. Ilz achepterent pour de l’argent des patenostres de verre et des esguilles et noz gens par signes leur demandoyent qu’ilz vouloient faire desdictes esguilles & semblablement par signes ilz disoyent que s’estoit pour curer leurs dens & pour tirer les espines des piez pource qu’ilz vont deschaulx et pour cela estimoyent beaucoup les esguilles : mais sus tous les sonnettes leur plaisent Et si alla aucunement ledit alons dedans l’isle & virent boys de treshaulx arbres et espés et sentoit mugir aucunes bestes qui entonnoyent celuy pays avec estranges vociferations Neantmoins ledict alons : & la compaignie jugeoyent ces bestes n’estre nuysables : pource que les gens de ce pays la alloyent dedans ce boys seurement avec leurs arcs et flesches sans aucune crainte Quant leur plaisir estoit ilz avoyent des cerfz porcz sangliers autant qu’ilz en vouloyent ilz n’ont point de beufz ne chevres ne moutons ilz usent de pain de racines & de panil qui ressemble quasi au millet quasi comme ceulx de l’isle espaignolle Ilz ont les cheveulx noirs et gros et moitié crespés : et sont fort longs Et pour avoir les dens blanches ilz portent continuellement en leur bouche une certaine herbe et apres qu’ilz l’ont mise dehors ilz se lavent la bouche Les femmes entendent plus au labourage et aux choses de la maison que ne font pas les hommes Les hommes entendent aux jeux et festes et autres soulas ilz ont des potz : crusches : escuelles & autres vaisseaux de terre achaptez en autres provinces Entre eulx ilz font foires et marchez ou tous les aultres voisins y vont et portent de diverses marchandises selon en la varieté des provinces et changent et permettent l’une chose .lxix. a l’autre ainsi qu’il leur plaist ilz ont des oyseaulx et autres belles bestes lesquelz ilz nourrissent et domesticquent pour leur soulas lesquelz portent carcans d’or et de perles : Mais ilz ne trouvent pas celuy or en ceste province Mais ilz l’ont par changement d’autres marchandises lequel or est de la bonté du florin de rein. Les hommes portent des brayes et semblablement le portent les femmes : mais la plus grande partie du temps elles sont en la maison Il leur demande par signes et actes si en la fin de celluy rivage se trouve la mer : ilz demonstroyent n’en sçavoir riens : mais pour la sorte des bestes qui se trouvent en ce pays la : ilz croyent fermement que ce soit terre ferme ce qui est facille a croire/ car noz gens ont navigué par celle costiere de ponent plus de mille lieues que jamais n’ont trouvé fin ny encores final d’aulcune fin : Et puis leur demanderent de qui ilz avoyent ledict or et de quelle bande il venoit ilz firent entendre a noz gens qu’il s’aportoit d’une province appellee Canchiette distant de la six journees vers ponent.

¶ Diverses nations et lieux trouvez par alons le noir.

Chapitre .cix.

En ceste province de canchiette Alons le noir delibera d’y aller : et environ le premier jour de Novembre Mil cinq cens arriva audict canchiette ou il se arresta avec sa caravelle/ Et puis apres que les hommes du pays l’eurent veue ilz vindrent vers ledit alons sans aulcune craincte et apporterent tout l’or qu’ilz avoyent pour l’heure Lequel estoit de la bonté dessusdicte Ledit alons trouva beaucop de papegaulx de plusieurs couleurs La y avoit bonne temperance d’air sans aucun froit et fut au moys de novembre : Celle gent est de bonne nature ilz sont sans aucune suspition toute la nuyt ilz venoyent avec leurs barques a la caravelle sans avoir aucune craincte comme se eust esté a leur maison : mais ilz sont jaloux de leurs femmes : lesquelles ilz faisoyent demourer en derriere bien loing Ilz ont grant quantité de coton lequel croist de luy mesmes sans aucune culture duquel ilz font leurs brayes Apres que ledit alons fut party de la et allant par ceste coste plus de dix journees vit ung tresbeau lieu avec maisons et chasteaulx avec assez fleuves et jardins que jamais il n’en vit de plus beaulx Esquelz voulant descendre luy vint a l’encontre plus de deux mille hommes armés a leur coustume : lesquelz par quelque voye du monde jamais ne voulurent paix ny amytié ny aucun marché En eulx se demonstroit une grande rudesse & sembloyent quasi gens sauvaiges Non obstant ilz estoyent tresbeaulx hommes et bien proporcionnez de leurs corps ilz estoyent bruns de couleur & universellement plains de taches parquoy pour cela Alons le noir content de cela qu’il avoit trouvé delibera de s’en retourner par le chemin qu’il estoit venu.

¶ Comment alons le noir en s’en retournant en espaigne combatit avec les canibales.

Chapitre .cx.

Ainsi navigant a l’ayde de dieu : ilz arriverent a la province des perles appellee curiane : ou deppuis il demoura par l’espace de vingt jours en se donnant du bon temps Et devant qu’il arrivast en ladicte province en ung lieu non trop loing d’icelle il rencontra dixhuit barcques ou canoe des canibales qui sont ceulx la qui vivent [de] la chair humaine lesquelz incontinent qu’ilz virent la caravelle ilz l’assaillerent avec une grant hardiesse : et en l’environnant commencerent a combatre avec leurs arcz et flesches/ mais les espaignolz avec leurs arbalestres et artillerie les mirent en grant paour en façon que trois se mirent a fuyr : & les nostres avec la barque armee les suivirent et tant firent qu’ilz prindrent une de leurs barques de laquelle plusieurs desdictz canibales s’estoyent gettez dedans la mer & eschaperent pour naiger : et seullement en prindrent ung qui ne peut eschapper lequel avoit trois hommes liez es mains et piedz pour les vouloir a son besoing mangier : & puis deslierent les lyez & lierent le canibal et le donnerent a ceulx qui avoyent esté prisonniers et qu’ilz en fissent la vengence telle qu’il leur plairoit et incontinent luy donnerent tant de coupz de poingz et de piedz et de bastons qu’ilz le laisserent quasi mort en luy recordant qu’il avoit mangé leurs compaignons Et les jours ensuivans semblablement ilz le vouloient manger & puis apres leur fut demandé de leurs coustumes : ilz dirent que ces canibales alloyent par toutes celles isles & celles provinces : et des incontinent qu’ilz arrivoyent a terre/ ilz font ung effort avec grans bastons et vont desrobant tout ce qu’ilz trouvent En ceste province de perles y a de tresgrandes salines et dient que quant aucun homme meurt et qu’il soit d’estime ilz le mettent dessus une certaine charrette : soubz laquelle ilz font ung certain feu qui est lent et font tant que peu a peu se distille la chair et ne reste sinon la peau et les os ilz le gardent pour son honneur Le treziesme .lxx. jour se partirent de ladicte province pour venir en espaigne avec quatre vingtz seize livres de perles a huyt onces la livre achaptees au pris de bien peu d’argent. En seize jours ilz arriverent en galice les perles qu’ilz apporterent sont orientales. Touteffois elles ne sont pas bien percees & pour cela beaucoup de marchans qui les congnoissent dient qu’elles ne sont pas de trop grant pris.

¶ Navigacion de pinzon compagnon de l’admiral avec ce qu’il fut trouvé.

Chapitre .cxi.

Vincent appellé Pinzon et Aries son frere qui furent au premier voyage avec Colomb en l’an mil quatre cens quatre vingtz et dixneuf. Armerent de leurs despens quatre caravelles et le dixhuitiesme jour de novembre se partirent de palos pour aller descouvrir nouvelles isles et pays et en brief temps ilz furent aux isles de canaries & successivement aux isles du chef verd desquelles en partant et en prenant la voye par garbin naviguerent par celuy vent trois cens lieues auquel voyage ilz perdirent la transmontane et des ce qu’ilz l’eurent perdue ilz furent assaillis d’une terrible fortune de mer avec pluye & vent trescruel Neantmoins ilz suyvirent continuellement leur chemin par le vent de garbin : toutesfois non pas sans grant peril : & allerent oultre .cc. cinquante lieues et le vingtiesme de janvier : de loing ilz veirent terre en approchant d’icelle ilz trouverent tousjours deffaillance d’eaue et tasterent la profondeur et trouverent .xvi. bras d’eaue : et quant ilz furent arrivez a terre ilz desmonterent & demourerent la deux jours esquelz jamais ne leur apparut aulcune personne et allant plus avant veirent par une nuyt plusieurs feuz & sembloit que ce fust ung ost de gens d’armes & pour veoir que c’estoit desditz feuz ilz envoyerent .xxv. hommes bien armez : & comprindrent qu’il y avoit grande quantité d’hommes : & ne les voulurent aucunement destourber : mais delibererent de les attendre le matin et puis apres entendre qu’ilz estoyent le lendemain matin au lever du soleil envoyerent en terre trente hommes bien armés/ lesquelz incontinent qu’ilz furent veuz de celle gent ilz envoyerent a l’encontre des nostres .xxxii. hommes armez a leur mode d’arcz & flesches & sont hommes grans & ont le visage tors & de cruel regard & ne cessoient de menasser les espaignolz lesquelz tant plus leur faisoyent chere tant plus ilz se monstroyent estre courroucez & jamais ne voulurent paix ny accord ny amytié. Parquoy a l’heure s’en retournerent aux navires avec intencion le matin ensuyvant de combatre avec eulx mais iceulx des ce que la nuyt apparut se leverent tous nudz et s’en allerent Ceulx de la navire pensoyent que cestes gens fussent gens vacabons comme egiptiens ou tartariens lesquelz n’ont aulcune propre maison mais aujourd’huy vont ça le lendemain la avec leurs femmes et enfans Les espaignolz allerent aulcunement suyvans leurs traces & trouverent dedans le sablon l’enseigne de leurs piedz lesquelz trouverent estre beaucoup plus grans que les nostres c’est de deux foys en navigant plus avant ilz trouverent ung fleuve mais non pas de si grant fons que les caravelles y peussent aller pour laquelle chose ilz envoyerent en terre quatre barques armees & apres que les gens qui estoyent dedans furent descenduz tous armez vint a l’encontre d’eulx ung innumerable nombre de gens tous nudz lesquelz avec signes et demonstrances desiroient fort l’amitié des nostres : mais les espaignolz en voyant si grant tourbe n’estoyent point asseurez de approcher d’eulx : mais au mieulx qu’ilz peurent leur getterent une sonnette & a l’encontre de ce gecterent une piece d’or aux nostres parquoy ung des espaignolz se mist en terre pour le prendre soubdainement une tourbe d’icelle canaille fut sur luy pour le vouloir prendre : mais il se deffendoit avec l’espee le mieulx qu’il povoit mais il ne povoit reparer a si grant nombre pource qu’ilz n’estimoyent point a mourir : et les espaignolz qui estoyent dedens les barques pour secourir leur compaignon descendirent en terre. et en fut tué .viii. les autres eurent grant peine d’eschapper et se retirer a leurs barques & ne leur vaulsist estre armez de lances et d’espees car cestes gens combien que des leur en fust beaucoup mort : touteffois ne leur en challoit mais tousjours estoyent plus hardys et les suyvoyent jusques dedans l’eaue en façon qu’ilz prindrent une de ces quatre barques et tuerent le patron le demourant eut de grace de s’en fuir et s’en allerent aux navires et feirent voilles pour partir de la & aussi pour l’heure se trouverent mal contens : et prindrent leur chemin par transmontane/ car ainsi se engoulfe ceste coste.

¶ De pinçon qui arriva a la mer d’eaue doulce et trouva diverses isles.

Chapitre .cxii.

