Title: Aphrodisiaque externe, ou Traité du fouet et de ses effets sur le physique de l'amour
Ouvrage médico-philosophique, suivi d'une dissertation sur tous les moyens capables d'exciter aux plaisirs de l'amour
Author: Amédée Doppet
Release date: November 16, 2025 [eBook #77249]
Language: French
Original publication: Geneva: (unknown), 1788
Credits: René Galluvot, from page images generously made available by Münchener DigitalisierungsZentrum, Bayerische Staatsbibliothek (www.digitale-sammlungen.de)

Ouvrage médico-philosophique, suivi d’une dissertation sur tous les moyens capables d’exciter aux plaisirs de l’amour.
Par D***** médecin.
Delicias pariunt veneri crudelia flagra ;Dum nocet, illa juvat, dum juvat, ecce nocet.Meibomius, de flagrorum usu in re veneria.
1788.
J’ai longtems balancé avant que de me déterminer à publier cet ouvrage ; mais quelque singulier[1] qu’il paroisse à beaucoup de personnes, j’ai jugé qu’il feroit toujours plus de bien que de mal, & qu’on me pardonneroit de m’y être quelquefois servi d’expressions un peu libres en faveur des vérités importantes que j’ose annoncer.
[1] Singulier… Mes censeurs ne se serviront pas de ce terme pour désigner mon livre ; les prudes diront, quelle horreur ! les dévots crieront à l’impiété… la populace de règ.. de pr. de mo. fera grand bacanal… enfin, que sais-je, chacun déraisonnera de son côté ; il n’y aura que quelques gens raisonnables qui diront que j’ai raison, encore n’oseront-ils pas le dire tout haut.
Quoique persuadé de l’utilité de mes réflexions, j’ai cependant cru devoir garder l’anonime. Je n’ignore pas qu’il y a des erreurs qu’il est très-dangereux de combattre, & qu’il ne seroit pas toujours prudent d’attaquer tous ceux qui s’y livrent. Si mon ouvrage est condamné, je m’en consolerai d’autant plus facilement que je n’ai eu, en l’écrivant, que l’intention d’être utile : mais si je voyois une cabale injuste & puissante, ne pas se contenter d’en faire griller les exemplaires, & poursuivre quelque innocent écrivain ; j’atteste que je ne balancerois pas de me nommer. Je le répete, ce n’est pas à dessein qu’on persécute quelqu’un à ma place que je tais mon nom.
La matiere que je traite n’est pas entierement neuve ; J. Henri Meibomius[2] nous a laissé un traité intitulé de flagrorum usu in re veneria : mais ce traité est peu connu, & l’auteur n’y est pas entré dans tous les détails qui ont rapport à cet objet ; il a seulement voulu rendre raison de l’effet que le fouet peut produire sur le physique de l’amour. J’ai consulté cet écrivain sans le suivre, & j’ai joint de nouvelles réflexions à celles de ce savant médecin.
[2] Il y a eu trois auteurs qui ont porté le nom de Meibomius. L’auteur de la dissertation que je viens de citer, fut professeur en médecine à Helmstadt, ensuite premier médecin de Lubek ; il a publié plusieurs autres ouvrages, & vivoit dans le commencement du siecle dernier.
Pour mettre de l’ordre dans la variété des objets que je vais présenter, il est indispensable de diviser mon ouvrage en différens chapitres ; mais je préviens le lecteur qu’il ne devra me juger qu’après avoir parcouru tout le livre ; en ne lisant qu’un chapitre isolé, l’auteur ne seroit à ses yeux qu’un écrivain scandaleux. Que l’on parcoure le tout, on verra si j’ai eu tort d’avancer que je n’ai d’autre but que celui d’être utile.
Je parlerai dans le premier chapitre, de l’effet des flagellations sur le physique de l’amour.
On expliquera, dans le second, pourquoi & comment le fouet produit cet effet.
Le troisieme démontrera de singulieres erreurs.
On trouvera dans le quatrieme chapitre, des raisons bien puissantes pour changer les peines qu’on inflige à l’enfance & à la jeunesse.
La conclusion sera enfin, le résumé de tout ce qu’on aura dit, pour en faire ensuite une juste application ; & j’y prouverai comment des abus qui ne paroissent rien en eux-mêmes, influent sur la santé & les bonnes-mœurs.
Mais, dira-t-on, comment un médecin a-t-il pu s’occuper d’un ouvrage de cette nature ?… Eh ! qui voudroit-on qui s’élevât contre des erreurs préjudiciables à la santé ! De qui le Public est-il en droit d’attendre des notions sur ce qui peut lui nuire, si ce n’est d’un médecin ?
On me reprochera sans doute, d’avoir écrit mes réflexions en langue vulgaire… Y auroit-il, par hazard, des mots qui deviennent obscènes dès qu’on les prononce en françois ? Si cela étoit, il faudroit renoncer à ce langage, qui sera bientôt celui du monde entier, & même le défendre, puisqu’il ne peut dire le nom de certaines choses sans allarmer la pudeur. Pauvres esprits que nous sommes ! où plaçons-nous la délicatesse ? & pourquoi faut-il qu’un médecin soit forcé de faire tant de questions, pour demander à une prude si elle est bien ou mal réglée ? Quelques ecclésiastiques ne sont pas si scrupuleux, lorsqu’ils ont une jeune fille à leur confessionnal, ils parlent de tout… ils interrogent sur tout… on répond à tout… c’est presque le seul endroit où la langue ne soit jamais obscene.
Je pense que chaque chose doit porter son nom, que l’on peut & que l’on doit le proférer sans faire rougir personne. J’ai vu dans une de nos grandes villes, des imbécilles qui avoient sait une société de savantes[3] ; elles commencerent entre elles un cours d’anatomie ; lorsque le démonstrateur en vint aux parties de la génération, elles planterent là la leçon, & s’enfuirent en se couvrant le visage ; ces dames trouverent très-indécent qu’il fût question de ces bêtises dans des démonstrations anatomiques. Je dispense les êtres de cette nature de porter leurs chastes regards sur mon ouvrage.
[3] Il en est, par fois, des sciences comme des habits, elles sont aussi sujettes à la mode. Tantôt nos élégantes Parisiennes sont chimistes, tantôt botanistes ; l’invention des globes les avoit même rendues physiciennes, astrologues, mathématiciennes ; elles sont toujours tout, hormis ce qu’elles devroient être.
L’amour étant nécessaire pour la propagation de l’espece, il falloit que cette passion fût profondément enracinée dans le cœur de l’homme, que la nature nous en fît un besoin, & qu’elle y attachât la plus grande jouissance. Les plaisirs que procure l’amour sont les plus vif que l’on puisse goûter, aussi leur donne-t-on le nom de volupté ; il est impossible de les avoir connus sans les rechercher de nouveau, & l’on en jouit aujourd’hui sans préjudice pour les désirs du lendemain. Cependant, quelque nécessaire que soit le sentiment de l’amour, il ne peut & ne doit faire notre bonheur qu’en s’y livrant avec modération ; car tout ce qu’on donne au corps au-delà de ses besoins l’affoiblit, & l’on trouve toutes sortes de maux dans le sein même de la volupté.
On est plus ou moins emporté par la violence de cette passion, suivant sa bonne ou mauvaise constitution ; ceux qui sont d’un tempérament sanguin ont les passions plus vives que les pituiteux. Le docteur Venette parle de la femme d’un Catalan, qui un jour fut obligée de s’aller jetter aux pieds du roi, pour implorer son secours sur l’excessive vigueur de son mari, qui, à ce qu’elle dit, lui ôteroit bientôt la vie, si l’on n’y mettoit ordre. Le roi fit venir ce mari pour savoir la vérité ; il avoua avec franchise, que chaque nuit étoit marquée par dix triomphes ; sur quoi le roi lui défendit par arrêt, sur peine de la vie, de s’abandonner plus de six fois à la violence de ses transports, de peur que par l’excès de ses embrassemens, il n’accablât son épouse. Cet arrêt est fort singulier, mais il faut avouer qu’il est bien rare que les souverains soient dans le cas d’en porter de semblables.
Quel que soit le tempérament qu’on ait reçu de la nature, on ne sauroit être homme longtems, si l’on céde de bonne heure à l’empire de ses passions ; c’est par cette raison que nos débauchés de Paris sont vieux à trente ans & décrépits à quarante. Lorsqu’on a abusé de son existence, si les désirs s’étoient anéantis comme les forces, ce ne seroit alors qu’un demi-mal ; mais les êtres exténués ne sont que plus avides de ces plaisirs qu’une femme peut leur permettre, sans qu’il soit pourtant en son pouvoir de les leur faire goûter ; l’impuissance irrite alors les désirs, & l’on ne se lasse pas d’importuner la nature.
L’acte vénérien, quoiqu’en lui-même salutaire[4], devient le principe de mille maux, par l’abus que quelques femmes en font ; ensorte que la source des plaisirs & de la vie se change souvent en une source de douleurs. Loin d’attendre que le physique parle, on se hâte de l’exciter ; & quels sont les moyens dont le libertinage ne se sert pas dans ce cas ! On a d’abord cherché dans les aliments ceux qui seroient les plus échauffants de leur nature ; on a ouvert les pharmacopées pour faire usage des cordiaux, des irritants & des aphrodisiaques ; quelques médecins ont eu même assez peu de délicatesse, pour donner des conseils dans de semblables occasions[5].