Apres qu’ilz furent allez quarante lieues en la mer d’eaue doulce & en cerchant de la ou venoit ceste eaue ilz trouverent la bouche laquelle se embuschoit dedans la mer de quatre lieues avec grant impetuosité Au devant de laquelle bouche estoient beaucop d’isles habitees de humaines gens et paisibles & ne trouverent aulcune chose de povoir contracter Ilz .lxxi. prindrent .xxxvi. esclaves puis que autre chose ne povoyent trouver pour contracter avec gaing. Le nom de ceste province s’appelle marina tambal : ces gens de l’isle disoient que dedans la terre ferme se trouvoit grande quantité d’or. Apres qu’ilz furent partis de cestuy fleuve en peu de jours ilz descouvrirent la transmontane qui estoit quasi a l’horizon & avoient fait cinquante lieues selon leur reigle ilz dient qu’ilz sont allez tousjours par la terre de payra pource que depuis ilz vindrent a la bouche appellee du dragein laquelle est une bouche qui est en ceste terre payra ou l’admiral alla par aucunes isles de la lesquelles estoyent en grant nombre oultre ceste Payra ou ilz trouverent grande quantité de bresil duquel ilz chargerent leurs navires : et d’icelles isles y en avoit beaucoup deshabitees pour la crainte des canibales : & veirent infinies maisons toutes en ruyne & beaucoup d’hommes qui fuyoyent es montaignes/ ilz trouverent plusieurs arbres de casse [fistule] de laquelle ilz porterent en espaigne & les medecins qui la veirent dirent que elle eust esté tresbonne si elle eust esté recueillie en temps deu : et y a de tresgrans arbres et gros telz que six hommes ne les sçauroient embrasser & veirent aussi une beste quasi monstrueux qui avoit le corps et le museau d’ung regnart et la crope & les piedz de derriere comme le cinge & ceulx de devant comme ung homme les oreilles comme une souriz chaulve. & a soubz le ventre ung autre ventre par dehors comme une gibeciere ou elle caiche ses enfans depuis qu’ilz sont nez : ne jamais ne les laisse saillir jusques a tant qu’ilz soyent souffisans de eulx mesmes nourrir excepté quant elle les veult alaicter ung de telles bestes ensemble ses enfans fut porté de sibille a granate au roy & royne d’espaigne : toutesfois dedans la navire moururent les enfans & le grant en espaigne lesquel ainsi mors furent veuz de plusieurs et diverses personnes cestuy vincent afferme avoir navigué par ceste coste de payra plus de .vi.c. lieues et ne doubte point que ne soit terre ferme/ mais en certain apres qu’ilz furent partis de la payra ilz vindrent a l’isle espaignolle le .xxiii. jour de juing mil .ccccc. & de la ilz dient estre allez continuellement par ponent plus de quatre cens lieues en une certaine province ou aux quatre caravelles qu’ilz avoyent saillit une si grande tempeste au moys de juillet que deux d’icelles se noyerent et une se rompit et estoyent plus marris de la crainte qu’ilz avoient d’estre prins qu’ilz n’estoyent d’autre chose La quarte caravelle demoura ferme et fort mais non sans grant travail et ja avoyent perdu toute esperance de salut & ainsi eulx estans ilz veirent une [de] leur navire aller ainsi que la mer la menoit pource qu’elle estoit avec peu de gens esquelz eulx doubtant de noyer se misrent a terre & la estoient en grant doubte et paour d’estre mal traictez de celle gent. Et firent deliberation d’entre eulx se tuer : & aussi estoient divers & mauvais conceptions environ par l’espace de huyt jours & apres ce mist a faire bonace leur navire qui estoyt demouré seullement avec .xviii. hommes & la monterent ensemble avec l’autre qui estoit saulvee : & firent voille a la volte d’espaigne ou le dernier jour de septembre arriverent despuis ces gens cy plusieurs aultres ont navigué a cestuy voyage par midy & continuellement sont allez par la coste de la terre de payra plus de mil deux cens cinquante lieues/ et jamais n’en [ont] trouvé aulcune fin que ce soit isle : & pour cela chascun manifestement tient estre terre ferme de laquelle dernierement a esté apporté de la casse en toute perfection et de l’or. des perles & bresil de la sorte dessusdicte : poyvre. et canelle : saulvaiges herbes & plantes : et arbres : & bestes d’estrange et diverses sortes que nous n’avons point.

¶ Cy finist le quatriesme livre de la navigacion et commence le cinquiesme.

¶ Le nouveau monde translaté de langue espaignolle en ytalienne : et de ytalienne en françoys.

¶ C’est une lettre de alberic vespuce qu’il escripvit a laurens pere de medicis.

Chapitre .cxiii.

Cy apres ces jours passez amplement je escripvy mon retour de ces nouveaulx pays lesquelz avec l’armee/ et avec les despens et commandement du roy de portugal avons cerchez et trouvez lesquelz a esté licite [et] convenable les appeller Nouveau monde pource que noz predecesseurs plusgrans que nous n’y ont point esté aumoins ilz n’en ont eu de congnoissance et a tous ceulx qui les orront sera bien nouvelle chose par ce que cecy excede l’oppinion des nostres anciens : car la plus part d’iceulx dient que oultre la ligne equinoctialle & vers midy n’y estre terre mais la mer tant seullement. lequel ilz ont appellé atlantique Et si aucun d’eulx a dit y estre terre ferme : ycelle ont dit non estre habitee par plusieurs raisons : mais ceste oppinion est faulce et toute contraire a la verité comme j’ay declairé en ma derreniere navigacion par ce que en celles parties meridionalles j’ay trouvé la terre estre plus habitee de peuple que n’est nostre europe ou l’asie ou l’affrique .lxxii. et encores l’air plus temperé et plus doulx qu’il n’est en aucune region de nous congneue aultre comme dessoubz entendras ou briefvement seullement escripray les principaulx pointz et les choses plus dignes d’estre notees et de memoires : Lesquelles de moy veues ou ouyes en ce nouveau monde comme cy dessoubz seront et ont esté manifestes.

¶ L’ordre de la navigation avec une tresgrande fortune.

Chapitre .cxiiii.

Le quatorziesme jour du moys de may mil cinq cens/ avec heureuse navigation nous partismes de ollisipe avec trois navires et nous commanda le roy de portugal chercher nouveaulx pays vers ostro Et vingt moys continuellement nous navigasmes au midy : de laquelle navigation l’ordre est telle Premierement nous navigasmes par les isles fortunees ainsi aultreffois dictes : Mais au present s’appellent isles grandes des canaries : lesquelles sont au troiziesme climat et confine a l’occident habité depuis allasmes par la mer occeane par tout le rivage d’affricque et partie de ethioppe jusques au promonthoere d’ethiope ainsi appellé de tholomee lequel maintenant des nostres est appellé le chef verd et des ethiopiens beseghier et le pays naudraga lequel est quatorze degrez dedans la zene torride de la ligne equinoctialle vers le septentrion laquelle d’elle mesmes est habitee de noz gens La nous prismes les choses qui nous estoyent necessaires Et cela fait nous haulçasmes les ancres : et estendismes les voylles aux vens & eslargismes nostre chemin vers le pol antartique et le prismes ung bien petit par l’occident a cause du vent lequel volture s’appelle & depuis que nous fusmes partis dudict chief verd navigasmes par l’espace de deux moys et trois jours devant que aucune terre a nous aultres se apparust.

Les perilz et dangiers que nous avons souffert je les laisse a l’estimation de ceulx lesquelz ont eu la vraye congnoissance & experimenté quelle chose s’est de cercher les choses incertaines affin que en une parolle je narre briefvement les choses Sachés que des .lxviii. jours esquelz nous navigasmes : nous en eusmes .xliii. continuelz avec pluye : tonnoirre : et obscurations en telle maniere obscurs que soleil le jour ne serain en la nuit jamais nous ne veismes pour laquelle chose si grant paour entra dedans nous que quasi toute esperance de vie avions perdue a cause desdictz terribles vens et impetuosité de mer mais au dernier il pleut a dieu nous monstrer la terre et nouveaulx pays & ung autre monde incongneu : Lesquelles choses veues nous resjouysmes autant que ung chascun peult croire quant il luy advient telles choses C’estassavoir quant d’ung grant peril diverses peines & d’une si grant fortune on vient a recouvrer saulvement. Le septiesme jour d’aoust dudit an mil .ccccc. ung es rivaiges d’iceulx pays arrivasmes en remerciant nostre seigneur dieu avec prieres solempnelles & fut dicte et chantee une messe & congneusmes icelle terre n’estre isle : mais terre ferme par ce que de treslongz rivaiges s’estendoit & estoit habitee de peuple infiny pource qu’en ycelle terre y a assez gens et peuples et de toute generation et de bestes saulvaiges desquelles en nostre pays ne s’en trouve nous trouvasmes beaucoup de choses que jamais nous n’avions veues lesquelles seroyent trop longues a reciter une a une Quant nous arrivasmes audit pays toutes noz choses necessaires pour vivre quasi nous estoyent faillies : nous n’avions plus de boys et bien peu d’eaue : mais la clemence de dieu ne nous voulut point habandonner a luy soit honneur et gloire.

¶ La distance du chef verd jusques a la terre ferme trouvee.

Chapitre .cxv.

Nous fismes conseil de naviguer selon le rivaige de ceste terre vers orient et jamais le regard d’icelle terre habandonner/ et tant nous allasmes que arrivasmes a ung coing ou est le rivaige qui nous monstra qui estoit vers le midy : et depuis ce lieu la ou nous touchasmes premierement terre jusques a cestuy coing y a environ .ccc. lieues. En ceste espace de temps que naviguions par plusieurs fois nous descendismes en terre et conversasmes amyablement avec les gens de ce pays la comme dessoubz entendrez. Je m’estoye oublié d’escripre que du promonthoere du chef verd jusques au commencement de ceste terre y a environ sept cens lieues je estime pourtant que nous ayons navigué plus de .M.cccccccc. lieues partie pour l’ignorance des lieux et du nautonnier et partie des tempestes et vens lesquelz empeschoyent nostre droit chemin en nous envoyant en diverses versures et si je [ne] eusse donné courage a mes compaignons ausquelz la cosmographie estoit incongneue nous estions tous noyez : nul nautonnier n’estoit conducteur de la navigation & nul d’eulx ne congnoissoit a cinq lieues pres le lieu ou nous estions : par ce que nous avons esté vacabons .lxxiii. & errans mais les instrumens des aultres corps celestes seullement a nous le monstroyent la verité & s’estoyent les quadrans et l’astralabe comme tous congneurent par ainsi depuis en avant tous les nautonniers m’ont faict grant honneur par ce que je leur ay monstré que sans la congnoissance de la clarté de naviguer que la doctrine de la science de la cosmographie doit estre plus celebree que tous les nautonniers de l’universel monde par ce qu’ilz n’ont notice : sinon de ces lieux la ou ilz ont assez navigué ledit coing nous monstra vrayement par le moyen du rivaige : et que estions aux parties du midy nous acordasmes de cercher quelles choses il y avoit en cestuy pays & navigasmes selon le rivaige environ .cccccc. lieues & plusieursfois descendismes en terre et parlasmes et conversasmes avec ceulx du pays et d’iceulx estions fraternellement receuz & avec eulx demourions aulcuneffois continuellement .xv. ou .xx. jours et amyablement estions logez comme dessoubz entendrez De ceste terre une partie est en la zene torride oultre la ligne equinoctialle vers le pol antartique par ce que son principe commençoit a huit degrez oultre icelle equinoctialle Selon ce rivage par si long temps nous navigasmes que apres que nous eusmes passé le tropique en capricorne trouvasmes le pol antartique de son orizon plus hault cinquante degrez et fuismes aupres d’icelluy antartique a .xviii. degrez et demy Ce que j’ay veu et congneu de la nature de ces gens la et de leurs coustumes et du traictement et fertilité de la terre & la salubrité de l’air : de la disposition du ciel & des corps celestes : et mesmement des huit estoilles fixes de la spere : mais des nostres anciens veuz : ou voirement qu’ilz en ayent traicté cy dessoubz je le narreray.

¶ De la nature et des coustumes de ces gens la.

Chapitre .cxvi.

Premierement quant aux gens de celluy pays nous avons trouvé si grande multitude de gens tant que nul homme ne le sçauroit nombrer comme se list en l’apocalipse et si vous dy que ces gens icy sont doulx et traictables & tous aussi bien les masles que femelles vont nudz nulle partie du corps ilz ne couvrent ainsi comme yssus du ventre de leur mere ainsi vont ilz jusques a la mort : ilz ont les corps grans : carrez : bien disposez et proporcionnez : et sont de coulleur tirant sur le rouge : Laquelle leur vient ainsi comme je pense : par ce que en allant ainsi tous nudz ilz sont tainctz du soleil et ont les cheveulx noirs & longs ilz sont en alleure et es jeux agilles : et de une liberalité et honneste visage : lequel eulx mesmes le destruisent par ce qu’ilz se percent les joues : les levres & les narines & les oreilles : et ne croyez que les pertuis soyent petis ou que tant seullement ilz en ayent ung percé par ce que j’en ay veu assez : lesquelz ont seullement au visaige sept pertuis desquelz chascun est capable d’y mettre une noix et ilz estoupent lesdictz pertuis avec pierres de couleurs : perses : de marbre : et de cristal et de albastre : et avec oz tresblancz : et d’aultres choses artificiellement ouvrees selon leur usaige Lesquelles choses si les voyez vous en aurez horreur : car cela est semblable a ung monstre : c’estassavoir ung homme a seullement dedans les joues & es levres sept pierres : desquelles y en y a assez de la longueur de la moitié de la paulme et ne seriez sans admiration par ce que par plusieursfois j’ay consideré et jugé ces sept pierres estre du poix de seize onces En chascune oreille y a trois pertuis : esquelz ilz tiennent d’aultres pierres lesquelles sont pendantes a certains aneaulx Et ceste coustume est seullement des hommes par ce que les femmes ne se percent leur visaige mais les oreilles seullement : ilz ont une autre coustume assez enorme & hors de toute creance humaine par ce que les femmes sont fort libidineuses & font enfler les membres de leurs maris en si grande grossesse qu’ilz semblent difformez & laitz : & cela elles le font avec ung certain artifice de morsure & certaines bestes venimeuses & pour ceste cause plusieurs perdent leursdictz membres et demourent chastrez ilz n’ont point de draps de laine ne de lin ne aussi de coton pource qu’ilz n’en ont point de besoing/ aussi ilz n’ont point de biens propres mais toutes les choses sont communes ilz vivent ensemble sans roy sans empereur & chascun de soy mesmes est seigneur ilz ont autant de femmes qu’ilz en veulent. Le filz se mesle avec la mere & le frere avec la seur et le premier avec la premiere toutes et quanteffois qu’ilz veullent : ilz divisent leur mariage et en toutes ces choses ilz ne gardent ordre Oultre cela ilz n’ont nulles eglises ny tiennent aucune loy : et aussi ne sont ydolatres que diray je plus oultre ilz vivent selon la nature ilz se pevent dire plustost epicuriens que stoiciens ilz ne sont point marchans ny ont marché d’aulcune chose Les peuples des leur combatent sans art ny sans ordre Les jeunes obeyssent aux vieux quant ilz bataillent apres la bataille ilz bruslent les vieux hommes & s’entretuent cruellement Et ceulx la qui sont prins en la bataille ilz les gardent non pas pour leur .lxxiv. sauver la vie/ mais affin qu’ilz soyent mengez Par ce que la partie qui est victorieuse mengeue la perdante/ et entre eulx la chair humaine est a eulx commune viande. De ceste chose soyez asseurez par ce qu’il a esté veu le pere avoir mengé ses enfans et ses femmes/ et j’ay congneu ung homme auquel j’ay parlé lequel se divulgoit avoir mengé plus de trois cens corps humains. Je demouray en une certaine cité vingt et huyt jours en laquelle je veis par les maisons la chair humaine salee qui estoyt pendue aux poutres de la maison comme a nous est usance de pendre le lart. Et je vous dis que eulx ilz se esmerveilloient pourquoy nous ne mengions noz ennemis : et dyent que la chair humaine est une chose tressavoureuse : Leurs armes sont arcs & flesches : et quant ilz se affrontent aux batailles ilz ne couvrent nulles parties de leur corps pour eulx deffendre et en ceste chose ilz ressemblent aux bestes brutes en tant que nous a esté possible nous les avons persuadez de ne faire plus telles choses : et les remouvoir de ces mauvaises coustumes/ lesquelz nous promisrent les laisser. Les femmes combien qu’elles aillent nues elles sont libidineuses. Neantmoins elles ont les corps bien formez et nectz : & ne sont si laydes tant qu’on pourroit bien estimer. pource qu’elles sont charnues. et a cause de cela moins appert leur laidure. laquelle est converte au moyen de la bonne qualité et corporance qu’elles ont. Et nous est aparu une chose merveilleuse que entre toutes ces femmes n’en avons pas veu une qui eust les tettes avallees : et a celles qui avoyent enfanté n’apparoissoit a leur ventre aucune fracture & n’estoit different de celuy des vierges : & en toutes les aultres parties du corps elles leur ressembloyent : Quant elles se povoyent mesler avec les crestiens elles habandonnoyent toute honnesté. Ilz vivent en ce pays la cent cinquante ans : Et peu souvent sont malades : et s’ilz tombent en quelque maladie ilz se guarissent eulx mesmes de certaines racines d’herbes. Ce sont les choses plus notables que j’aye veues entour eulx. L’aer y est assez temperé et bon et comme je ay congneu par leur relation : jamais n’y a peste ou aulcune maladie laquelle procede de l’aer corrompu. S’ilz ne meurent de mort violente ilz vivent longuement : et la cause si est. Ainsi comme je croy par ce que les vens austraulx tousjours y tirent : lesquelz a nous est le vent D’acquilon Ilz se delectent de pescher. Et la mer y est bonne a pescher par ce qu’elle est habondante de toutes sortes de poisson : ilz ne sont point veneurs : je pense que c’est a cause des bestes sauvaiges : desquelles en y a de diverses sortes/ et mesmement de lyons et ours & innumerables serpens/ & de celles horribles & difformes bestes/ pource que la y a de tresgrandes forestz d’arbres de une grandeur inestimable Ilz ne sont hardis a cause qu’ilz sont tous nudz et sans armes : d’eulx exposer a telz dangers.

¶ La fertilité de la terre et qualité du ciel.

Chapitre .cxvii.

En ce pays la la terre est moult fertille et doulce/ et de plusieurs montagnettes et infinies valees : et habondante de tresgrans fleuves et arrousee de Fontaines tressalutaires & de larges forestz et espesses : et a peine penetrables & de toutes generacions de bestes sauvaiges y a dedans Les arbres sont tresgrans : ilz viennent sans estre cultivez desquelz le fruict a bon goust et delectable : et proffitable aux corps humains Et iceulx fruictz ne sont semblables aux nostres : la se engendrent innumerables herbes et de racines desquelles ilz font du pain : et de tresbonnes viandes : et ont beaucoup de semences en toutes manieres aux nostres differentes : nulle generacion de metal se trouve la fors celuy de l’or duquel ces pays la sont habondans Combien que en ce nostre premiere navigation n’en ayons point apporté les habitans nous notiffient & nous afferment dedans la terre estre grande habondance d’or : & d’eulx n’estre riens estimé ou voire estre prisé : ilz ont des marguerites comme aultresfois ay escript : Si je vouloye escripre toutes les choses qui sont la & lesquelles sont dignes de memoire : les diverses generations des bestes et la multitude d’icelles ce seroit une chose trop prolixe et longue : & croy certainement que pline n’a point touché la meilleure partie de la generation des papegaulx : Et la reste des autres oyseaulx & semblablement des bestes lesquelles en iceulx mesmes pays sont en si grande diversité de bectz & de couleur que de les paindre parfaictement/ le maistre policlete le grant paintre y eust bien failly a les paindre : tous les arbres sont odoriferans : & chascun rend gomme ou huylle : ou quelque aultre liqueur : desquelz si la proprieté estoit a nous congneue : je ne doubte point qu’elles soyent salutaires aux corps humains : et certainement si le Paradis terrestre estoit en quelque partie de la terre je estime qu’il ne fust pas loing de ce pays la. desquelz comme ay escript La situation est au midy en si grande temperance d’aer que jamais n’a a yver froit ne a esté chault.

¶ Des estoilles de celuy pole entarticque.

Chapitre .cxviii.

.lxxv. Une grant partie de l’an le ciel & l’air sont serains et vagues de grosses vapeurs. En ces pays la pluyes y cheoyent menuement et durement troys ou quatre heures : et se deffont a la semblance d’une brouee le ciel est aorné de tresbeaulx signes et figures : et aucunesfois avons veu venus et jupiter et les mouvemens & les circuitions d’icelles j’ay consideré : & d’icelles ay mesuré la circonferances & le dyametre avec une briefve voye de geometrie : & ay congneu iceluy ciel estre de plusgrant grandeur : j’ay veu en iceluy ciel trois canopes deux certainement cleres & l’autre obscur : le pole entartique n’est figuré avec l’urse majeur et mineur comme le nostre articque aparoist/ ny aupres de luy se veoit aulcune clere estoille et de celles lesquelles sont a l’entour de luy. Elles sont menees avec ung brief circuyt & trois en y a lesquelles ont la figure du triangle ortogone desquelles celle qui est du millieu a neuf demiz degrez de circonferance & quant cestes naissent de la senestre se veoit ung canope blanc d’une tresgrande grandeur : lesquelles estoilles quant elles parviennent au meillieu du ciel elles ont ceste figure.

Depuis cestes trois il en vient aultre deux : desquelles celle du millieu a de la circonference du dyametre douze demis degrez & avec elles venoyt ung aultre canope blanc et cestuy la a six aultres estoilles tresbelles et trescleres entre toutes les aultres le suyvent de l’octave espere/ lesquelles en la supersticion du firmament celle du meillieu a de la circonferance du dyametre degrez trente et deux : & avecques icelles va ung canope noir et de une grande magnitude : et si se voyent en la voye lactee/ c’est a dire le chemin sainct jacques : et telles figures ont quant elles sont en la ligne meridionalle.

¶ Des choses qui sont en celuy hemispere : Hemispere c’est la moytié du ciel aux philosophes repugnantes.

Chapitre .cxix.

J’ay congneu beaucoup d’autres estoilles tresbelles desquelles le mouvement diligemment ay noté : et tresbien les ay descriptz en ung petit livre ay faict en ma navigacion : lequel a present tiennent nostre Roy de portugal lequel livre j’espere qu’il me restituera : en celui hemispere c’est a dire j’ay veu choses non consentantes aux raisons des philozophes. J’ay veu deux foys l’arc ou ciel blanc : environ la minuyt : et n’a pas esté veu seullement de moy mais de tous les mariniers semblablement : et assez de foys nous avons veu la lune nouvelle : en celuy jour ouquel elle se conjoinct avec le soleil toutes les nuytz en celles parties du ciel courent plusieurs vapeurs et torches ardantes ung peu plus avant ay dit en celuy hemispere lequel a proprement parler n’est a plain hemispere : au regard du nostre : mais peu s’en fault qu’il ne soit semblable a la forme a nostre parquoy ainsi m’a esté advis de l’appeller.

¶ La forme de la quarte partie du monde retrouvee.

Chapitre .cxx.

Comme j’ay escript et dit de olispe d’ou nous partismes lequel est de la ligne equinoctialle : est distant de degrez .xxxix. et navigasmes oultre la ligne equinoctialle .l. degrez. Lesquelz ensemble font degrez .xc. laquelle somme contient la quarte partie du souverain cercle selon la vraye raison de mesurer a noz anciens donnee Adoncques la chose est manifeste que nous avons navigué la quarte partie du monde : et pour ceste raison nous autres qui habitons la europe environ la ligne equinoctialle a degrez .xxxix. et demy en la largesse septentrionale nous sommes en iceulx esquelz degrez .l. oultre ceste mesme ligne en la meridiale longuesse angulairement degrez cinq en la ligne transversale : et a ce que plus amplement entendez la perpendiculaire ligne laquelle ce pendant que nous sommes droictz du eminent point du ciel il pend en nostre teste et a eulx il pend au costé : et es costés pour laquelle chose se fait que nous sommes en la ligne droicte : Mais eulx ilz sont en la ligne transversalle non droicte et la forme se faict d’ung triangule orthogone : de laquelle lygne la maniere nous tenons comme par la figure cy dessoubz apperra magnifestement Et cestes choses diectes de la cosmographie souffisent.

¶ Comment ce livre est intitulé le troiziesme jour.

Chapitre .cxxi.

Lors furent les choses dignes d’estre notees : lesquelles j’ay veues en ceste ma derniere navigacion : laquelle je appelle troiziesme jour pour ce que les deulx jours furent aultres deux navigacions : lesquelles je fis par le commandement du roy d’espaigne vers l’occident : esquelles parties j’ay noté choses nouvelles desquelles par le moyen du souverain dieu nostre createur j’en ay faict ung journal : affin que se quelque foys me advient avoir temps .lxxvi. de povoir recueillir toutes cestes choses merveilleuses d’en composer ung livre de geographie ou de cosmographie : affin que mes successeurs se recordent d’ung si grant artifice : Lequel en partie a noz predecesseurs a esté incongneu Mais de nous congneu. Je prie donc dieu tout clerement qu’il me proloigne la vie affin que avec sa bonne grace et avec le salut de mon ame : je puisse mettre a effect ma bonne voulenté. veu la bonne disposition ou je suis : Les autres deux jours je les garde en mes coffres & quant le roy de portugal m’aura rendu le troiziesme jour je m’efforceray de retourner au pays et au repos affin que avec les saiges et mes amys je puisse estre aydé et conforté en cest oeuvre pour l’achever.

¶ Excusation de Emery et quelle soit son intention.

Chapitre .cxxii.

Si vous demande pardon sy ceste mienne derniere navigacion ou voirement le dernier jour ne vous ay envoyé : comme par les miennes dernieres lettres vous avoye promis : je croy que vous entendez la cause laquelle si est du Roy de portugal n’ay peu avoir mes livres : je pense encores de faire ung voyage & sera la quatriesme : j’ay promis de le faire & y a ja deux navires aprestees pour aller chercher nouvelles regions vers midy de la bande vers levant je me appareille pour le vent lequel vent d’affricque s’appelle auquel voyage par le moyen de dieu : je pense faire beaucoup de choses qui seront au proffit et utilité de ce royaulme : et a l’honneur de ma vieillesse : et je n’atens aultre chose sinon de cestuy roy le congié Dieu permette cela qui sera le meilleur et cela qui se fera entendrez.

¶ Contre l’audace de ceulx qui veullent sçavoir plus que leur est besoing.

Chapitre .cxxiii.

De langue Espaignolle en langue rommaine : Le joyeulx interpreteur ceste epistre a translatee affin que les latins entendent quantes choses merveilleuses se retrouvent en la journee et de ceulx ausquelz l’audace s’abesse : lesquelz veullent trouver le ciel et sa majesté et sçavoir le plus qu’il n’est licite de sçavoir quant depuis de temps en ça que le monde est commencé ne s’est trouvé la grandeur de la terre : et cela qui dedans elle est contenu.

¶ Le sixiesme livre des choses de calichut conformez a la navigation de pierre aliares : duquel au second et troiziesme livre est faicte mencion/ lesquelles sont vrayes comme appert par la coppie d’aulcunes lettres selon l’ordre des ans en ce dernier livre recueillies.

¶ Copie d’ung chapitre d’unes lettres de dominique cretic messager de la seigneurie de venise en portugal datee du .xxvii. jour de juing Mil .v.c. et ung.

Chapitre .cxxiiii.