[4] Il n’y a que l’abus des plaisirs de l’amour qui puisse nuire ; car le célibat comporte souvent avec lui des inconvéniens qui ne le cédent en rien à ceux qui résultent d’avoir trop sacrifié à Vénus.
[5] Un médecin ne doit pas toujours garder le silence sur cette matiere ; lorsqu’il arrive, par exemple, que la froideur conjugale cause des désordres dans le ménage, je pense qu’il peut employer quelques secours pour y maintenir l’union & la paix.
Les femmes n’ont rien oublié de leur côté pour s’attirer des hommages ; elles ont embelli tout ce qui peut décemment se montrer, & se sont vêtues de telle maniere, que ce qui se voit suffit pour donner une idée des charmes cachés. Cela suffiroit sans doute ; mais l’art de la volupté devoit pousser ses recherches plus loin.
Vénus eut bientôt des prêtresses qui se dévouerent entierement à l’amour ; la délicatesse fut bannie des temples que vint élever le plaisir ; & tout le culte s’y réduisoit à chercher des ressources pour faire renaître le moment de la jouissance. Nos couvents de courtisannes sont les restes de ces monumens antiques, mais ils n’en sont pas moins courus, ni moins élégants. Ce n’est que là que le vieux financier peut, à force d’or, se rappeller, par intervalle, de son antique existence : l’époux, que glace la décence & la monotonie de sa femme, vient y chercher des plaisirs qu’il n’ose exiger que là : le célibataire, qui a des raisons pour qu’on le croie tel, se glisse en secret dans les temples de ce genre, il y trouve les moyens de se débarrasser de son superflu[6], & de se parer en Public de tous les dehors de la chasteté & de l’abstinence.
[6] Les plaisirs de l’amour sont un besoin pour les deux sexes. Cela étant, comment ose-t-on faire vœu de célibat, ou plutôt, comment permet-on à quelqu’un de le faire ? L’exemple journalier ne prouve-t-il pas que ces malheureux manqueront de parole ? quand ils sont pris sur le fait, ils croient s’excuser en disant qu’ils sont hommes & faits de chair & d’os comme nous ; cela ne prouve rien, sinon qu’ils ont tort de ne violer le vœu qu’en secret. Que ces célibataires élevent une voix commune contre un état qui n’est pas dans la nature ! Qu’ils rompent d’accord entre eux & la raison, ce lien qui les rend à charge à la société ! alors il leur sera permis de connoître tous les charmes attachés à l’existence de l’homme ; & les ménages de leurs voisins seront en même tems plus tranquilles.
Les filles de joie sont-elles un mal nécessaire ? doit-on le tolérer, ou l’empêcher ? Ce n’est pas ici le lieu d’agiter cette question, qu’il me soit seulement permis de dire qu’il y a beaucoup d’hommes qui en ont besoin.
Comme les temples de Vénus ne peuvent se soutenir que par les plaisirs qu’on y trouve, il a fallu que les prêtresses de cette divinité portassent toute leur attention de ce côté ; il est enfin nécessaire que la volupté soit leur unique étude… parures riches & légeres… vêtemens dégagés & ambrés… sourire engageant… démarche voluptueuse… appartemens élégans… tableaux lascifs… bibliotheque choisie… &c. &c. rien de ce qui peut tenter n’est oublié ; les courtisannes ont mille manieres d’exciter l’acte toujours désiré. Cependant, à force d’user de ces moyens sans cesse répétés sur un même individu, la nature refuse enfin de se prêter aux efforts ordinaires ; on est forcé d’en employer de nouveaux. L’aspect d’une belle gorge, d’une jolie jambe, de quelque chose de plus encore, étant inutile ; une main gentille, adroite, & légere n’ayant plus aucun pouvoir sur…
on a tenté des épreuves extraordinaires ; &, comme j’ai dit que la délicatesse a été bannie de ces endroits, on n’a pas eu de violence à se faire pour se déterminer à les proposer & à s’y soumettre.
C’est dans les tourmens qu’on a cherché des ressorts pour procurer les plaisirs de l’amour. On se sert des flagellations, afin d’opérer ce que peut seul l’aspect d’une belle femme sur un homme bien constitué. Ce moyen n’est point une invention moderne, & ne prouve pas (comme le pensent quelques admirateurs de l’antiquité) que les mœurs sont plus dépravées que dans les siecles passés.
L’amour, qui fut de tout tems l’excitatif de tous les êtres, eut toujours ses vertus & ses vices. Si cette passion[7] n’est pas aussi ancienne que le monde, elle a au moins, quelques jours de plus que la découverte du péché originel. Les brosses à frictions, les verges, les martinets, dont se servoient jadis les prostituées de Babylone, de Tyr, d’Athenes, & de l’ancienne Rome, n’étoient peut-être pas aussi élégantes que le sont maintenant ceux de nos filles de Paris, de Londres, de Naples, & de Venise. Mais on s’en servoit pour le même usage, & le libertinage étoit alors au même point.
[7] Il n’est pas possible qu’on ait, de tout tems, regardé l’amour comme une passion criminelle en elle-même. Je suis même sûr que les sauvages ne croient faire aucun mal en s’y livrant : hélas ! ces ignorans n’ont encore aucune notion d’une certaine théologie qui existe.
Nous lisons, dans des auteurs très-anciens, les histoires de plusieurs hommes qui ne pouvoient se rendre propres au coït qu’après avoir été battus de verges, & même jusqu’à effusion de sang. Voici ce qu’écrivit, il y a plus de deux siecles, Jean Pic, prince de la Mirandole[8], au sujet d’une personne qu’il connoissoit très-particulierement. « Il existe, dit-il, un homme d’une paillardise tellement désordonnée, qu’il ne peut se livrer à l’acte vénérien qu’après avoir été bien flagellé ; ce qu’il y a de singulier, c’est que le cruel préliminaire dont il ne pourroit se passer, ne le rend pas moins avide des plaisirs de l’amour. Lorsqu’il se rend chez une fille de joie, il lui remet un fouet qu’il a tenu pendant vingt-quatre heures dans le vinaigre pour l’endurcir par le moyen de cette infusion. La premiere faveur qu’il lui demande, est qu’elle veuille bien ne pas le ménager. La femme frappe, le sang coule, & la victime s’enflamme : ce misérable passe au même instant de la douleur à la volupté. Se peut-il, ajoute le même écrivain, qu’un homme recherche & trouve les plaisirs de l’amour dans les flagellations les plus cruelles ? »
[8] Jean Pic vivoit dans le quatorzieme siecle ; ce prince renonça à sa principauté pour se livrer entierement à l’étude. On prétend qu’il savoit vingt-deux langues à l’âge de dix-huit ans ; il proposa à vingt-trois de soutenir des thèses sur tous les objets des sciences, sans en excepter une seule. On a de lui plusieurs ouvrages écrits avec élégance & facilité. Il mourut à Florence en 1494, âgé de trente-deux ans.
Thomas Campanella[9] nous a laissé dans un de ses écrits, des observations de ce genre. Cælius Rhodiginus fait aussi mention d’un fait semblable : « il est mort, dit-il, depuis quelques années, un homme qui avoit une singuliere passion : son physique étoit tellement détruit, qu’il ne pouvoit y rappeller les feux de l’amour, qu’après avoir été bien fustigé. Lorsqu’il étoit auprès d’une femme, on ne savoit s’il désiroit le fouet ou le coït ; car la premiere faveur qu’il demandoit, ou plutôt la seule grace qu’il imploroit, étoit qu’elle voulût bien le battre de verges ; & ce n’est que dans le supplice que ses sens émus pouvoient se livrer, & connoître les plaisirs de Vénus. »
[9] Les infortunes de Thomas Campanella prouvent que les gens d’église sont ordinairement de cruels ennemis : lorsque ces Basiles en veulent à un homme de lettres, ils le persécutent, calomnient sur son compte, l’accusent, le perdent ou le font assassiner. Campanella étoit dominicain ; encore jeune, il osa dans une dispute publique convaincre d’ignorance un vieux professeur de son ordre ; ce dernier ne tarda pas de l’en punir ; il l’accusa d’avoir voulu livrer la ville de Naples aux ennemis de l’Etat, &, ce qui n’est pas moins grave, d’être un hérétique. La calomnie réussit à merveille, car Campanella fut traîné dans une prison où il resta vingt-sept ans : on dit qu’il y essuya, jusqu’à sept fois, la question pendant quarante heures de suite. Il fut enfin libre, & vint à Paris, où il fut protégé par le cardinal de Richelieu.
On lit de semblables histoires dans les plus anciens ouvrages de médecine, de même que dans les livres de droit. André Tiraqueau[10] en cite dans son traité des loix du mariage[11].