Tressouverain prince je croy que vostre seigneurie par les lettres du magnificque ambassadeur a entendu que cestuy roy de portugal avoit envoyé des navires a la volte d’indye lesquelles sont a present retournees mais des .xiii. qui y allerent y en a sept perdues Et premierement quant ilz partirent ilz allerent par la coste de la mauritanie & de getulee par le vent de ostro jusques au chief verd lequel anciennement s’appelloit experias ou sont isles experides lesquelz principent la ethiope/ et de la en avant se a esté chose incongneue aux anciens et de dela ledit chef verd commence la coste de ethiope vers levant tant qu’elle respond par la ligne a la sicille distante de cestedicte coste de .ix. degrés entre la ligne equinoctialle .v. ou voirement six degrez et au meilleu de cestedicte coste est la mine de ce roy Et depuis se descent ung chef vers ostro : qui excede le tropicque de capricorne .ix. degrez Cestuy chef s’appelle bonne esperance & la barbarie & ce lieu la est large sur le rivage devers nous plus de mille .ccl. lieues Cedit chef de bonne esperance vient de rechief a se engoulfer vers ung autre chef appellé des anciens le promothoire de prasin lequel est de l’autre costé & jusques la les anciens ont eu la congnoissance : et de la on va quasi aupres le levant par la treglodotic. Treglodotic c’est ung pays ou ilz trouverent une autre vaine [d’or]/ laquelle ilz apellerent zasfalla et ou les anciens afferment estre plusgrande habondance d’or qu’en une aultre part De la ilz entrent en la mer barbaricque & puis apres en celuy d’indie & arrivent a calichut & cecy est leur voyage Lequel est de plus de .xv. mille [milles] qui sont des lieues environ quatre mille mais en traversant ilz s’esloignerent assez au dessus du chef de bonne esperance vers garbin Ilz ont descouvert une terre nouvelle & l’appellent la terre des Papegaulx : pource qu’il y en y a de la longueur de ung bras et demy de diverses couleurs Desquelz nous en avons veu deux : Et jugent cestedicte terre estre ferme : pource que ilz allerent par la coste plus de cinq .lxxvii. cens lieues sans jamais trouver fin/ la y habitent hommes nudz : et sont bien formez En leur allee ilz perdirent quattre navires : deux en envoyerent a la myne nouvelle : lesquelles on juge estre perdues Les sept allerent en calichut ou ilz furent premierement bien venuz : et leur fut donné une maison par le seigneur de calichut : et la demourerent aucunes navires : les autres estoyent en autres lieux voisins de la : En apres arriverent les marchans du souldam lesquelz se desdaignerent de ce que les portugaloys estoyent allez empescher leur voyage & vouloyent premierement charger que lesditz portugalois. Le facteur du roy de portugal se plaignit avec le roy de calichut lequel on jugeoit qu’il s’entendoit avec les mores et le roy dudit calichut dist audict facteur que si iceulx mores chargeoyent espicerie qu’il les leur ostast : et ainsi fut faict : dequoy ilz vindrent a batailler : et toute la ville favorisoit les mores Et coururent a la maison du facteur et mirent en pieces tous ceulx qui estoyent dedans ladicte ville. Lesquelz furent environ quarante Entre les aultres y fut tué ledit facteur lequel s’estoit fouy en l’eaue cuidant se saulver quant ceulx qui estoyent dedans les navires desdictz portugalois entendirent cela avec leursdictes navires ilz prindrent celles dudit souldam/ et les bruslerent lesquelles estoyent dix/ Et avec l’artillerie ilz firent grant dommaige a la ville et bruslerent beaucoup de maisons par ce que le dessus d’icelles estoyent couvertes de pailles : et au moyen de ceste noyse ilz partirent de calichut et furent conduitz de leur guide Lequel estoit ung juif baptisé : et les mena a une ville plus en ça de calichut de dix lieues appellee Cuchin qui appartient a ung autre roy ennemy de celuy de calichut Lequel leur fist bonne compaignie & devez sçavoir qu’il a plus d’espicerie que n’a ledict roy de calichut Ilz ont chargé pour ung pris que je crains de le dire & pource que ilz afferment de avoir ung quintal de Canelle pour moins d’ung ducat : Ce roy de cuchin a envoyé avec les navires de portugal ses ambassadeurs au roy de portugal/ et aussi deux ostages affin qu’ilz retournent asseurement. Quant ce vint au retour les mores et ceulx de calichut se misdrent en point pour les prendre et armerent plus de cent cinquante navires avec plus de .xv. mil hommes : & pource qu’ilz estoyent chargez ilz ne voulurent combatre : et les mores ne leur povoyent faire mal : pource noz gens se mirent a la borine : et eulx n’y sçavent aller en venant ilz arriverent a une isle ou est le corps sainct thomas apostre le seigneur de ladicte isle il leur fist bonne chere : et leur donna des reliquaires dudit sainct thomas et les pria qu’ilz prinssent de luy de l’espicerie & qu’il la leur croiroit jusques au retour de leur voyage ceulx icy s’estoyent chargez et n’en povoyent plus porter : ilz ont demouré a faire leur voyage quatorze moys : mais au retour ilz sont venus en quatre Et dient que doresnavant qu’ilz le feront en huyt ou dix ou plus. Au retour des sept navires les six sont venues a sauvement l’autre demoura en une secque de laquelle les gens furent sauvez Ceste navire estoit de six cens botes ou environ : encores n’est arrivé icy fors que une de trois cens botes : les autres sont bien pres ceste entra dedans le port le soir de sainct jehan : j’estoye avec le roy quant elle arriva lequel m’appella : et me dist que je me resjouysse de ce que les navires estoyent arrivees de l’indie chargees d’espicerie je m’en resjouys de tout ce que je povoyes Et ce soir mesmes il fist faire grant feste par son palays & fist sonner les cloches par toute la ville Le jour ensuivant il fist faire processions solempnelles par toute ladicte ville. Depuis de rechef me trouvay avec sa majesté retournant a ses navires : et me dist que je deusses escripre a vostre seigneurie que doresnavant envoyssiez voz galeaces pour porter des espiceries de ceste ville : et qu’elles seroyent les bien venues & pourroyent ingerer d’estre en leur maison : et qu’il deffendroit au souldan qu’il n’yroit plus pour les espiceries : et veult mettre a ce voyage quarante navires desquelles aulcunes yront : & les autres retourneront Finablement il a deliberé d’avoir l’yndie a son commandement Ceste navire qui est entree est a berthelemy florentin avec sa charge qui est poivre quintaulx trois cens ou environ : canelle six vingtz : lacque cent cinquante a soixante Bengin .xv. clou de girofle ilz n’en ont point par ce que les mores leur avoyent levé/ n’y en avoit point : mais il naist a Calichut : il n’y a point d’espices mesmes d’aulcunes sortes Ilz dient que quant la noyse fut a calichut qu’ilz perdirent beaucoup de joyaulx Je ne oubliray aussi cecy qu’il est venu une ambassade d’ung roy d’ethiope appellé le roy de ubenant lequel a envoyé au roy de portugal des presens Comme des esclaves & des dens d’ivoire combien de semblables choses pieça y en a eu en ce pays icy d’avantaige. Cestes navires a leur retour rencontrerent deux tresgrans navires : lesquelles estoyent parties de la mine nouvelle : et alloyent vers l’indye lesquelles avoyent grant somme d’or : et ne les voulurent prendre Ilz leur offrirent quinze mille dobbe/ chascune navire valoit .lxxviii. plus de cinq cens mil ducatz/ mais ilz ne voulurent prendre chose aucune/ mais leur firent presens et bonne compaignie affin de povoir naviguer en celles mers.

¶ Copie d’unes lettres de pierre pasqualige orateur de la seigneurie de venise envoyé par ladicte seigneurie au Roy de portugal escripte a ses freres dedans lisbonne le .xix. jour d’octobre mil .ccccc.

Chapitre .cxxv.

Magnificques freres comme peres honnorez par Pierre verse courrier & depuis par la voye de valence es jours passez vous ay escript a souffisance tout cela qui estoyt advenu a ceste heure par la voye de sibille soubz les lettres de berthelemy marchion oncle de benoist florentin me a semblé qu’il estoit bien convenant que vous escripvisse cestes miennes lettres : affin que par toute voye possible soyez adverty de moy de toutes les choses qui surviendront es parties de deça : Le septiesme jour dudict moys d’octobre arriva icy une des deux caravelles de cestuy roy de portugal : lesquelles l’an passé il avoit envoyez pour descouvrir la terre vers transmontane & en estoit capitaine Jaspard cotrad Et a rapporté avoir trouvé entre maistral et ponent/ une terre qui est loingtaine d’icy de cinq cens lieues Laquelle au paravant jamais d’aucun n’avoit esté congneue Et par la coste d’icelle terre ilz allerent environ .cl. lieues. & jamais ne trouverent fin parquoy ilz croyent que ce soit terre ferme : laquelle est voisine d’une aultre terre laquelle l’annee passee fut descouverte soubz la transmontane lesquelles caravelles ne peurent arriver jusques la pource que la mer estoit glacee et pleine de neige : Et la ont trouvé une multitude de tresgros fleuves : ilz dient que ceste terre est moult populee : & les maisons des habitans sont d’aucuns boys treslongs couvertes par dehors de peaulx de poisson ilz ont amené de ce pays la tant hommes que femmes et petis enfans huyt personnages : & dedans l’autre caravelle qui se attend d’heure en heure Il en vient aultre cinquante. Ces gens icy sont de esgalle couleur figure stature : regard : & semblable de egiptiens vestus de peaulx de diverses bestes. Mais principallement de louves : en l’esté ilz tournent le poil par devers et yver le contraire. Et cestes peaulx en aulcune maniere ne sont point cousues ensemble ny acoustrees : mais tout ainsi qu’elles sont ostees de la peau des bestes ilz les mettent tout a l’entour de leurs espaulles et des bras : Les parties vergogneuses sont liez avec aulcunes cordes faictes des nerfz de poisson tresfortes : en façon qu’ilz semblent hommes saulvaiges. Ilz sont moult honteulx et doulx mais si bien faitz de bras & de jambes et d’espaulles qu’ilz ne pourroient estre mieulx : leur visage est merqué en la maniere des indians aulcuns ont .vi. marques aulcuns .viii. et qui plus moins ilz parlent mais ilz ne sont entendus d’aulcuns et croy qu’il leur a esté parlé de tous langaiges qu’il est possible de parler en leur pays il n’est point de fer mais les cousteaulx sont d’aulcunes pierres : et semblablement leurs poinctes de leurs flesches & ceulx desdictes caravelles ont encores apporté d’icelle terre une piece d’espee rompue qui estoit doree laquelle certainement semble avoir esté faicte en ytalie/ ung petit enfant de ces gens la avoit dedans les oreilles certaines pieces d’argent : lesquelles sans doubte sembloyent estre faitz a venise laquelle chose me fait croire que ce soit terre ferme par ce que ce n’est pas lieu que jamais plus y ayt esté aulcunes navires : car il eust esté notice d’elles. Ilz ont tresgrande habondance de saulmons harens stoquefies et semblables poissons/ ilz ont aussi grande habondance de boys : & sur tous de pins pour faire arbres et matz de navires parquoy ce roy a deliberé de avoir grant proffit de la terre a cause des boys pour faire des navires : car il en avoit grant besoing et aussi des hommes lesquelz seront par excellence de grant peine et les meilleurs esclaves qu’on saiche jusques a ceste heure cela me sembloit chose digne de le vous faire sçavoir : et se je entens autre chose par la venue de l’autre caravelle semblablement vous en advertiray. Les navires pour aller en calichut se mettent en point et le roy a ceste foys fait son effort de dommaiger les navires de la mecque : et serre le passaige au souldan affin qu’il ne puisse plus avoir de l’espicerie de ces lieux : et a cela faire y a mis son entendement : et estime qu’il n’y aura difficulté aulcune : et toute la court semblablement & aussi la cité de lisbonne et le royaulme parce que en ayant les espiceries luy semble en brief temps se faire tout d’or : & mesmement les grosses galeaces de venise comme il espere qu’elles y viendront pour lever lesdictes espiceries : et luy semble les avoir dedans le poing et une heure luy semble mil ans que ses soubhaitz ne viennent a sa voulenté : parquoy je juge qu’il sera moult difficille & quasi impossible a le destourber de son propos. qui est de envoyer l’an suyvant une armee en levant. Et a dieu.

¶ Copie d’une lettre de françoys de la saiete cremonnoys/ datee a lisbonne le .xvi. jour de septembre mil .ccccc. & deux & se adressoit .lxxix. en espaigne a pierre pasqualige orateur de la seigneurie de venise. envers le roy et la royne d’espaigne.

Chapitre .cxxvi.