[10] André Tiraqueau étoit conseiller au parlement de Paris ; François premier & Henri deux se servirent de lui dans plusieurs affaires très-intéressantes. Ses occupations ne l’empêcherent point de donner au Public un grand nombre de savans ouvrages. Il eut près de trente enfans ; l’on disoit de lui qu’il donnoit tous les ans à l’état, un enfant & un livre.
[11] Si je m’étends un peu dans mes citations, c’est pour prouver que je ne suis pas le premier qui ait osé parler de l’effet que le fouet produit sur le physique de l’amour : on voit par là qu’un écrivain peut traiter cette matiere sans être ni grossier, ni scandaleux.
Sans chercher de tels exemples chez les anciens, nous en trouvons suffisamment parmi nous. Il y a quelques années qu’une femme fut accusée d’adultere par son mari ; les témoins déposerent ; le fait fut prouvé[12] ; & la coupable alloit être condamnée, lorsqu’elle trouva les moyens de se justifier, en disant qu’on devoit légalement lui pardonner ses foiblesses, puisqu’elle avoit pour époux un malheureux qui ne pouvoit payer les tributs de l’hymen, que lorsqu’elle avoit consenti à lui donner le fouet jusqu’au sang. Elle ajouta que, si cette manœuvre odieuse échauffoit son mari, elle ne servoit de son côté qu’à lui faire détester les embrassements qui en étoient la suite, & qu’il n’étoit pas surprenant qu’elle eût succombé à la tentation.
[12] L’adultere fut jadis un crime qu’on punissoit de la mort la plus cruelle. Les loix sont toujours fortes dans ce cas : mais ces procès ne vont pas si vite aujourd’hui ; le mari accuse sa femme, qui se défend en badinant sur la chose ; les Scribes, les Clercs, les Procureurs, les Greffiers, les Avocats, les Rapporteurs, les petits Juges, les grands Juges, &c. tout le monde en rit. La fin de tout cela est, qu’après l’arrêt la femme est souvent innocente, tandis que le mari est toujours cocu.
Promenons-nous un instant dans ces maisons où se vend le plaisir ; c’est là que nous serons convaincus qu’il y a beaucoup d’hommes qui ont recours aux flagellations pour se disposer à livrer bataille à l’amour. Entrons dans les temples de Vénus, nous verrons des lambeaux de verges encore épars à l’entour de l’autel des sacrifices. Interrogez la déesse à ce sujet, elle aura bientôt satisfait votre curiosité ; elle vous montrera d’abord une petite poignée de verges qui est toujours attachée par un ruban des plus à la mode ; elle passera ensuite au martinet dont le bout de chaque cordon est garni d’une pointe d’or ou d’argent, & dont le manche qui est de bois de rose[13], est entouré d’une garniture élégante & recherchée. Si vous lui demandez, comme le feroit un pauvre Provincial, à quoi servent ces petites armes ; elle prendra, pour vous répondre, le ton le plus enfantin, & vous dira en minaudant avec la verge, que c’est, si vous le voulez, pour vous donner du plaisir. Il n’y a aucune prostituée qui ne propose au chasseur qui la poursuit, de passer promptement à cette ressource, comme étant le préliminaire le plus infaillible, même pour un petit colet de soixante & dix ans. J’ai été Je témoin d’une scene bien singuliere, & qui ne prouve que trop que l’amour l’emporte le plus souvent sur la plus forte raison. Etant à Paris, je fus appellé dans un des serrails de la rue S. Honoré, pour donner des soins[14] à une courtisanne à laquelle venoit d’échoir un petit lot en courant les hazards de l’amour. J’étois dans la cellule de la malade, lorsque j’entendis, dans la chambre voisine, la voix d’une femme qui sembloit être fort en colere, & qui avoit le ton le plus menaçant. La personne avec laquelle j’étois, ne me donna pas le tems de l’interroger sur ce qui se passoit près de nous ; me priant à voix basse de garder le silence, elle souleva fort doucement un des coins de la tapisserie, & me plaça vis-à-vis d’une petite ouverture, par le moyen de laquelle j’assistai au spectacle le plus plaisant, & en même tems le plus ridicule. Voici comme se passoit cette scene qui, me dit-on, se jouoit deux fois par semaine. La principale actrice étoit une brune assez jolie qui n’étoit vêtue qu’en partie, c’est-à-dire qu’elle montroit la gorge, les cuisses & les fesses. Les autres rôles étoient remplis par quatre vieillards à grande perruque, dont le costume, l’attitude & les grimaces m’obligeoient à chaque instant à me mordre les lèvres pour ne pas partir d’un éclat de rire. Ces libertins surannés jouoient, comme font quelquefois les enfans entr’eux, au jeu du maître d’école. La fille, sa poignée de verges à la main, leur administroit tour-à-tour la petite correction ; le plus châtié étoit celui qui avoit l’organisation la plus tardive. Les patients baisoient les fesses de la maîtresse, pendant que son beau bras se fatiguoit sur leur cuir impudique ; & la comédie ne finissoit que lorsqu’on étoit las de fatiguer la nature la plus apauvrie. Après que chacun se fut retiré, je quittai mon poste sans pouvoir me convaincre de la réalité des choses dont je venois d’être le témoin. Ma malade me plaisanta beaucoup sur ma surprise, & me raconta plusieurs faits encore plus ridicules qui se passoient tous les jours dans leur couvent. Nous avons, me dit-elle, la pratique des êtres les plus importants de Paris ; elle ajouta qu’elles avoient entre elles l’honneur de donner le fouët à tout ce qu’il y avoit de mieux dans le clergé, la robe & la finance.
[13] Telle est la manie du luxe… comment, dira-t-on, sont décorés les fouets dont se servent les filles de la derniere classe ? Je crois que ces instruments sont inconnus dans leurs atteliers. Le charbonnier & le porteur de la hâle ne vont chez les belles du port-au-bled, de la rue Jean S. Denis, &c., que lorsqu’ils meurent de plénitude ; ces rustres ne sont pas comme nos petits maîtres ; ils attendent bonnement le besoin, sans chercher à provoquer l’appétit.
[14] Les filles de Paris sont tolérées par le gouvernement ; elles ne sont donc pas indignes de l’attention publique ; il arrive pourtant que, lorsqu’elles sont malades, elles ne savent gueres à qui s’adresser. Les docteurs de la faculté du fauxbourg S. Jacques ne vont jamais chez ces malheureuses en qualité de médecins, parce que ces messieurs à triple & triple perruque ne prennent pas moins d’un louis par visite. Les savants de la société de médecine voudroient bien y pénétrer en qualité de guérisseurs ; mais chacun s’en méfie, parce qu’on sait qu’ils ne vont chez le pauvre que pour essayer des pilules qui leur sont proposées par des charlatans curieux d’acheter un brevet. Quels secours reste-t-il donc à ces infortunées ? Lorsqu’elles ne trouvent pas quelques étrangers honnêtes, quelques médecins qui ne sont à Paris que pour y manger de l’argent, (un docteur médecin de Paris ne donne que le titre d’écoliers aux docteurs d’Edimbourg, de Vienne, de Turin, &c.) : elles sont forcées de se livrer à la pratique ignorante & meurtriere d’un carabin, ou d’aller finir leurs misérables jours dans les tortures de Bicêtre.
Il seroit inutile de rapporter d’autres faits pour prouver que plusieurs personnes ont recours aux flagellations pour se rendre propres au coït. On n’a, comme je l’ai dit, qu’à interroger toutes les filles de joie, pour se convaincre de cette malheureuse vérité. Il me reste maintenant à démontrer comment & pourquoi le fouët produit un tel effet sur le physique ; cet examen nous conduira à découvrir des abus qu’il est important de détruire.
Lecteurs honnêtes, & délicats ! vous, dont les oreilles ne se permirent jamais d’entendre aucun mot libre, ni aucune phrase licentieuse, ayez le courage de m’écouter ! je parle pour vous instruire, & non pour vous corrompre. Je dévoile des erreurs qui subsisteront pendant qu’on aura la foiblesse de les tenir secrettes. Les mœurs[15] exigent qu’un citoyen zélé ne cache aucun crime à la loi, afin qu’elle puisse le punir : si le délateur peut quelquefois paroître scandaleux dans l’accusation qu’il en détaille, cette faute légere est bientôt effacée par la destruction du crime & du coupable.
[15] Les mœurs… Voilà, diront les gens comme il faut, un mot bien vague ; qu’entend-on par les bonnes mœurs ?… Il y a bien des hommes du bon ton à qui l’on pourroit répondre qu’on entend par bonnes mœurs, les vertus dont ils n’ont jamais fait grand cas, & qu’ils exigent toujours dans leurs valets.
Puisqu’on ne peut révoquer en doute ce que j’ai avancé dans le chapitre précédent, il me reste à chercher la cause de tels désordres. J. Pic de la Mirandole dit que les astrologues ne sont pas embarrassés pour expliquer de pareils phénomenes ; ils ne les attribuent qu’aux astres & à leur influence secrette, « ils assurent que Vénus donne telle ou telle espece de passion au nouveau né, suivant la position où se trouve cette planette au moment de la naissance ». Junctin, qui a beaucoup écrit & déraisonné sur l’astrologie[16] est de ce sentiment que Jean Pic a combattu avec raison.
[16] Junctin assuroit qu’il lisoit clairement l’avenir dans le firmament : cet extravagant étoit moine, & conséquemment fort ignare. Il fut accablé sous les ruines de sa bibliotheque, quoiqu’il eût vu dans les astres qu’il mourroit d’un autre genre de mort. Ce n’est pas le seul astrologue qui se soit trompé sur le même sujet.
Le prince de la Mirandole croit que la triste nécessité où sont quelques personnes de recevoir le fouët pour les rendre propres au coït, leur vient depuis l’enfance, c’est-à-dire que c’est un effet de l’habitude ; & voici sur quel fondement il appuye son opinion ; « connoissant, dit-il, un malheureux qui ne pouvoit se livrer aux plaisirs de l’amour, sans avoir été préalablement bien fustigé, je cherchai à en pénétrer la cause. Après différentes conversations que j’eus avec lui, il m’apprit qu’il avoit été élevé dans une pension où ses petits compagnons ne s’amusoient qu’à se fouetter alternativement ; que ce jeu étoit une jouissance pour eux, & que cette jouissance s’étoit depuis lors changée en habitude ».
Cælius Rhodiginus, dont je vais rapporter les propres paroles, étoit du même sentiment que Pic ; « ayant entendu dire qu’une personne de ma connoissance ne se livroit à l’acte vénérien qu’après avoir reçu le fouët, je voulus étudier la cause de cette passion contre nature. J’interrogeai cet homme singulier, qui m’assura qu’il avoit pris cette habitude dans son enfance, qu’il connoissoit toute l’horreur de ses procédés, mais qu’il ne pouvoit se montrer homme qu’en recourant à cette vile ressource ».
Je suis loin de nier que l’habitude ne devienne souvent une seconde nature[17] : Aristote l’a prouvé trop éloquemment dans ses écrits. Galien & plusieurs autres grands médecins n’ont pas douté du pouvoir & de la force de l’habitude. Ennius l’a bien peint dans ces deux vers :
[17] Cela n’arrive que trop : mais ceux qui veillent à l’éducation de la jeunesse s’en occupent-ils sérieusement ? C’est ce que j’examinerai plus au long dans le IV. chapitre.
Quelle que soit la force d’une habitude contractée depuis l’enfance, on ne sauroit toujours trouver en elle la cause qui force certains individus à se soumettre au fouët pour se livrer au coït. La cause éloignée de ces désordres est quelquefois l’effet d’une éducation vicieuse ; mais il s’agit maintenant d’en rechercher la cause prochaine, & c’est ce qu’on ne peut faire qu’à l’aide du flambeau de la physiologie & de l’anatomie.
Il faut d’abord observer que les flagellations réchauffent la partie qu’on soumet à l’opération, & qu’elles y attirent le sang en quantité. Quelques médecins faisoient battre de verges une partie, lorsque le sentiment venoit de s’y éteindre. Cette pratique subsiste encore en partie, car on fouette avec une poignée d’orties piquantes, la partie où il est nécessaire de rappeller la chaleur. Les frictions avec les brosses ou la flanelle, font à la longue ce que feroient les flagellations qu’on n’ordonne plus, vu la délicatesse des malades[18].
[18] Il y a certainement quelques cas où les flagellations seroient utiles ; mais on y a substitué d’autres moyens non moins capables de rappeller la chaleur, ou de dériver les humeurs ; on a les frictions, les fomentations, les ventouses, les sinapismes, le moxa & les vessicatoires. Les flagellations étoient jadis une opération très-commune ; c’est de cette pratique que venoit le sot usage où l’on étoit de fustiger les foux. Comme on se figuroit que la démence n’étoit causée que par une trop grande quantité de sang qui se portoit au cerveau, on ne croyoit pouvoir guérir cette maladie qu’en rappellant les humeurs vers les parties inférieures ; aussi frappoit-on tous les jours les foux, & les nourrissoit-on au pain & à l’eau : cette pratique barbare étoit dictée par une théorie aveugle plutôt que par la cruauté. C’est peut-être par la même raison qu’on donnoit, il n’y a pas longtems, le fouët aux prisonniers, dans de certaines maisons de correction, chez les Lazaristes, & aux Repenties ; (je ne sais si cet usage est entierement aboli de us jours… Il y a encore tant de sottes gens.) On croyoit la tête malade, & on s’imaginoit la guérir par cette humiliante & barbare manœuvre. Mais, dira-t-on, qui osoit présider à des opérations de ce genre ? Des bouchers !… Non. C’étoit des prêtres ! (Voyez le chap. IV.)
Puisque l’effet des flagellations est de rappeller la chaleur dans une partie, il ne sera pas difficile de concevoir par quel mécanisme le fouët irrite & éleve le membre viril : examinons la structure de cette partie & de celles qui l’environnent.
Ceux qui se font fustiger pour se rendre propres au coït, exigent qu’on frappe toujours sur le dos ; voyons maintenant comment la chaleur, excitée dans cet endroit, passe aux parties de la génération.
On remarquera que les lombes, qui composent la majeure partie du dos, sont formés par les vertebres lombaires, sous lesquelles sont placés les reins & différens vaisseaux qui communiquent avec les parties de la génération. Il est donc constant qu’en échauffant les lombes, cette chaleur doit se rendre à la verge dans l’homme, & au vagin dans l’autre sexe.
Quoique cela dût suffire pour rendre raison de l’effet du fouët sur le physique de l’amour, quelques auteurs ont cherché d’autres preuves pour l’expliquer. Meibomius, qui pensoit que c’est dans les reins que se prépare la semence, n’attribuoit l’effet du fouët qu’à la chaleur qu’il produit sur les reins. Ceux qui croyoient avec Platon que la semence s’écoule de la moëlle de l’épine, disoient, que les flagellations faites sur les lombes devoient provoquer l’écoulement de la semence, & conséquemment distendre la verge & l’amplifier.
Les anciennes écritures, soit sacrées, soit profanes, plaçoient la faculté de l’acte vénérien dans les lombes. On lit dans la Genèse : reges de lumbis suis egredientur. On chante dans un pseaume, lumbi mei impleti sunt illusionibus, ce qui signifie, j’ai été enclin à la paillardise[19].
[19] Les bigots, dont la fausse pudeur s’allarme au moindre mot, me pardonneront peut-être de me servir de tems à autre de phrases un peu libres, puisque je prouve par mes citations que notre église s’en sert aussi. Pour ce qui est des gens instruits, je suis sûr de ne pas les effaroucher par mon stile, n’ont-ils pas lu le Cantique des Cantiques ? C’est dans ce petit poëme du grand Sultan Salomon qu’on trouve des expressions bien délicates : pour attirer nos débauchés & nos élégantes dans les églises, il ne faudroit que le chanter à vêpres, & l’y chanter en langue vulgaire.
Lumbos præcingere, se serrer les reins, étoit un proverbe, parmi les Hébreux, qui signifioit conserver la pudeur & renoncer à l’impureté. C’est pourquoi St. Jérôme dit, conforta lumbos, fortifie tes reins. Quand St. Matthieu dit de St. Jean, habuit zonam pelliceam circa lumbos, il veut sans doute vanter sa chasteté. L’église, en chantant ce verset, ure igne flancti spiritus renes nostros, ut tibi casto corpore serviamus, entend bien que les reins sont le premier instrument de la concupiscence.
L’opinion où l’on fut toujours, que le bon ou le mauvais état des lombes contribue à l’acte vénérien, donna lieu à l’usage de s’entourer les reins avec une ceinture, pour marquer qu’on vivoit dans un état de chasteté. Les vestales juroient, en plaçant la sainte ceinture, de ne jamais la desserrer, c’est-à-dire, de tenir leurs lombes en captivité. Nos abbés, nos religieux, nos moines, nos chanoinesses ont conservé la mode de se ceindre les reins ; mais on est loin de penser aujourd’hui, que la ceinture oblige à l’abstinence ; il faut qu’on en ait une idée bien contraire, puisque toutes les dames ont une ceinture pour se parer.
Les Romains crurent aussi qu’il falloit se serrer les lombes pour conserver sa modestie & sa pudeur. N’étoit-on pas en usage de donner une ceinture à des candidats, lorsqu’ils recevoient un grade ?
Diane fut toujours représentée avec une ceinture. Vénus détacha la sienne pour fixer Pâris, & ses deux rivales perdirent le procès.
Il est inutile d’appuyer, par des citations, des faits qui se prouvent d’eux-mêmes. On observe qu’en se tenant les reins très-chaudement, on a de fréquentes érections ; aussi défend-on à ceux qui sont sujets à des pollutions nocturnes, de se tenir couchés sur le dos, parce que cette position échauffe la moëlle de l’épine, les lombes, les vaisseaux & les nerfs qui se rendent aux parties naturelles. Persuadés de cette vérité, les médecins faisoient appliquer des topiques très-froids, sur les lombes, à ceux qui avoient besoin de rallentir en eux la fureur de Vénus. Pline ordonnoit de porter pendant quelque tems des lames de plomb sur les reins, pour tempérer l’ardeur des amans. Galien conseilla aux athlétes d’y appliquer des onguens réfrigérans pour se préserver des pollutions nocturnes ; ce même docteur remédioit au priapisme en faisant continuellement tenir de l’eau froide sur les lombes du malade. Cette théorie engagea, dans, la suite, les célibataires cloîtrés à jetter dans leur lit des branches d’agnus castus, & de se coucher dessus pour se préserver des tentations de la chair.