Orateur magnificque par deux lettres miennes j’ay advisé vostre magnificence/ l’arrivee des quatre navires que on attendoit venir de calichut et cela qu’on estimoit qu’elles doibvent porter/ ores vostre magnificence sera advertie certainement de ce qu’elles portoyent Premierement mil quintaulx de poivre plus ou moins : canelle quintaulx .ccccl. Gingembre .l. Lacque et bengin .l. Tocques moresques : c’estassavoir bonnetz de coton pour la somme de .cccc. ducatz. Aultres choses ne portent point la cause pourquoy ilz ont apporté si peu d’espiceries : vostre magnificence en sera advisee par mes aultres lettres. Quant les marchans envoyerent ces quatre caravelles leur oppinion estoit que les deux deussent aller a la mine nouvelle : et achepter de l’or & les autres deux a calichut : si firent provision de marchandises au propos de chascun des lieux ou ilz vouloient aller : de façon que les quatre navires furent de loing a calichut et ne peurent avoir notice de la myne nouvelle : combien qu’ilz fussent allez en divers lieux. Le premier lieu ou ilz furent fut a cananor & la eurent nouvelles du cas escheu a pierre aliares cabral : et comme il sejourna a cuchin & la estoit le facteur du roy de portugal Le roy de cananor les receut voulentiers & dist au capitaine que s’il vouloit de l’espicerie qu’il luy en bailleroit : et par le capitaine luy fut respondu qu’il vouloyt aller jusques a cuchin pour parler au facteur dudict roy de portugal & puis apres il retourneroit la pour achepter de ladicte espicerie Et ainsi se partit et fut a cuchin auquel lieu il trouva ledict facteur & parlamenta avec luy & pource que cestes navires ne portoyent aulcuns deniers contens sinon toutes marchandises & estoit bien mal a propos de la ville : pource que cestuy royaume de cuchin estoit povre & ne veult que argent contant le capitaine desdictes quatre navires au dernier se delibera de retourner a cananor : et ainsi fist auquel lieu pour la grande voulenté que avoit le roy pour leur faire service lesdictz portugalois furent d’acord avec luy en ceste forme que la marchandise qu’ilz portoyent esdictes navires se mist a pris raisonnable : et qu’ilz l’envoyassent a la ville : et luy pour autant qu’elle seroit prisee & luy bailleroit autant d’espicerie : avec condicion que trois hommes desdictes navires demoureroyent la avec le facteur du Roy de Portugal C’estassavoir le facteur desdictes navires/ et aussi ung escripvain y demoureroyent lesquelz vendroyent icelle marchandise : et ainsi comme de jour en jour ilz la vendroyent ilz payeroient au roy ladicte espicerie duquel acord ceulx desdictes navires en furent contens et en ceste maniere ilz chargerent ladicte espicerie : & les navires se partirent de la et trois des dessus nommez demourerent la pour acomplir tout ce qu’ilz avoyent promis au roy : les navires ne sont pas venues a la moytié chargees pource qu’ilz ne porterent pas de l’argent contant et leur marchandise estoit bien petite a propos du pays : & le gaing qu’ilz devoyent faire est demouré en derriere par leur faulte. La conclusion est que l’indie selon qu’ilz dirent ne veult gueres de marchandises : ilz ne veulent que deniers contans les habitans de cestuy royaulme sont povres gens & n’ont point d’argent content cestuy roy de portugal ne pourra avoir son intencion sinon qu’il face charger ses navires par force ceulx cy dirent que quant l’admiral avec son armee arriva comme il fist ses jours passez que les roys de ce pays la de grant paour qu’ilz eurent luy chargerent les siennes navires : mesmement celles de calichut et si dient que au partir dudict calichut le capitaine aliares fut dit au roy d’iceluy calichut par ses devins que une grande armee de cestuy roy de portugal devoit venir sur calichut et que de paour ilz s’en fuyroient et laisseroyent la ville/ ceste nouvelle s’est semee par trois hommes venus en cestes quatres navires lesquelz eschapperent quant areschorea facteur du roy fut tué a calichut et aussi par le bergamoys qui a demouré .xxvi. ans audict calichut et par ung de valenciennes qui a demouré la six ans et par eulx a esté dicte la nouvelle a cestuy roy : lesquelles nouvelles ainsi comme ilz les dient soyent veritables ou non nous le croyons. Le roy de calichut quant il sceut que ces quatre navires estoient a caragannor il y envoya une grande armee & s’en fuyrent a la voille : & ne leur firent aulcun desplairir. Davantage ce roy a ce moys de janvier prouchain a deliberé d’envoyer une nouvelle armee/ c’estassavoir de huyt a dix grosses navires Et pour cest affaire ont esté faictes .vi. navires c’estassavoir deux ont esté faictes sur ceste riviere : l’une d’elles est de six a huyt cens tonneaulx et l’autre de cinq cens : et une aultre qui se est faicte au port de portugal qui est de .ccccl. tonneaulx & deux ont esté faictes en l’isle de la madere l’une est de .cccl. tonneaulx : l’autre qui est de .cccxxx. Une qui se fait en setunal de .clx. a septente tonneaulx Cestes dessus nommees sont sept navires. Et en apres il en print une aultre .lxxx. de .ccc. tonneaulx laquelle trois jours & arriva de sio : & cestes navires le roy les veult armer pour luy forsque deux l’une desquelles est de .ccccl. tonneaulx & l’autre de .cccl. par ce que certains marchans ont faict party d’elles avec le roy en ceste forme C’estassavoir le roy aura a faire la despence aux marchans et aussi aux marines : & toutes aultres despences necessaires pour lesdictes navires : et les marchans doivent envoyer tant d’argent contant esdictes navires : affin qu’ilz les puissent charger d’espiceries et apres qu’ilz seront retournez du voyage la moytié de l’espiceries et aultres marchandises que ilz aporteront sont au roy : et l’autre moitié ausdictz marchans. Et affin que mieulx je entende a vostre seigneurie : deux quintaulx d’espicerie cousterent en L’indye aux marchans de sept a huit ducatz : l’ung desdictz quintaulx est au roy et l’autre aux marchans nous trouvons que cecy est beaucoup meilleur party : que n’est de envoyer les navires a noz despens : comme a esté faict jusques icy : et si le roy eust voulu donner autres navires a ce party il auroit trouvé qui en auroit prins la charge : Et nous aurons part esdictes deux navires : et nostre partie je croy qu’elle fera ung dixiesme : et oultre les navires dessusdictes j’espere que aulcuns marchans y envoyeront deux ou trois (Dieu conseille le meilleur a chascun) ¶ J’ay escript a vostre seigneurie ce que dessus : affin que du conseil elle soit advisee particulierement Par ce que les aultres miennes lettres que ay escriptes de ceste matiere : je n’escripray point ainsi amplement : par ce qu’on ne sçavoit pas encores la verité du tout. Non aultre je me recommande a vostre seigneurie et s’il escheoit aulcune chose en quoy vous puisse servir Vous me le commanderez comme a ung vostre amy & serviteur Escript a lisbonne le vingt et sixiesme jour de septembre Mil cinq cens et deux.

¶ Copie d’une lettre receue des marchans d’espaigne envoyee a leurs respondans dedans florence et a venise du traicté de la paix entre le roy de portugal : et le roy de calichut.

Chapitre .cxxvii.

Au moys de may mil cinq cens et deux : Les Navires du roy de portugal partirent de lisbonne pour aller en calichut et retournerent audict lisbonne le vingt cinquiesme jour de decembre mil .ccccc. et .iii. et desdictes navires estoit capitaine ung nommé de la frote : lequel a faict paix avec le roy de calichut : lequel doit donner pour le dommaige qu’il a faict aux portugaloys eulx estans en sa ville de calichut .cccc. Bacars de poivre qui sont douze mille quintaulx : et que les mores de la mecque et d’aucuns autres lieux ne puissent traicter dedans calichut fors les naturelz mores de ce pays la/ lesquelz aussi ne pourront traicter en la mecque ny esditz aultres lieux Et que le roy de portugal puisse faire une forteresse dedans calichut & luy sera delivré de la pierre : de la chaulx : et du boys pour son argent et que le roy dudict calichut en tout luy doit aider et favoriser en tout cela qu’il luy sera possible : et le facteur du roy de portugal doit estre juge de tous les portugaloys tant en choses civilles que en criminelles : et la justice de calichut n’ait nulle puissance sur eulx et quiconques crestien se rebellera de l’obeyssance dudit facteur : ou voirement se trouvast ung more qu’il soit prins et baillé audit facteur Et deux millannois marchans de joyaulx venus de romme audict calichut lesquelz estoyent dedans l’indye avec les facteurs du roy lesquelz donnoyent conseil de faire de l’artillerie et des Navires a la façon de deça qu’ilz fussent delivrés audict capitaine et mys es fers Et que le roy de cuchin et le roy de cananor seroyent comprins en ceste paix & ligue : et que tous leurs confederez et amys viendront ayder leur amy et l’ennemy de l’ennemy & quiconques d’eulx la romproit sans ceste cause soit entendu l’avoir rompue avec tous : Et quant au port de calichut se trouveroit aucunes navires des portugaloys que nulle autre navire ne puisse charger jusques a ce que celles de portugal soyent chargees fors que s’il y avoit espiceries d’avantaige pour les charger toutes : et qu’ilz n’ayent a payer pour la gabelle plus que cela qui se paye en Cuchin qui est environ huit pour cent et cela sont tous les chapitres de la paix assez honorables pour nostre roy de portugal comme pourrez veoir et il se peult bien dire seigneur de l’indye & tenez pour certain que par ces portz il gardera bien qu’il n’yra plus d’espicerie au chaire ny en turquie et devant qu’il passe quattre ans vous verrez que d’icy les espiceries se navigueront par alexandrie et constantinoble et les crestiens se pourront venger des mores Quant le Capitaine des douze navires : lesquelles estoyent parties cest an arriverent a cuchin/ ilz trouverent le roy de cuchin hors de son royaulme : et s’estoit retiré dedans une isle : et s’estoit fortifié dedans ung temple. Et la cause qui esmeut le roy de calichut a luy faire la guerre a feu et a sang ne fut pour aultre sinon qu’il demandoit .lxxxi. que lui feussent baillez en ses mains les facteurs du roy de portugal dequoy le roy de cuchin fut fort loyal car plustost il voulut perdre tout son royaulme que les bailler & quant les capitaines virent cela ilz se misrent en ordre avec le roy de cuchin & commencerent a fraper de telle sorte sur les gens de calichut qu’ilz en tuerent ung grant nombre & remisrent le roy de cuchin en son estat qui est aupres la bouche de la mer rouge : & firent une forteresse sur la bouche du fleuve de cuchin qui est aupres la bouche la mer rouge Et la garnirent d’artillerie et de grans fossez en façon que en ce fleuve ny a port nul ne pourra entrer contre sa voulenté Et autres tant s’en fera dedans calichut & n’y a plus de fleuves sur celle plaige (mais que les deux forteresses soyent faictes) Esquelles on puisse seurement descendre Les navires de l’annee passee qui estoyent demourees la pour aller courir par une matinee avoient fait une grant prinse car ilz prindrent cinq navires de mores de gombaye qui alloyent a la mecque dedans lesquelles ilz trouverent mil quintaulx de cloux de giroffle desquelz y en avoit .cl. netz de bois et les aultres estoyent avec le bois comme ilz ont de coustume de venir et plus de .vi.c. quintaulx & beaucoup de bengin et de sandali. Sandali c’est a dire ung bois qui est comme cipres : & y en a de rouge et de blanc ambre : noix musqués : & lacque tresfine Infinies toilles subtilles Une chose merveilleuse d’or & d’argent monnoyé : par façon qui valoyent .ccix. ducatz ou plus parquoy voyez quelz pays sont ceulx la et quelles richesses. Desquelles navires s’en perdit deux a cause d’une grant fortune qui survint sur icelles elles estans encores en ung port d’une isle aupres la bouche de la mer rouge Et y mourut bien .cccccc. personnes avec le capitaine vincent une autre petite navire qui eschappa venant a son chemin se perdit en une secque vous souffise par la mer engloutist tout ainsi va la chose qui est desrobee ou soit de mores ou de crestiens : il demoura seullement une petite caravelle qui vint avec une autre navire. Ce Roy de portugal semble qu’il vueille donner congé de naviguer en indye en payant les premieres daiches qui est .xxix. pour cent : & avec ce que les marchans luy payent les navires autant qu’ilz lui coustent en ducatz contens et semble qu’il ait apperceu aucune erreur par ce qu’il ayme mieulx que les marchans arment les navires que luy Je ne sçay s’il s’en trouvera mieulx en peu de jours le sçaurez & saichez que les choses de deça ne sont pas fermes Il est venu avec ses navires ung portugalois : & a demouré a zasfalle par trois ans lequel demoura la d’une navire & dit grandes nouvelles de la quantité de l’or/ et de la mine dudit lieu Cestuy roy ne vouldra tendre a autre chose il fera faire une forteresse pour deffendre ceulx de gambaye/ & d’aultres lieux de l’indie affin qu’ilz n’y aillent plus et tout vouldra pour luy Et en certain ceste mine estre de Salomon d’ou vint la royne de sabba : cestes choses sont grandes comme povez veoir : ce roy icy se peut bien dire avantureux a causes des richesses qu’il a descouvertes : et s’en faire seigneur comme se dit et se estime. Cestuy roy donnera congé de povoir envoyer en indie en payant droit .xxix. pour cent Mais il veult qu’on preigne ses navires pour le pris qu’elles luy ont cousté : et veult que tout soit envoyé a ses facteurs : affin de ne perdre le train lesquelz auront la charge de vendre et d’achepter neantmoins on espere que il laissera aller en chascune navire ung facteur qui pourra veoir cela qui se fera : mais qu’il puisse faire la aucune chose non fera et besongnera prendre les espiceries qui sont baillees par le facteur du roy Parquoy on estime qu’on ne pourra pas avoir ce qu’on vouldra pource que ces gens icy sont fors a les comporter comme sçavez : et de cela qui se fera serez advisé combien que vous n’ayez jamais eu foy en semblable voyage : toutesfoys par les premiers serez plus certiffiez vous sçavez combien de moys il y a que ne vous escripvismes que le caire demouroit a sec : et la verrez plus tost que ne pensez Et l’a bien merité pource que ces mores faisoyent dix mille maulx chascun jour aux crestiens Et a ceste heure ilz demourront du tout perdus Et icy sera la grande estappe de l’espicerie et droguerie : et de joyaulx comme es jours venans nous le verrons dieu en soit loué de la nouvelle mine de zasfalle je ne vous en dis autre chose : certainement nous en avons informacion que c’est une tresbonne chose Et cestuy roy s’en fera seigneur devant qu’il soit deux ans Toute l’indie et perse n’avoit point d’or d’aultre lieu sinon de ceste mine laquelle est en la puissance des gentilz combien que le roy de galdee soit seigneur de la bouche du fleuve auquel se contracte avec les gentilz avec cest or : chascun an venoyent plusieurs navires de mores de gambaye et la marchandise est de draps de coton tissus de noir & blanc & de taffetas noirs et certaines pieces de soye tapisseries de plusieurs couleurs qui n’ont droit ny envers avec certains degrez lesquelz se font en bursie & sont par le meilleu moult larges a la turquesque et semblablement patenostres esmaillees et voyez la les marchandises qui se vendent audit lieu Le roy de chilloa ne vouldra point demourer la pour paour des gentilz : Ilz sont loing de la .xl. lieues d’une isle appellee chiola & la yront toutes celles navires .lxxxii. a faire obedience et payer leurs droitz devant qu’ilz aillent a la mine En laquelle les navires qui sont au port de zasfalle six & huit moys devant qu’ilz ayent achevé de vendre toutes leurs marchandises pour avoir ledict or Et dens de elefans & cire ce sont bonnes marchandises pour l’indie : & depuis qu’elles sont chargez ilz s’en partent & s’en retournent a chiola/ & portent en terre tout l’or qu’ilz ont & payent le droit au roy qui est grant & apres s’en vont par leur terre a gambaye ou a la mecque & y a en chascune navire .xv. ou .xx. marchans lequel roy de chiola est tributaire de cestuy roy de portugal & luy donne par chacun an mil .ccccc. mitigales d’or & ung mitigal vault de celui poix royal six cens livres de ceste monnoye : neantmoins ces gens icy de portugal le pevent destruire en quatre jours en y envoyant mil hommes armez tout droit depesché & l’on estime qu’il se fera & bien tost & ne seront pas merveillez si ledict roy de portugal en tiroit par chascun an six cens mil ducatz d’or : & ne croyez pas que cestes soyent parolles : mais tenez le pour tout certain il y a plusieurs ans que m’avez praticqué & jamais ne vous ay escript une chose plus que ce qui en est & par les choses que nous avons de l’indye vous povez veoir ce que vous en ay escript comme il en est beaucoup plus que ne vous dis. vous povez faire conte que les navires qui se attendent pevent porter environ deux cens vingt deux mil quintaulx d’espicerie la sorte ne se peult encore dire : mais deça en avant tout sera mieulx fourny qu’il n’estoit puis que nous avons paix avec le roy de calichut : & se dit qu’on naviguera melucque ou naissent les cloux de giroffle & l’ambre : & beaucoup d’autres choses & est oultre ledit calichut .cccccccxl. lieues Et combien que y naviguer il y face perilleux pource qu’il fault passer ung archipelague par une estroicte mer en laquelle y a peu d’eaue & petit de fons Et y a plus de quatorze mil isles/ toutesfois essayera d’y naviguer et se pourra dire que nous avons descouvert tout le monde : et toutesfois nous voyons cestes choses en noz jours que jamais noz ancestres ne veirent/ reste encores a descouvrir l’isle de trapobane laquelle selon pline de richesse d’argent & de perles est treshabondante. et est de besoing qu’elle soit descouverte pour toute la mer D’indie : la despesche des marchandises de nostre pays est bien petite. Car tous ceulx qui y sont escripvent que qui veult estre bien depesché qu’ilz envoyent crucias d’or : car pour despescher les marchandises il y fauldroit demourer beaucoup de temps Et ce pendant que la marchandise est dedans les navires Ilz ne veullent nullement riens achepter. Parquoy il leur est advis que ilz en auront meilleur marché : laquelle chose semble contraire a ceulx qui souloyent aller en alexandrie plon est bonne marchandise : mais qu’il soit en petis pains comme sont ses bricques argent vif : l’embre a aussi bonne despesche : et aultre marchandise n’est bonne pour celuy pays. Des lames d’arain ouvrees s’en pert la façon : par ce qu’ilz les refont : par ce qu’elles ne leur servent de riens en aulcune chose : en conclusion toutes les marchandises ont bien peu de depesche.