La médecine moderne, qui ne voit de bons remedes que dans ce qu’on avale en potions ou en pillules, n’est pas tout-à-fait de l’avis des anciens ; elle ne fait appliquer aucun topique sur les lombes pour rafraîchir ou échauffer Vénus. Je pense cependant qu’il peut y en avoir d’utiles dans l’un & l’autre cas, comme on le verra à la suite de ce petit ouvrage, dans une dissertation sur tous les moyens qu’on peut employer pour appaiser l’amour ou lui prêter des forces.
En voilà, je pense, suffisamment pour expliquer comment les flagellations, faites sur le dos, produisent l’érection du membre viril, & rendent un libertin épuisé capable de soutenir les combats de l’amour.
L’amour est un besoin qui nous est commun, mais qui ne se fait sentir qu’à un certain âge. C’est en vain qu’on voudroit éteindre ses feux, lorsqu’on touche à la puberté, les plus grands efforts n’aboutissent alors qu’à leur prêter de la force, & l’incendie s’accroît de plus en plus. Ces réflexions nous font voir que ceux qui font vœu de celibat, seront souvent parjures, ou toujours malheureux. Supposons, cependant qu’il y ait quelques êtres privilégiés qui vivent exempts de ce qu’une fausse dévotion appelle les foiblesses humaines ; il faudroit au moins, pour le bien de tous les religieux & religieuses, que l’on eût soin d’éloigner d’eux tout ce qui peut les ramener à la nature. Examinons si l’on tient cette conduite dans les monasteres.
Nous avons vû, dans les chapitres précédens, que les flagellations peuvent & doivent produire une irritation sur toutes nos fibres, & que cette irritation se fait principalement sentir aux parties de la génération. Pourquoi donc la discipline est-elle ordonnée dans tous les couvens, & dans de certains jours de pénitence ? Doit-on rappeller la vie dans une partie qu’on a voulu destiner à la mort ? On ne devroit rien permettre dans le cloître qui puisse blesser la décence, ou qui puisse, comme disent les casuistes, réveiller la chair. L’usage, ou plutôt l’abus de se discipliner, devroit conséquemment y être aboli, puisque l’effet en est toujours pernicieux. Heureusement que ces cérémonies de flagellations se pratiquent dans l’obscurité ; car si l’on se présentoit dans la dévote assemblée avec une lumiere à la main, on verroit que la pénitence finit toujours par la masturbation, ou par des pollutions involontaires.
Quelle contradiction dans la conduite des célibataires de ce genre ! Ils avalent le matin deux ou trois verres d’une décoction faite avec les plantes les plus froides, & le soir, ils se frappent avec des cordes ou de petites chaînes pour rappeller une chaleur qui commençoit à s’éteindre !
C’est sur-tout parmi les religieuses qu’il ne faudroit jamais parler de fouët ni de disciplines : les femmes étant plus faciles à émouvoir que les hommes, elles sont aussi plus sujettes aux pollutions.
Il semble que la manie de se fustiger ou de fustiger les autres, soit particulierement celle des moines. S’ils s’en tenoient au moins à se discipliner entr’eux, ce ne seroit qu’un petit mal ; mais c’est qu’il y en a quelques-uns qui ne rougissent pas d’ordonner le fouët à leurs pénitentes, & qui se chargent sur-tout d’aller le leur donner eux-mêmes au sortir du confessionnal. Combien y a-t-il de confesseurs qui ont débauché de jeunes filles de cette maniere ? Combien de scélérats ont abusé d’un ministere respectable pour commettre les horreurs les plus infâmes ? On a souvent entendu les tribunaux[20] retentir des justes plaintes de quelques infortunées qui avoient été victimes de leur crédulité : on a vu, plus d’une fois, de justes loix faire traîner les coupables au supplice.
[20] On trouve dans les causes célebres, des procès fameux contre les séducteurs de ce genre. De tels exemples sont bien faits pour détourner les âmes honnêtes & timides d’un confessionnal quelconque ; elles ont à craindre d’être obligées de payer une absolution beaucoup trop cher. Si les Italiens sont aussi jaloux qu’on le dit, je suis étonné qu’ils ne se chargent pas eux-mêmes d’être les directeurs de la conscience de leurs femmes.
Tout le monde connoît les différentes aventures, qu’on raconte au sujet de quelques cordeliers qui, seuls dans la chambre de leurs pénitentes, les faisoient mettre à genoux, troussoient leurs juppons, leur claquoient les fesses, ou les fustigeoient rudement, suivant la grandeur des péchés qu’elles avoient commis ; la correction finissoit par pousser en avant la gentille pécheresse, & lui passer par derriere un bout du cordon de St. François, qui avoit la vertu de faire pâmer la dévote, & de lui donner une idée du paradis de Mahomet.
Il est bien singulier, que de tout tems & chez toutes les nations, on ait souvent mêlé l’impudicité & la plus vile corruption aux cérémonies les plus sacrées. Des fêtes netturales se célébroient dans les temples[21] ; la dévotion y attiroit toutes les dames Romaines ; pendant plusieurs années l’empereur Néron, ses prêtres, ses courtisans, abuserent de la crédulité des unes, & partagerent le libertinage des autres : comme cette fête se célébroit pendant la nuit, aucune n’avoit à rougir ; les soupirs qu’on y entendoit, le bruit singulier qui devoit s’y faire, sembloient n’avoir pour cause que de saintes extases. Les pélérinages de la Mecque, qui sont ce qu’il y a de plus saint & de plus révéré chez les Turcs & les Persans, ne sont-ils pas le comble de la dépravation des mœurs ? J’ai vu, en Espagne & en Italie, des extravagans courir les rues à la suite d’une sainte banniere, & se fustiger sous les fenêtres de leurs maîtresses, en mémoire de la passion du Christ[22].
[21] Néron institua ces fêtes pour se consoler de la mort de Netturius, l’un de ses favoris, & qui s’étoit attiré la bienveillance de ce prince, par son talent pour les intrigues amoureuses.
[22] Il y a, dans ces pays-là, différentes assemblées de dévôts, qu’on nomme pénitens ; l’uniforme de ces confréries est des plus plaisant. Il y a des pénitens blancs, des noirs, des bleus, des rouges, des verds, &c. Ils courent les rues, dans de certains jours de pénitence, ils sont presque tous à pied nud, & se disciplinent pour divertir le peuple & sur-tout leurs maîtresses.
Pour expliquer la cause de ces erreurs, il ne faut que connoître les hommes ; lorsqu’on est parvenu à se faire une juste idée de la valeur de ceux qui en ont imposé & qui en imposent encore, on n’est plus étonné de voir subsister les abus les plus ridicules. La crainte a fait les dieux, dit un grand philosophe, mais il faut ajouter à cette sentence, que c’est l’imposture qui soutient leur trône. Les différens cultes, qu’on rend à ces divinités incompréhensibles, étant l’ouvrage de quelques mortels ou foibles ou trompeurs, il n’est pas surprenant que ces cultes se soient souvent ressentis de la sottise de l’inventeur, & qu’on y ait associé des folies même dangereuses.
Mais je m’écarte de mon plan ; comme toutes ces discussions m’entraîneroient trop loin, je reviens à mon sujet… Il seroit nécessaire de supprimer l’usage des flagellations dans tous les couvens, puisqu’elles peuvent contribuer à ranimer le physique de l’amour ; on ôteroit par là le ressort le plus excitatif. Je voudrois même défendre à tous les moines & sous des peines très-rigoureuses, de se regarder le corps à nud ; car il faut peu de chose pour échauffer un jeune célibataire. Une religieuse de dix-huit à vingt ans, qui s’amuse le soir à chercher ses puces, finit rarement sa petite chasse sans faire un sacrifice à l’amour ; elle voudroit ne pas succomber, mais la liqueur fermente, & le moindre attouchement suffit pour la faire répandre.
Il est bien humiliant que nous trouvions encore parmi nous des restes aussi ridicules du fanatisme de nos ancêtres. Devroit-on se rappeller du nom de moines dans un siecle aussi éclairé que le nôtre ? Ces illustres & riches fainéans font-ils quelque chose d’utile ? Contribuent-ils à nous rendre l’Eternel plus cher ? Ministres inutiles, on leur entend bien réciter par fois des couplets qu’ils ne conçoivent peut-être pas ; mais ces prieres vagues & stériles peuvent-elles effacer aux yeux du vrai Dieu toutes les sottises qu’ils commettent au sortir du chœur ?
La réforme monacale seroit utile & nécessaire, les enfans de St. Bruno ne s’en trouveroient peut-être pas bien, mais les capucins seroient, en général, très-contens. Quelques religieuses accourroient se jetter dans les bras d’un amant que des parens injustes leur enleverent ; elles deviendroient épouses fideles, meres tendres ; & leur amour enfin exaucé donneroit des sujets à l’Etat.