¶ Comment prejoseph indian monta sur noz caravelles & vint en portugal & le roy le fist acompaigner a romme & a venise.

Chapitre .cxxviii.

Le roy de portugal autresfois envoya ses navires comme vous avez entendu par les parties australles es parties d’indie et cela fut a l’instigation d’aucuns qui y avoyent esté dedans ses navires : et comment en l’an mil .ccccc. ledict roy appellé manuel y envoya douze navires desquelles estoit capitaine pierre aliares lequel eut l’estandart royal le .viii. jour du moys de mars : et se partit de portugal et en naviguant avec grandes fortunes & dangiers le .xiiii. jour de septembre audit an il arriva a calichut avec sept caravelles/ desquelles douze navires .iiii. par fortune de mer estoyent perdues et une aultre alla a zafale : ouquel lieu de calichut et demourerent par troys moys finablement au dernier a cause de debatz ilz vindrent a s’entretuer avec ceulx de la ville de calichut : et aulcuns hommes estans desdictes caravelles moururent/ et beaucoup plus de ceulx de la ville et le .xiiii. jour de novembre oudict an le capitaine fist faire voilles pour son retour & arriva avec ses navires et caravelles a cuchin : lequel est distant de calichut .xxiiii. lieues : lequel lieu est assis sur la mer et est seigneur ung roy ydolatre de la secte de celuy de calichut et lesdictes navires furent receues du roy de cuchin & leur fut faict bon recueil : lesquelles estans audict lieu et en contractant diverses marchandises comme es navigacions cy dessus escriptes apert ou .iii. livre chapitre .lxxvii. vindrent d’une cité appellee caranganor loingtaine dudict lieu de cuchin de quatre lieues deux freres crestiens lesquelz desiroyent venir es parties de ponent pour povoir aller a romme en hierusalem lesquelz estans montez sur les caravelles vindrent de calichut environ quatre vingtz voilles pour prendre lesdictes caravelles lesquelles se leverent dudit Cuchin et amenerent lesdictz deux crestiens et autres gens du royaume de cuchin : lesquelz avoyent esté baillees pour ostages pour ceulx qui estoyent descendus en terre pour contracter : & laissa ledict capitaine dedans terre autant de portugaloys : & comme ilz prindrent le chemin .lxxxiii. pour venir en portugal Desquelz deux freres ung mourut par le chemin : l’autre vesquit et s’apelloit prejoseph & en la fin de juing mil .ccccc. arriverent a lisbonne et apres qu’ilz furent arrivez ledict prejoseph y demoura jusques au moys de janvier et quant il vint a se partir de la magesté du roy luy fut baillé ung homme pour l’acompaigner jusques a romme venise & hierusalem & apres qu’il eut esté a romme il vint a venise : en l’an mil cinq cens et deux ou moys de juing et y demoura par plusieurs jours : auquel temps par le moyen dudit prejoseph on eut notice des choses cy dessoubz escriptes.

¶ La qualité dudict prejoseph avec son pays & les gentilz.

Chapitre .cxxix.

Joseph dessusdict est homme de l’aage de .xl. ans et de couleur grisastre et de commune stature il a jugement de ce que il a veu : et de ceulx qui ont parlé avec luy Il est homme ingenieux veritable : & est homme entier en tout cela qu’on peut comprendre : il est exemplaire de bonne vie : & se peut dire d’une tresbonne foy duquel on a entendu ce que s’ensuit Et premierement il dit qu’il est de la cité caranganor laquelle est loingtaine de calichut .xxiiii. lieues assise ou sein dit militabo : et est distant de la mer de quatre lieues & dit que ladicte cité de caranganor est sans muraille pource qu’elle est ainsi longue c’estassavoir par l’espace de six lieues et demye et que separeement elle est habitee l’ung de l’aultre en maniere de villaiges : par dedans en laquelle cité courent plusieurs fleuves et que quasi toutes les maisons sont sur l’eaue dedans ladicte cité il y habite deux sortes de personnes C’estassavoir crestiens et gentilz & affin que chascun soit notifié ce nom de gentilz s’appellent ceulx qui au temps passé adoroyent les ydoles et diverses sortes de bestes comme cy dessoubz se narrera. Le roy de ladicte cité est ydolatre aussi on y trouve des juifz en nombre souffisant mais ilz sont moult desprisez et y a aussi des mores qui sont marchans lesquelz naviguent au caire en la sorie et la perse & autres lieux pour marchander pource qu’en ce lieu la il y croist de diverses sortes de marchandises.

¶ Les habitans de caranganor avec les eglises & sacrifices.

Chapitre .cxxx.

La ville de caranganor pour autant qu’elle appartient aux gentilz elle est divisee en trois parties Premierement les gentilz y sont lesquelz en leur langue s’appellent naires. Secondement y sont les villains lesquelz s’apellent canes Tiercement y sont les pescheurs qui s’apellent nuyrinen Et ceste generation de pescheurs est la pire qui soit Et est molestee de chascun quant ilz vont par la terre : et s’ilz rencontrent quelque gentil homme & leur est necessaire de fuyr devant eulx autrement ilz seroyent mal menez : chascune generacion a ses temples separez : les femmes ont aussi leurs temples separez des hommes : et offrent a leur temple les premieres de la terre comme : roses : figues et autres choses : ces gentilz adorent un seul dieu createur de toutes les choses & dient estre ung et trois & aussi a la semblance de luy ilz ont une statue avec trois testes : laquelle est avec les mains joinctes : & eulx l’appellent tambran devant laquelle statue est tiree une courtine comme icy dirons : ilz ont diverses autres statues de bestes : mais ilz ne les adorent point et quant ilz entrent dedans leurs eglises ilz prennent de la terre & la mettent sur le fronc aucuns prennent de l’eaue et vont trois fois le jour a l’eglise C’estassavoir au matin a midy & au soir puis apres ilz font certains sacrifices generaulx en ceste maniere Ilz ont certains deputez avec trompes cors : et tabourins lesquelz appellent a certaine heure le peuple pour venir a leurs eglises Et apres que le peuple est assemblé le prestre est vestu d’ung grant vestement : et est aupres l’autier & commence a chanter diverses oraisons et ung autre luy respond puis le peuple respond a haulte voix et font cela trois fois : puis apres si yst d’une porte ung prestre tout nud avec une grande couronne de roses sus sa teste : et a les yeulx grans et deux cornes fictives. Il porte en ses mains deux espees nues et court vers son dieu & tire toute la cortine devant & donne l’une desdictes espees en la main du prestre estant a l’autel : puis apres avec l’autre espee luy estant ainsi nud il se frape de plusieurs blessevois : & ainsi tout plain de sang il court en ung feu ensemble dedans le temple saultant dedans iceluy feu dedans et par dehors Finablement avec les yeulx tournez il dit avoir parlé avec son dieu. Lequel ordonne qu’il se face telle chose et telle : & enseigne au peuple comme il a a se gouverner : il y a beaucoup d’autres sortes de sacrifices lesquelz icelluy joseph pour non avoir la langue ne aussi pour non avoir gueres practiqué avec les gentilz ne nous a sceu explicquer le tout d’iceulx temples et religion s’en est assez dit.

¶ Coustumes du roy de caranganor et des habitans et le lieu ouquel sont beaucoup de crestiens.

Chapitre .cxxxi.

Le roy qui est gentil ou ydolatre il a diverses femmes & semblablement tous ses autres gentilz et entre eulx n’y a chasteté honnesteté Bien est vray quant le roy meurt ou aucun des autres gentilz on brusle leurs corps leurs femmes depuis la mort de leur mary sont en leur liberté par l’espace de huit jours : & au bout de la huitaine elles .lxxxiv. se bruslent toutes vives : et cela ledict prejoseph dit l’avoir veu de ses propres yeulx : les filz du roy voirement : apres la mort de leur pere ne heritent point au royaulme mais les plus prochains oultre le filz : la cause est telle que les femmes des roys ont ceste coustume d’habiter avec plusieurs personnes & par cela ilz jugent que leur filz ne merite point d’avoir le royaulme a l’ensepvelissement de leurs roys ilz usent de grandes serimonies. Les gentilz vont vestuz en ceste façon en leur teste : ilz portent ung bonnet/ c’estassavoir le roy ung bonnet d’or & les autres grans maistres bonnetz de veloux ou de brocar d’or : les autres vont sans bonnetz ilz sont nudz ilz couvrent seullement les parties honteuses avec ung drap de lin : ilz portent dedans les bras braceletz d’or bien ouvrez avec diverses pierres precieuses semblablement aux dois du pied ilz portent des anneaulx avec plusieurs pierres precieuses : lesquelles quant a eulx sont a grant pris ilz se lavent le corps .ii. ou .iii. fois le jour & ont des lieux deputez pour eulx laver : le peuple & les femmes sont tresbelles. leur teste est acoustree d’une façon bien belle : ilz portent sur leur teste beaucoup de joyaulx les gentilz escripvent en escorce de bois avec une poincte ferree leur langue est indiane ou malanar/ & de cela s’en est assez dit pource que dessus nous en avons parlé : en ce lieu de caranganor y a beaucoup de crestiens desquelz en ce present chapitre : d’aucuns sera fait mencion : et affin que a tous soit manifeste depuis le fleuve inde qui fait le commencement du sein de la mer de perse ne se trouve aultres crestiens fors que audit lieu de caranganor : mais en l’indye y a des roys crestiens qui sont plus puissans que celuy de caranganor semblablement au catay. Catay est une ville qui est en ce pays la : Iceulx crestiens de caranganor sont en tresgrande quantité Ilz prennent leurs maisons du roy gentil pour certain pris : et payent chascun an leurs cens. En ceste maniere ilz habitent la.

¶ Des maisons des crestiens et comment leurs evesques gouvernent l’eglise.

Chapitre .cxxxii.

Ces maisons des crestiens sont faictes de murailes & ont divers planchiers faitz de tables semblablement celles des gentilz sont covertes de tables d’autre sorte de bois les temples des crestiens sont faitz a la semblance des nostres excepté que en leurs eglises il tiennent seullement la croix : & au plus haut d’iceulx temples tiennent semblablement une croix : ilz n’ont point de cloches & quant ilz appellent le peuple a venir a l’eglise ilz gardent la façon de grece/ cesdictz crestiens es choses divines ilz ont pour leur chef ung pape .xii. cardinaulx .ii. patriarches evesques & archevesques assez. Ledict prejoseph dit estre party avec un patron evesque de ladicte cité de carannor & lequel monta sur mer & s’en alla vers l’isle de ormus laquelle est loing de caranganor .cccc.lxxx. lieues : & de la passa en terre ferme & y chemina par .iii. moys : et s’en vint avec ledict evesque jusques en armenie pour trouver son pape duquel y celuy evesque fut consacré & ledict prejoseph ordonné pour dire messe. Le semblable font tous les crestiens de l’indie & de catay cestuy pape s’appelle catholica : il a la teste rese en façon d’une croix : il fait ses .ii. patriarches l’ung demeure en indie & l’autre audict catay. les evesques et archevesques il les envoye a leurs provinces comme il luy semble de cestui catholica est faicte mencion en marc pole : ou il traicte de l’armenie En ce lieu la il dit estre .ii. generations de crestiens. l’une desquelles s’appelle jacopites l’autre nestoniens & dit qu’ilz ont ung pape lequel s’appelle jacotite/ et celuy catholique que dit ledict prejoseph. Il dit d’avantaige que ledict pape fait evesques archevesques & patriarches : & les envoye en l’indie Aulcuns pourroyent dire quelle auctorité a cestuy pape Alexandre luy estant pape ledict prejoseph estoit a romme & parla avec sa sainctete des parties de l’indie : et le pape luy demanda qui avoit donné ceste auctorité audit catholica : & prejoseph luy respondit que au temps de simon magus sainct pierre estoit pape en anthioche. et les crestiens qui estoyent es parties de romme/ lesquelz estoyent molestez par l’art de cestuy simon magus et eulx non ayans aulcun qui leur peust resister/ envoyerent supplier a sainct pierre qu’il se voulsist transporter jusques a romme : Lequel laissa ung sien vicaire audict anthioche et s’en vint a romme : et cecy est cela que a present s’appelle catholica et faict l’office sainct pierre. Quant ce vint a faire ledict pape ou catholica les douze cardinaulx dessusditz se retirerent en la province d’armenie ou ilz font leur pape/ et dient qu’ilz ont ceste auctorité du pape de Romme.

¶ Comment ilz consacrent et ensepvelissent les mors avec leurs festes.

Chapitre .cxxxiii.

D’avantaige ilz ont prestres diacres : & soubzdiacres les prestres voirement ne portent point de couronne mais la summite de la teste ilz portent ung peu de cheveulx : ilz baptisent les enfans .xl. jours apres leur nativité fors s’il ne survenoit necessité : ilz se confessent & communicquent comme nous mais ilz n’ont pas la derniere unction : & en lieu d’icelle ilz benissent le corps ilz ont de l’eaue benoiste a l’entree de leur eglise ilz consacrent le corps & le sang de .lxxxv. nostre seigneur comme nous faisons en pain non levé : & dit que quant ilz n’ont point de vin pource que en cestes parties il ne croist point de raisins : ilz prennent des raisins de passe : de laquelle on apporte grande quantité et la mettent dedans l’eaue pour destremper & quant elle est bien destrempee ilz l’estraignent et en tirent du just avec lequel ilz consacrent : Quant leurs corps sont mors ilz les ensepvelissent comme nous : et ont ceste coustume que quant aucun meurt plusieurs crestiens se mettent ensemble et mengeussent par l’espace de huyt jours & puis apres ilz prient pour le mort ilz font testament & quant ilz n’en font point leurs biens viennent aux plus prochains les femmes apres que leurs mariz sont mors elles sont payees de leur douaire : & puis s’en partent de la maison de leur mary & l’an passé elles sont en leur faculté d’elles marier ilz ont les .iiii. evangelistes : & .iiii. evangilles de la passion : ilz gardent le karesme et l’advent ilz ne mengeussent point le jour du vendredy sainct ny le samedy sainct ilz ne mengeussent point jusques au jour de pasques ilz preschent la nuyt du vendredy sainct : en l’an ilz ont les festes qui s’ensuyvent : la resurrection avec deux festes ensuyvant : l’octave de pasques en laquelle ilz font plusgrande feste que es toutes autres festes de l’an : ilz dient qu’ilz font cela pource que en iceuluy jour sainct thomas mist la main dedans le costé de nostre seigneur jesucrist et congneut que ce n’estoit point faintise/ la feste de l’assumption La feste de sainct thomas : de la trinité : de l’assumption de la benoiste vierge marie. sa nativité : et sa purification : les festes de la nativité de nostre seigneur : & les trois roys : les festes des apostres : et les dimenches : et font deux festes le premier jour de juillet en honneur de sainct thomas : par ce que les crestiens et aussi les gentilz l’ont en grande reverence : ilz ont des moynes vestus de noir : lesquelz vivent en tresgrande povreté et chasteté Semblablement y a des femmes religieuses : Les prestres vivent en chasteté : et s’ilz sont trouvez en aulcune faulte ilz perdent l’auctorité de dire la messe : les crestiens ne pevent faire divorse tout le peuple se communicque trois fois l’an. Ilz ont docteurs tresexcellans & estudes de livres Ilz ont les livres des prophetes comme nous : ledict prejoseph dict daventage y avoir beaucop de livres de docteurs qui ont escript sur la bible et sur les prophetes. Les crestiens se vestent comme les mores de draps de lin ilz ont l’an divisé en douze moys : ilz font aussi le jour de bisexte : leur jour voirement est divisé en .lx. heures : lesquelles heures de jour au soleil : et la nuyt aux estoilles.

¶ Comment en quelle saison est l’iver en caranganor et la façon de leurs navires.

Chapitre .cxxxiiii.

Ceulx de caranganor dessusdictz sont mis entre le cercle equinoctial & le cercle du cancre : & ainsi que dit prejoseph : le plus grant jour qui soit dedans l’an a treze heures & demye et le plus petit en a .x. il fault entendre de noz heures non pas des leurs : quant le soleil est au signe du taureau : ilz ont l’ombre pendiculaire quant il est au cancre. Il fait l’ombre australle. Et quant il est en la vierge il faict l’ombre pendiculaire mais quant il est en capricorne il faict l’ombre septentrionnalle : Voirement la mocion de temps est depuis la moitié du moys de may jusques a la moytié du moys d’aoust et en celuy temps ilz ne naviguent point celles mers a cause des grandes fortunes : en celles parties d’yndie y a infinies navires : lesquelles naviguent en occident : en perse : arabie : & la mer rouge : en orient en l’yndie. catay : trapobane : faillam : & beaucoup d’autres isles lesquelles navires sont tresgrandes : & aulcunes d’icelles portent .xii. voilles et mariniers infiniz : & aulcuns moins selon leur portee : et en y a d’aucunes qui ont les voilles de nates : telles viennent des isles : & les aultres ont voilles de cothon & de bonnes fustaines comme les nostres les navires sont faictes avec chevilles de fer : je dis cela pource qu’il y a aucuns qui dient qu’elles sont faictes de chevilles de boys : & cela diligemment je l’ay voulu entendre dudict prejoseph : en lui monstrant la façon des nostres navires : et s’en ryoit en disant que les leurs estoyent semblables aux nostres : La poix est faicte d’encens & d’autre misture Ilz souloyent devant qu’ilz missent leurs navires dedans l’eaue mettre deux elephans ung chascun costé pour la tirer dedans l’eaue/ mais pource que aucuneffois lesdictz elefans estoient cause de la mort de plusieurs hommes : ilz n’en usent plus : mais ilz font venir ung grant nombre de gens. lesquelz les mettent en l’eaue : ilz ont des bombardes : une sorte est de fer : et l’autre de boys pour mettre le feu/ mais elles ne sont pas comme les nostres : et n’ont point telle puissance.

¶ De leurs monnoyes & les choses qui la croissent en habondance.

Chapitre .cxxxv.

Il y a trois sortes de leurs monnoyes : l’une ilz l’appellent saraphe d’or : laquelle est du poix de nostre ducat l’autre est d’argent laquelle ilz appellent parant : laquelle vault six solz la tierce ilz l’appellent tarc. & trois d’icelle vallent ung solz Toutes cestes monnoyes ont lettres escriptes de leur roy : es parties dessusdictes ne se trouve or ne metal : mais se trouve dedans certaines montaignes prochaines de par l’espace de .l. a .lx. lieues. La province ou est assise caranganor est toute pleine : et a les montaignes loing/ .lxxxvi. et l’air est chault : et tous sont grisastres : ilz ne sont ne blancz ne noirs Ceulx qui sont aux montaignes sont blancz & vivent par longue espace de temps ainsi que dit prejoseph : ce sont hommes qui ont cent ans lesquelz ont encores toutes leurs dens : La terre de caranganor est tresfertille excepté qu’elle ne porte point de froment ne chevaulx le froment vient d’aucunes isles de la voisines : et la region de Calichut et de gambaye sont semblables a ceste cy : & cela procede pource que ce sont lieux areneux Les chevaulx viennent de ormus & de leurs montaignes ilz n’en font riens : sinon de leur faire porter les marchandises de lieu en lieu & ne combatent sur eulx mais combatent a pied : leurs armes sont arcs : flesches : espees & targues en maniere de rodelles Ilz ont des lances et sont grans joueurs d’espee : il y en a d’aucuns qui ont des armeures de certaine peau de poisson : laquelle ilz mettent sur eulx & est tresdure : et aucuns en ont de fer ilz ont beaucoup de sortes de bestes comme beufz : vaches : moutons : boufles : brebis : et d’aultres beaucoup de sortes : desquelles bestes ilz mengeussent pour leur vivre : fors des beufz lesquelz les gentilz adorent ilz ont des elefans en grant habondance : ilz ont des bestes menues comme sont gelines et oyes en grande quantité : ilz n’ont point de porcz & pour vouloir particulierement entendre la valeur d’aucunes choses il fut monstré audict prejoseph les gelines et ung ducat : il respondit qu’on avoit cent gelines pour ung ducat.

¶ Pain de ris & de palme qui portent les noix d’indie.

Chapitre .cxxxvi.

Ceste province porte une tresgrande quantité de ris : et semblablement de sucres lequel ris est brayé avec sucre et huille & de ris ilz font ung tresbon pain et le mengeussent Ilz ont aussi .xx. sortes d’herbes : lesquelles sont toutes nutritives desquelles ilz s’en repaissent et mesmement d’aucunes racines d’herbes ilz n’ont point de romarin ny du buys : ny pesches ny pommes ny vignes. On a monstré audit prejoseph toutes ces choses lequel a dit qu’en son pays n’y a point de telles sortes d’arbres : mais qu’il y en y a d’autres infiniz et mesmement des figuiers desquelz ilz ont grande quantité et font plus grandes figues que les nostres en sorte que qui l’escriproit seroit chose plus incredible que autrement. Ilz ont ung autre arbre qu’ilz appellent palme lequel ainsi comme noz noyers portent les noix ainsi ledict palme porte les noix d’indye : et comme nous avons entendu dudict prejoseph se tire quattre choses : c’estassavoir vin : vinaigre : succre : & aussi huile : & pource qu’il sembleroit a plusieurs choses nouvelles que de ung arbre yssist tant de choses : je ne veulx pas laisser en derriere d’escripre en ce chapitre ce que escript Strabo en son livre .xvi. quant il parle de la palme : et ce qu’il en dit et conferme au dire dudict prejoseph En ce chapitre subsequent se declairera la maniere qu’ilz servent en faisant les choses dessusdictes C’estassavoir faire de ladicte palme vin : vinaigre : sucre : et huille.

¶ Comment de la palme se fait vin/ vinaigre sucre & huile.

Chapitre .cxxxvii.

Pour faire les quatre choses dessusdictes la maniere est telle Ledit prejoseph dit que au moys d’aoust les gens des vilages taillent les branches desdictes palmes comme on faict a nous quant on taille les vignes et se juge que audit moys quant a eulx soit le temps nouveau : auquel les arbres vont en amour et boutent comme font a nous les vignes : lesquelles branches apres qu’elles sont taillees elles gettent certaine eaue blanche : et pour la recepvoir ilz mettent certains vaisseaulx soubz lesdictes branches : et celle eaue ilz la recueillent les trois premiers jours : et qui boit de ladicte eaue cueillie dedans lesdictz trois jours on en boit comme de vin apres que les trois jours sont passez elle se convertist en vin aigre Pour vouloir voirement faire le sucre ou du miel ou vin cuyt a nostre mode : ilz prennent icelle eaue des trois premiers jours et la mettent sus le feu dedans aucuns vaisseaulx : & pour la force du feu l’eaue se reduist en petite quantité et se convertist en doulceur Et apres cela ilz meslent l’eaue coulee & l’autre eaue ensemble & puis la coulent & de cela ilz usent en lieu de vin lequel par ce qu’ilz dient en est toute perfection du fruit de l’arbre qui est la noix ilz en font l’uille et du boys ilz en font des charbons et de l’escorce des cordes & ainsi particulierement sont declairees les choses en concluant que s’est la plusparfaicte arbre qui s’en trouve de nostre congnoissance. En celles parties croist grant quantité de poivre. Lequel des ce qu’il est faict pour la grant chaleur du solleil il se seiche et les arbres esquelz il croist sont de moyenne qualité et audict royaulme de caranganor il y en croist plus qu’en toutes les parties de l’indie semblablement il y croist du gingembre/ mirabolans casse/ et aultres espiceries/ lesquelles sont acheptees & marchandees par les mores qui practiquent en icelle region et icelles espiceries ilz les conduisent au caire & en alexandrie/ et damas & en perse Et ainsi que dit ledict prejoseph il en va plusgrande quantité a la volte des montaignes et a la volte du catay qu’il ne faict en noz quartiers comme cy dessoubz nous dirons Puis que nous avons dit de la cité de caranganor des coustumes : des regions : et leurs façons et aussi la fertillité de la terre Ores maintenant retournerons a la cité de calichut.