Ces tems de réforme sont encore bien éloignés, je le sais. En attendant cette heureuse époque, invitons les religieux des deux sexes à ne plus se fustiger pour nos péchés : qu’ils bannissent de leur regle un usage qui ne peut que contrarier leur projet de célibat, & les avilir aux yeux même de l’amour[23].
[23] Les avilir aux yeux de l’amour… Oui, & cela parce qu’à force de se fustiger, la nature s’échauffe, les nerfs sont irrités, & cela finit par la masturbation. Je demande s’il y a quelque chose de plus avilissant pour l’amour ?
Il faut que ceux qui croient servir Dieu & lui plaire en se fustigeant, se soient fait une idée bien étrange de la Divinité. Ils ne voient sans doute dans le Pere de la nature, qu’un être terrible & vengeur, toujours armé de la foudre pour punir indistinctement l’innocent & le coupable : ils se figurent qu’on ne peut l’appaiser que par des cilices, des jeûnes, & autres mortifications non moins ridicules. Ces erreurs sont aussi extravagantes que dangereuses à la société ; elles ôtent à l’homme le désir de se rendre utile à ses semblables, & font qu’il préfere son caprice bigot à la douceur de faire de bonnes œuvres. Un philosophe a dit avec raison, qu’un sauvage errant dans les bois, contemplant le ciel & la nature, sentant pour ainsi dire le seul maître qu’il reconnoît, est plus près de la véritable religion, qu’un chartreux enfoncé dans sa loge & vivant avec les fantômes d’une imagination échauffée.
On doit un culte à l’Eternel ; il faut une religion. Mais le culte que demande l’Etre suprême doit s’allier aux devoirs de tout citoyen. Le vrai Dieu ne crie pas aux mortels du haut de son trône : « Jeûnez, fustigez-vous, n’écoutez pas les sens que je vous donnai pour votre bonheur, & renoncez à la nature. »
L’auteur de l’an deux mille quatre cent quarante[24] peint bien éloquemment le ridicule de précipiter par dévotion la jeunesse dans nos cloîtres que nous regardons comme sacrés[25]. Puissent les paroles de ce philosophe arrêter de jeunes victimes prêtes à se plonger dans ces tombeaux vivans ! « Quelle cruelle superstition enchaîne dans une prison sacrée tant de jeunes beautés qui recelent tous les feux permis à leur sexe, que redouble encore une cloture éternelle, & jusqu’aux combats qu’elles se livrent. Pour bien sentir tous les maux d’un cœur qui se dévore lui-même, il faudroit être à sa place ; timide, confiante, abusée, étourdie par un enthousiasme pompeux ; cette jeune fille a cru longtems que la religion & son Dieu absorberoient toutes ses pensées : au milieu des transports de son zele, la nature éveille dans son cœur ce pouvoir invincible qu’elle ne connoît pas & qui la soumet à son joug impérieux. Ces traits ignés portent le ravage dans ses sens, elle brûle dans le calme de la retraite ; elle combat, mais sa constance est vaincue, elle rougit & désire. Elle regarde autour d’elle, & se voit seule sous des barreaux insurmontables, tandis que tout son être se porte avec violence vers un objet fantastique que son imagination allumée pare de nouveaux attraits. Dès ce moment plus de repos. Elle étoit née pour une heureuse fécondité ; un lien éternel la captive & la condamne à être malheureuse & stérile. Elle découvre alors que la loi l’a trompée, que le joug qui détruit la liberté n’est pas le joug d’un Dieu, que cette religion, qui l’a engagée sans retour, est l’ennemie de la nature & de la raison. Mais que servent ses regrets & ses plaintes ! Ses pleurs, ses sanglots se perdent dans la nuit du silence. Le poison brûlant, qui fermente dans ses veines, détruit sa beauté, corrompt son sang, précipite ses pas vers le tombeau. Heureuse d’y descendre, elle ouvre elle-même le cercueil où elle doit goûter le sommeil de ses couleurs. »
[24] Cet ouvrage contient de grandes vérités, aussi l’a-t-on défendu. Celui qui l’a écrit ne sera jamais académicien, n’aura jamais de pensions, & cela parce qu’il a eu le courage de dévoiler la honte de ceux qui distribuent l’argent & les honneurs. Ecrivains,… écrivains… faites de plates sottises, soumettez-vous à la censure sans murmure, flattez les grands, sans instruire les petits, alors vous serez prônés, payés, & bien ou mal peints dans le sallon des illustres !
[25] Que les grandes choses s’operent lentement ! Pourquoi n’imite-t-on pas dans tous les Etats la sage administration de l’immortel Joseph second, qui, dès qu’il eut dans les mains le sceptre de l’empire, en frappa les puissances monacales, & renversa l’autel le plus pernicieux qu’eût jamais élevé la superstition ? Il a su, par cette juste reforme, rendre des meres à la société & des hommes à l’Etat. Il a ôté à tous ses sujets l’aspect de l’oisiveté & de la débauche que présentent le plus souvent ces hommes cloîtrés, qui n’ont de patrimoine que celui qu’ils déroberent à nos peres, & qui chaque jour s’engraissent encore du travail & de la crédulité du peuple.
En divisant les sexes, en élevant des barrieres éternelles entre l’homme & la femme, les fondateurs des couvens, ne songerent pas aux coupables abus qui devoient en résulter. Comme on ne peut jamais étouffer l’effervescence des sens, il a fallu que les victimes qu’on avoit enterrées dans le cloître, cherchassent des moyens pour appaiser ou tromper l’amour. Poussés par un instinct très-innocent, ces robustes captifs s’occuperent à trouver le plaisir dans leur sexe même. L’on connut la masturbation, & des crimes plus atroces encore.
Ce vice qu’on reprocha tant aux Jésuites, & qui faisoit, peut-être, réellement leur honte, vient sans doute du barbare abus de cloîtrer de jeunes gens. Les filles renfermées ne chercherent pas moins à se procurer, entre elles, une idée des plaisirs de l’amour.
Les horreurs de cette espece ne resteront point renfermées dans les endroits où elles avoient pris naissance : les mondains s’occuperent de ces viles & criminelles ressources. Les loix furent forcées de sévir contre ces attentats de lèse-amour, & malgré leur juste rigueur, il existe encore des crimes de ce genre. On voit plus d’un vieux financier cajoler son valet ou son garçon perruquier ; il y a plus d’une duchesse qui ne soupire que pour sa femme de chambre[26]. O monstres ! que faites-vous ? voulez-vous passer pour sages & tempérés ? Craignez-vous d’être victimes de l’autre sexe ? En suivant les loix de la vraie tendresse, vous ne pourriez commettre que des foiblesses ; au lieu que vous êtes des vicieux qui méritez l’indignation publique & qu’on doit livrer à l’opprobre !
[26] Il arrive souvent qu’on dit, dans de très bonnes sociétés, en parlant d’un seigneur, ou d’une dame, un tel est pour homme, la Comtesse est pour femme. Quelle horreur ! on badine sur cela, & l’on fréquente de pareilles gens !… Ce manque de délicatesse est bien digne de ces plats & brillans étourdis qui, par gentillesse, s’honorent entre eux du beau nom de roués.
Nous avons vu dans les chapitres précédens, que les flagellations faites sur le dos produisent des effets non équivoques sur le physique de l’amour. La découverte de cette vérité nous a conduits à faire observer que les célibataires cloîtrés devroient bannir de leur regle le fouët & la discipline ; elle nous conduira à déduire, du même principe, des conséquences qui ne seront pas moins justes.
Pourquoi le fouët est-il toujours le châtiment qu’on inflige aux enfans ?… Cette peine peut-elle influer en mal sur leur éducation physique & morale ?… Voilà les points que je me propose d’éclaircir dans cette partie de mon ouvrage. Cet examen est plus intéressant qu’on ne pense.
L’éducation physique & morale des enfans intéresse sans doute le gouvernement : cependant voit-on qu’il s’en occupe ! On en laisse tout le soin à des parens qui, en général, s’en déchargent sur des nourrices, des valets, des pédans, des sots, des crapuleux, &c. &c.
Quand on ne devroit prêcher le bien aux enfans que par le bon exemple ; on ne le fait que par de grossieres paroles, des menaces, & la correction. Qu’est-ce que cette correction ? C’est le fouët. Les meres ne connoissent que ce remede à un verre ou une bouteille cassés ; les précepteurs n’en employent point d’autre pour donner du goût pour le latin, cette langue qui, grâces au ciel, sera bientôt oubliée, & qui fait depuis tant de tems le désespoir des écoles.
Que résulte-t-il de l’emploi du fouet ? On y habitue de petits mauvais sujets qui s’en font même un jeu entre eux dans leurs momens de recréation ; ainsi qu’on l’a vu dans les citations de Jean Pic de la Mirandole, & de Calius Rhodiginus. (Chap. II de cet ouvrage.)
Il ne manqueroit certainement pas d’autres manieres de punir des enfans oisifs ou vicieux : car J. J. a écrit cinq ou six volumes sur l’éducation, sans fouëtter son éleve une seule fois : aussi son ouvrage n’a-t-il pas remporté le prix, & les éducations se font toujours aussi mal que jadis.
Je suppose qu’il fut nécessaire, dans certains cas, d’infliger aux enfans des peines corporelles ; devroit-on frapper le coupable sur le dos ? On nous apprend pendant les cinq ou six premieres années que nous vivons à cacher notre derriere & les parties honteuses ; au bout de ce tems vient un régent qui nous force à déboutonner nos culottes, à les abattre, à trousser la chemise, à tout montrer, pour recevoir les étrivieres en pleine classe. Ces parties ne seroient-elles plus honteuses, quand c’est un cuistre qui les regarde & qui les touche ?
S’il arrivoit au moins que ce châtiment fût distribué avec justice ; mais le célibataire qui punit, n’est-il pas souvent de la compagnie de la manchette ? Et ne choisit-il pas pour l’opération le derriere qui le flattera le plus ? J’ai observé pendant tout mon cours de collége, que les écoliers maigres & laids n’étoient jamais fustigés. Au plaisir qu’ont quelques pédans à entendre le bruit que font les coups de fouet qu’on applique sur le dos du patient, on doit juger qu’il y a, dans cette cérémonie, si souvent répétée, plus que la satisfaction de corriger. Etres barbares & corrompus !… De qui tenez-vous le droit de mutiler l’enfance & de faire servir l’innocence à vos plaisirs, ou plutôt à vos saletés !… Je le répete, ces abus, quoique fort anciens, méritent l’attention du gouvernement ; ils exigent une réforme ; car les maîtres d’école, les précepteurs, les régens, sont en général si méprisables, qu’il n’y a jamais un écolier qui ne méprise les siens, lorsqu’il est homme.
La mauvaise habitude que l’on a de frapper sur le derriere des enfans, leur donne celle de porter souvent les mains à cette partie ; elle leur apprend, comme je viens de le dire, à se fustiger entre eux ; de là différens attouchemens qui les éclairent peu-à-peu, & qui font que la débauche devance, en eux, le mouvement des sens.
Plusieurs enfans élevés ensemble, & de la maniere accoutumée, deviennent toujours polissons[27]. Ils se touchent les uns & les autres, ils en viennent petit à petit à la masturbation, & ne finissent que trop souvent par le péché des Jésuites. C’est dans ces assemblées de jeunes écoliers que s’apprennent toutes ces sottises qu’on ne peut ensuite cacher dans la société : on y apporte des plaisirs infâmes, des goûts dépravés & peu délicats.
[27] Ce qui prouve qu’il y a peu de bons parens, c’est qu’on voit subsister une quantité de ces auberges, qu’on appelle pensionnats, où l’on entasse les enfans dans de grandes salles, toujours malsaines, & dans lesquelles il est défendu à ces jeunes êtres de s’égayer, de jouer, & de suivre le penchant de leur âge. Les maîtres de ces petites maisons de force se font bien payer pour mal coucher, mal nourrir les enfans, & pour les rendre stupides, ou vicieux.
Je suis surpris que les ecclésiastiques osent se charger d’élever les enfans, puisqu’il est reçu parmi nous qu’on ne peut en venir à bout sans donner le fouët. J’aurois cru que la décence de leur état ne leur permettoit pas de regarder ni de toucher des fesses. Mais, je l’ai déja fait remarquer dans le troisieme chap. les moines & les abbés ont la fureur de fouetter ; les cris, les pleurs d’un innocent ne les attendrissent point ; la jouissance de voir un beau postérieur l’emporte sur la pitié. On a toujours vu que c’étoit des moines qui dirigeoient les maisons de correction, qui les avoient même fondées ; ces bourreaux débauchés voulurent contempler & claquer des derrieres ; ils surent même si bien s’arranger, que des peres imbécilles eurent la bonhomie de leur fournir de bonnes pensions pour cela.
Je pense que ces réflexions sont plus que suffisantes pour engager le gouvernement[28] à forcer les pédans de changer les peines usitées pour l’enfance. Si cet objet lui paroît de peu de conséquence, j’espere que les parens y feront attention, & qu’ils tâcheront de détourner des regards d’un enfant tout ce qui peut le conduire au mal.
[28] On peut dire que l’administration publique néglige un peu trop dans tous les pays l’éducation des enfans ; cependant il y en a où je voudrois être né de préférence. Ce n’est pas à coup sûr dans les endroits où les régens sont célibataires, & cela pour cause. Il viendra, sans doute un tems, où l’on connoîtra mieux le prix d’une bonne éducation ; alors on ne choisira plus pour instituteur un malheureux vaurien qui ne sait que cracher deux ou trois mots de latin ; des honnêtes gens s’honoreront du nom de précepteurs ; & la vertu seule aura le droit d’occuper les places de régens que le gouvernement & le public estimeront & payeront généreusement.
L’expérience nous apprend que quelques personnes ont recours aux flagellations pour se disposer aux combats amoureux. La physiologie & l’anatomie démontrent comment ces flagellations operent sur les parties de la génération, quoiqu’elles ayent été faites sur le dos. Les infortunés qui se livrent à ces désordres sont sans doute à plaindre[29], puisque ce n’est que par de cruelles douleurs qu’ils esperent connoître les plaisirs de l’amour ; puisqu’enfin l’arc du petit Cupidon ne peut être tendu qu’à l’aide de ce préliminaire affligeant & peu délicat.
[29] Il est encore un être bien plus à plaindre, c’est une jeune beauté que la force, ou des conventions d’intérêts font passer dans les bras d’un époux qui ne pourra remplir les fonctions du mariage sans la petite poignée de verges ; la nouvelle mariée passera de cruelles nuits, avant qu’on ose lui proposer de recourir à cette honteuse ressource ; ensuite il faudra qu’elle fasse de grands efforts pour s’y résoudre ; & je doute que son bonheur soit jamais parfait. Puisqu’on ne consulte pas la force des tempéramens avant que de les unir, faut-il être surpris qu’il y ait tant de femmes infidelles, & tant de maris ridiculisés ?
Quelques auteurs prétendent que l’habitude de se faire fouëtter, se contracte depuis l’enfance ; cela peut être vrai par rapport à quelques individus ; mais je pense qu’on ne peut en général la faire naître d’une cause si éloignée. Les amateurs du sexe ont quelquefois des goûts bien dépravés, ils cherchent des jouissances extraordinaires : je crois que cela ne se voit que chez ceux qui sont d’une foible constitution, ou qui se sont épuisés dans leur jeunesse. Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent donner du ressort au membre viril, qu’en jouissant du spectacle de deux êtres vigoureux, qui luttent & se pâment sur le lit de Vénus. Toutes ces ressources annoncent un grand épuisement dans le physique de celui qui les exige.
De tous les moyens capables d’exciter à l’amour, le fouët est celui qu’on doit le moins rechercher ; outre qu’il est le plus nuisible, il ne peut gueres se pratiquer que chez des femmes prostituées[30]. Il y a pourtant des hommes qui ont besoin d’excitatifs ; il est du devoir de la médecine de les éclairer sur ceux qui ne peuvent pas déranger leur santé ni les avilir. C’est ce qui m’engage à joindre à ce petit ouvrage une dissertation sur la nature & l’effet des aphrodisiaques[31]. Qu’on ne s’y trompe pas, mon but n’est point de favoriser le libertinage. Je ne vais dévoiler les secrets de mon art que pour l’utilité de quelques maris glacés, & de tant d’épouses qui gémissent sur le lit nuptial.
[30] Les catins sont presque toujours plus fieres que les honnêtes femmes, & ne se croyent pas du tout méprisables. Cela paroît un peu choquant. Cependant je pense qu’elles ont raison. Placées comme des barrieres entre l’hymen & le célibat, les filles de joie servent de victimes pour sauver la vertu des autres femmes ; elles consolent le premier venu des rigueurs d’une personne délicate ; elles se prêtent docilement aux désirs de l’amateur le plus dépravé ; le même lit sert au militaire le plus étourdi, & au capucin le plus sérieux. Elles n’ont point tort de se montrer en public avec cette ostentation qui leur est si commune, car c’est une gloire pour elles de vouloir bien se soumettre à exercer un état qui est si avilissant en lui-même.
[31] C’est le nom qu’on donne à de certains remedes qui ont la propriété d’exciter aux plaisirs de l’amour.
Les plaisirs que procure l’union des deux sexes, sont les plus vifs que l’on puisse goûter ; ce n’est qu’en amour que le riche & le pauvre trouvent la volupté ; & le simple berger n’est pas moins heureux sur le sein de Colette qu’un souverain dans les bras de son amante.
Mais l’amour est comme le dieu Mars, il lui faut des sujets vigoureux ; les grâces, l’esprit, les talens peuvent lui plaire, cependant la vigueur seule à le droit de le fixer. Comme on ne peut pas douter de ces vérités, il est intéressant pour le bien de la population & la satisfaction de chaque individu, que la médecine s’applique à trouver les moyens les plus propres à nous faire longtems jouir des charmes que procure l’amour. C’est pour remplir les devoirs d’un médecin zélé que je mets la main à la plume ; c’est pour servir l’Etat & l’amour ; mais, je le répete, mon but n’est point de favoriser la débauche.