.lxxxvii.

¶ De calichut du roy avec ses coustumes et marchandises.

Chapitre .cxxxviii.

La cité de calichut est assise vers occident loing de caranganor de .cxviii. lieues sus le bort de la mer aimee cité et y a ung port de mer tresparfait laquelle cité est plusgrande que celle de caranganor & le seigneur d’icelle est ydolatre de la secte de celuy de caranganor non different d’aucune chose de coustumes tant en religion comme es autres choses duquel calichut pource que cy dessus en avons assez parlé diffusement nous en parlerons en ce chapitre bien amplement/ en ceste cité y pratiquent infiniz marchans mores : lesquelz y conduisent coral camelot tapiz & autres marchandises il y a aussi aucuns bons marchans qui s’appellent guzerates lesquelz aussi font diverses marchandises en laquelle cité quasi toute l’yndie y court : & encores c’estoit plus grande chose d’elle quant ceulx du catay y souloyent pratiquer & le peuple d’iceluy catay sont crestiens & sont blancz comme nous & vaillans hommes lesquelz tenoient ung fondic en calichut & peult estre .iiiixx. ou .iiiixx. dix ans qu’ilz souloyent praticquer audict calichut mais pource qu’il leur fut fait ung grant oultrage a cause dequoy ilz s’en allerent & firent grande armee & vindrent a la cité de calichut laquelle ilz destruyrent & despuis ce temps la jusques a present ne sont plus venus pour marchander oudict calichut mais sont allez a une cité d’ung roy narsidus : lequel s’appelle maila vers orient a la voye du fleuve indie environ .ccxx. lieues : ces peuples sont appellez malasines ilz portent diverses marchandises draps de soye de cinq sortes : lames d’arain plomb estain porcelant musc & ceulx cy sont ceulx qui levent le coral et emportent bonne quantité d’espicerie : on dit que depuis calichut jusques a ceste region y a mil .ccccc. lieues : ilz portent sur leur teste des joyaulx de grant valeur & sont riches marchans Tournons a calichut le roy de ladicte cité s’appelle baufer et a ung grant palays ouquel il tient garde de sa personne de sept mil hommes La nuyt il fait aller les hommes entour les maisons pource que la cité n’est point muree : et a telle garde y a .ccc. hommes deputez Davantage y a ung palays tresgrant auquel y a .iiii. audiences separees : l’une est pour les gentilz l’autre pour les mores pour les juifz et l’autre pour les crestiens et quant il advient que aulcun desdictes quatre nacions veult avoir audience : il s’en va en son lieu deputé : et la du roy sont ouyz/ mais premierement ilz sont obligez d’eulx laver aultrement le roy a eulx ne parleroit. D’avantaige les gentilz ont une coustume que quant ilz entrent en la mer : ilz ne mengeroient pour quelque chose que ce soit/ car par ce que en mengeant ilz seroyent privez de non veoir plus leur roy/ et si ne laisserons a dire ce que nous avons escript que les femmes apres la mort de leurs mariz elles ont coustumes de se brusler toutes vives/ et pource qu’il pourroit estre que aucun de ce s’en esmerveilloit ce n’est pas chose merveilleuse pource que les indiens ont eu tousjours ceste consideration non pas seullement les femmes/ mais aussi les hommes : et leur semble que de mourir en ceste sorte ilz acquierent une immortalité comme dit strabo au .xv. livre auquel il a parlé des ambassadeurs de indie envoyés de porus roy de ladicte indie a cesar auguste : davantage en ladicte cité de calichut il se fait grans faitz de marchandises comme dessus est dit et a certains temps de l’an y a aulcunes foires : esquelles y vont tout le peuple de indie & perse : & sorie : je demanday audict prejoseph si en ce lieu la est point faicte mencion de nostre pays : il respondit que la ne se fait point mencion sinon de romme France & venise : et est faicte grande estime des monnoyes de venise : lequel prejoseph fut envoyé querir de la seigneurie de venise/ & il monstra aulcuns ducatz du doze de casten qu’il avoit apportez de celuy pays.

¶ Du royaulme de gambaye ormus/ et guzerat.

Chapitre .cxxxix.

Puis que nous avons parlé de calichut/ nous yrons vers le royaulme de gambaye : lequel est loingtain de calichut de quatre lieues : tousjours vers occident et jusques a l’isle de ormus y a .lx. lieues laquelle est assise au commencement du sein de la mer de perse et loingtaine de la terre ferme quatre lieues : et la s’appelle le chef de mogolistan qui est le commencement du goulfe. Ceste isle a de tour .clii. lieues. Le seigneur d’icelle est macommetain : et y a dedans une tresgrant cité et est bien peuplee : & produict infinies choses et marchandises En ce lieu la se font les verres comme ceulx de deça : & la on achepte les perles : dedans icelle y naissent des chevaulx en grande quantité Lesquelz sont menez par l’yndie pour porter les marchandises. Depuis cestuy chef de mogolistan lequel est au meillieu de ladicte isle de ormus/ vers la cité de combaye on trouve beaucop de villes habitees de mores La premiere s’appelle Sobilech. La seconde semanahr. la .iii. chesmur. Puis dedans la terre de la cité de guzerat en apres sur la rive de la mer est assise combaye : laquelle peult estre loingtaine dudict chef de mogolistan comme nous avons dit de .lxx. lieues : ceste cité de combaye est moult engoulfee et le goulfe sus quel est assis la cité s’apelle le goulfe de guzerat : et la province a present s’appelle Guzerat mais anciennement s’appelloit bedrosie : & pource qu’en ce lieu la nous .lxxxviii. avons faict mention de guzerat nous declarerons sa condition. Ceste province a plusieurs citez et chasteaulx Ce sont peuples trespuissans tresgrans marchans ilz sont ydolatres : ilz adorent le soleil la lune les vaches : & si aucun tuoit une vache ilz le tueroyent : ilz ne mengeussent d’aucune chose qui reçoive mort : ilz ne boyvent point de vin : les hommes sont plus blancz que les naturelz de calichut : ce sont les plus grans enchanteurs du monde ilz portent les cheveulx moult longs & la barbe : et enveloppent leurs cheveulx comme font les femmes : ilz prennent seullement une femme elles sont moult chastes : leur vivre est de legumes & herbes que produit la terre selon l’opinion de pithagoras Nous avons dit des guzerates : a ceste heure dirons de la cité de gambaye.

¶ De la situation de gambaye et aultres lieux & aussi du roy et des espiceries.

Chapitre .cxl.

La cité de gambaye est mise au goulfe de guzerat : laquelle est tresgrande et tres peuplee : et selon la vulgaire opinion c’est la plus noble cité qui soit en toute l’indye Laquelle ilz l’appellent le caire de l’indie elle est muree et y a dedans de tresdignes habitations Anciennement le seigneur souloit estre gentil et ydolatre Au present elle est macommetaine : la cause est que pource que le nombre des macommetains est plus augmenté que n’est celuy des gentilz Les macommetains leur ont prins l’empire de ladicte province : laquelle est quasi toute plaine de gentilz et semblablement la ville En ce lieu la y croist la lacque & l’encens en plus grant habondance qu’en toutes les autres parties du monde et sont tresgrans marchans et ont beaucoup de navires avec lesquelles ilz naviguent en ethiope en la mer rouge ou sein de perse et indie en ceste cité de gambaye jusques au chef du goulfe : lequel s’appelle dirugul : y a .lx. lieues : en ce goulfe se trouve beaucop de citez qui seroit chose longue a les narrer. dessus cedict goulfe de dirugul se trouve une isle appellee maya & est le chef de dirugul suivant vers orient on trouve ung chef nommé ely : distans l’ung de l’autre .l. lieues & de calichut jusques a ce dernier chef y a plus de .cl. lieues.

¶ Du roy narsundus et d’une eglise de sainct thomas.

Chapitre .cxli.

Nous avons declairé jusques a icy tout le pays qui se trouve en la marine En commençant de Ormus jusques a caranganor Et au royaulme de cuchin. A ceste heure nous dirons des parties dedans la terre qui se trouvent vers les Montaignes qui sont loingtaines de la marine environ de .lxxii. lieues : et y a ung roy trespuissant lequel s’appelle le roy narsundus : & a une tresgrande cité avec trois sainctures de muraille : laquelle s’appelle benesegale. Cestuy ainsi que dit ledict prejoseph dit avoir veu avec ses yeulx quant il va avec son ost contre ses ennemis il meine avec luy huit cens elefans chevaulx .iiii. mille : et une infinie multitude de gens a pied & dit que son camp par ostro et transmontane tenoit six lieues et demye & par ponent et levant autre tant parquoy se peult conjecturer son royaume estre grant : & ainsi que dit prejoseph il a de circuit .cccccccl. lieues (sa foy est ydolatre) Or a ceste heure tournons aux parties voisines de la mer Et premierement commençons a cuchin vers l’orient de l’indye En partant de cuchin pour aller vers orient .xxiiii. lieues on trouve ung chef qui s’appelle cumary de ce chef cumary jusques au fleuve inde y a .cxx. lieues et entre ledict cumary & ledict fleuve se trouve ung goulfe tresgrant lequel s’apelle le goulfe de orize : & a une cité tresgrande nommee orize et aupres d’icelle passe le fleuve Inde Et en ce propre goulfe est assise une cité sur une pointe qui est en la mer laquelle s’appelle millapar dedans laquelle est une eglise de sainct thomas grande comme celle de sainct jehan et paule de venise : en laquelle est le corps de sainct thomas lequel faict beaucoup de miracles : les crestiens/ et les gentilz l’ont en une tresgrande reverence D’avantaige on trouve en ceste mer D’indye beaucoup d’isles/ entre lesquelles y en y a deux dignes de memoire La premiere est saillan distante du chief cumary .xlviii. lieues en laquelle naissent les chevaulx depuis cestedicte ysle vers orient est l’isle de samotre ou voirement Trapobane : laquelle est distante de calichut de trois moys en y allant par journees : puis apres plus en la se trouve le catay & autres regions desquelles n’escriprons autre chose pource que n’avons peu plus sçavoir dudict prejoseph beaucoup de choses se pourroient dire comme des espiceries & d’autres marchandises pertinentes a l’indye et aux regions qu’avons cy dessus escriptes en ce present nostre livre : mais pour non estre choses pertinentes : mais non necessaires de la narracion faicte par ledict prejoseph et aussi pour non y vouloir joindre aultre chose que la pure verité Nous avons voulu mettre fin a la presente matiere.

¶ Cy finist le livre intitulé le nouveau monde & navigacions de almeric de vespuce : des navigations faictes par le roy de portugal es pays des mores et autres regions et divers pays. Imprimé nouvellement a paris.

NOTES DU TRANSCRIPTEUR

La première édition en français des « Paesi novamente retrovati et Novo Mondo da Alberico Vesputio… » (1507) parut chez Galliot du Pré vers 1517. L’ouvrage parut ensuite en la rue neuve Notre Dame chez Jean Jehannot et ses successeurs et eut de nombreuses rééditions, dont celle que nous transcrivons, estimée dater vers 1523-1525.

L’orthographe et l’usage des majuscules est conforme à l’original. On a résolu les abréviations par signes conventionnels (de type Cõe pour Comme), ajouté accents, cédilles et apostrophes, et distingué entre i/j, u/v. La ponctuation a été régularisée autour des nombres en chiffres romains, dans la table des matières et les titres de chapitres. On a ajouté un point en fin de paragraphe.

Le processus de traduction et d’impression semble avoir impliqué le passage par une écriture manuscrite difficilement déchiffrable, puisque les lettres de forme semblables (particulièrement u et n) sont très fréquemment interverties dans les noms propres et les termes de métier. On a restitué les formes de l’édition italienne de Vicence, 1507, pour les termes suivants :

Original Corrigé Italien
Areschorca Areschorea Areschorea
Batimanssa Batimaussa Batimaussa
beugin bengin benzui
bouace bonace bonaza
caranane caravane carauana
Casamausa Casamansa Casamansa
caure canoe canea (singulier), canoe (pluriel)
fanos favos fauos
Orinus Ormus Ormus
pouent ponent ponente

On a en outre ajouté quelques mots manquant entre crochets, et corrigé quelques erreurs manifestement imputables au typographe, en vérifiant sur le texte italien dans les cas douteux. Ces corrections sont indiquées en pointillés. Faites passer le pointeur sur le passage pour voir le texte avant correction.