Je ne sais pourquoi MM. mes confreres ont été si scrupuleux sur cet article ; ils se sont tous accordés à garder le silence à ce sujet, ou du moins ce qu’ils en ont dit, est enseveli dans de pesans volumes de matiere médicale. L’acte vénérien étant un besoin de nature comme ceux de manger, de boire, d’uriner, d’aller à la selle, &c. il est surprenant que la théorie & la pratique médicinale ne s’occupent que de ces derniers. L’espoir d’être utile fait que je renonce à l’usage, ou plutôt aux préjugés reçus dans nos facultés : j’entre en matiere.
Les causes de la froideur conjugale, c’est-à-dire celles qui empêchent un individu de se livrer au coït, sont, un tempérament trop foible, reçu de la nature, un épuisement qui est la suite de quelques excès, & la vieillesse. Ces trois différentes maladies exigeant des traitemens qui doivent différer entre eux, il est important de ne pas se tromper dans l’administration des aphrodisiaques qu’on employe dans l’un ou l’autre cas. Afin de me rendre intelligible à tous les lecteurs, je vais diviser ces maladies & la maniere d’y remédier, en trois paragraphes.
§. I. Chaque individu reçoit de la nature, de ses parens, de l’éducation, une organisation & un tempérament bien différens. Quelques êtres sont privilégiés, ils naissent, & se forment pour la gloire de l’amour : tel fut cet empereur qui écrivoit à un de ses amis, qu’ayant fait cent prisonnieres, la premiere nuit dix d’entr’elles goûterent dans ses bras ce que l’amour offre de plus charmant, & qu’en quinze jours, toutes avoient senti les mêmes douceurs : tel fut encore ce tambour de royal Wallon qui parcouroit à pas lents un cercle de cent hommes, avec un seau plein d’eau portant sur son… &c. Les hommes de cette espece sont fort rares ; on en trouve plus de ceux qui sont trop foibles que de ceux qui sont extraordinairement vigoureux.
Lorsqu’on a atteint l’âge de puberté, & qu’on s’apperçoit qu’on le parcourt sans avoir les forces nécessaires pour profiter d’un bon à propos ; c’est un signe certain qu’on ne jouit pas d’une bonne santé. Il faut observer si cette fonction est la seule qui se fasse avec peine, c’est-à-dire, si cette maladie est, comme disent les médecins, essentielle ou symptômatique : dans ce dernier cas on peut être assuré que le froid de l’amour se dissipera aussi tôt que le vice principal sera détruit. Mais si l’on ne s’apperçoit d’aucune autre incommodité, on usera d’un régime & de médicamens capables de faire convenablement opérer la sécrétion de la semence, & propres à donner aux fibres le ton & l’élasticité dont elles ont besoin.
Un jeune homme, quoique naturellement foible, viendra à bout de se donner un bon tempérament, en ne faisant aucun excès de quelque espece qu’il puisse être, en faisant usage de bons alimens, en se livrant à un exercice modéré, en fuyant les boissons spiritueuses, les veilles & sur-tout la masturbation : voilà ce qui concerne le régime. Passons aux remedes. Il boira, le matin à jeun & le soir deux heures après le souper, un verre d’une décoction de sauge, édulcorée avec un peu de sirop d’œillet. Avant le dîner, il prendra gros comme une noix de l’électuaire suivant ; ce qu’il continuera jusqu’à ce qu’il ait acquis un certain degré de vigueur.
Electuaire.
[32] Comme cet électuaire pourroit ne pas être du goût de tous les malades, on pourra y substituer d’autres aphrodisiaques : on trouvera, dans le troisieme paragraphe, une liste de toutes les substances qui sont de cette nature.
§. II. Quand la foiblesse des parties de la génération est une suite du libertinage & l’effet d’un épuisement général, il faut d’abord que le malade s’éloigne des plaisirs de la ville & de ses sociétés dangereuses, pour aller respirer l’air de la campagne. Il se mettra à l’usage du laitage, si son estomac peut le supporter ; ses alimens seront les œufs frais, des viandes légeres, du bon bouillon, &c. Il prendra chaque jour le soir & le matin, une petite cuillerée de l’essence suivante.
Essence animale.
Prenez une pinte de bonne eau de vie, versez-en la quatrieme partie dans un grand vase de fayance, faites-y dégoûter le sang de sept jeunes coqs, & ayez soin de battre l’eau-de-vie à mesure que le sang y dégoûte, versez-y ensuite le reste de l’eau-de-vie, en remuant toujours. Ajoutez à ce mélange deux dragmes de canelle concassée, & demi-livre de sucre candi en poudre ; mettez le tout dans une bouteille de grès bouchée avec liége, mastic fondu, & de la vessie de cochon. Enterrez la bouteille dans le fumier de cheval pendant quarante jours, ayant soin d’ôter celui qui est dessus & froid, tous les trois jours, pour en mettre du chaud.
Cette essence est un puissant remede pour la génération ; elle est utile dans toutes sortes d’occasions où la nature manque, & sur-tout dans les épuisemens par débauches.
§. III. L’amour seme notre carriere de fleurs, mais la nature ne nous donne qu’un tems pour les cueillir. L’homme trouve toujours une belle femme de son goût, il ne peut cependant pas le lui prouver à tout âge. Voyez Mondor, regardez son hôtel, ses valets, sa cuisine, son office, sa table, tout annonce l’aisance ; il n’est pourtant pas heureux : son or lui donne bien de belles esclaves, mais en amour, posséder n’est pas toujours jouir.
Quoique l’âge de la vieillesse soit froid & presque impuissant, il est prouvé que l’on peut encore le rendre agréable par les secours de l’art. Tout Paris a vu un doyen des maréchaux de France, courtiser les femmes pendant soixante ans & plus, & se marier dans l’âge que l’on regarde communément comme celui de décrépitude. Ce seigneur a de grandes obligations à la médecine, qui ne lui est pas moins redevable de son côté, puisqu’il sert à prouver que les ordonnances hypocratiques ne sont pas toujours des rêveries.
Un homme d’un certain âge, qui veut connoître les plaisirs de l’amour, doit faire usage de bons alimens, manger peu & souvent. Il faut qu’il prenne tous les mois un bain de lait. Il se fera faire tous les soirs, en se couchant, des embrocations sur les lombes avec de l’huile de castor, ou de l’esprit de vin dans lequel on aura fait infuser du saffran. Il se baignera chaque jour les parties génitales dans une décottion de surriette, faite dans du vin rouge. Avec toutes ces précautions, le remede qui perfectionnera la cure, est le suivant.
Liniment de virilité.
Prenez du miel clarifié & de l’huile de noix muscade par expression, une demi once de chaque sorte ; de la pirethre, du poivre noir, & des cubébes, une demi-once de chacun ; du musc, un demi scrupule ; de la civette, un scrupule ; du baume du Pérou, un gros ; faites-en un liniment suivant les regles de l’art.
Ce liniment est destiné pour oindre la verge & le périnée, ce qu’on ne fera que de trois jours en trois jours au plus, car il excite singulierement aux plaisirs de l’amour[33].
[33] Il ne seroit pas moins utile aux jeunes gens qui sont impuissans, qu’aux vieillards. C’est l’aphrodisiaque le plus prompt, & le plus assuré.
Comme il ne suffit pas que la chaleur animale soit momentanée, les vieillards feront un usage constant de l’électuaire suivant ; ils en prendront, une heure avant le dîner, gros comme une noix muscade.
Electuaire aphrodisiaque.
On sera peut-être surpris que je n’aye fait aucune mention de l’usage des cantharides ; mais les vrais médecins ne les ont jamais regardées comme de vrais aphrodisiaques. Elles n’agissent qu’en irritant les voies urinaires, & l’irritation qu’elles y produisent, est souvent mortelle. Je conseille donc de n’y avoir jamais recours, il ne manque pas de moyens plus sûrs & moins dangereux, ainsi qu’on le verra dans la liste suivante.
Je le répete, mon intention n’est pas de favoriser la débauche ; il faut toujours réfléchir qu’on ne doit pas sacrifier sa santé à des plaisirs d’un moment. L’amour est la plus belle des passions ; mais elle est aussi celle qu’il importe le plus de diriger. Qui diligit sapientiam ; diligit vitam.
La camphrée ; cette plante ne se cultive que dans les jardins botaniques. Elle fortifie les nerfs, & répare la perte des esprits. On ne s’en sert pas dans la pharmacie.
Le cheiri, ou la giroflée jaune ; il vient sur les murailles, il fleurit en Mai & Juin. Quelques apothicaires en préparent une huile.
La marjolaine ; cette plante est très-connue.
La roquette ; on la cultive dans les jardins ; il y en a aussi une sauvage qui n’est pas moins bonne.
Les feuilles d’inde ; c’est une feuille oblongue, pointue, compacte & luisante, distinguée par trois nervures qui vont de la queue à la pointe, son odeur approche un peu de celle du clou de girofle. C’est la feuille d’un grand arbre commun dans les jardins des Indes orientales. Elles entrent dans la composition de la thériaque de Venise.
Le marum vulgaire ; c’est une plante ou un arbrisseau chargé de branches rondes, larges, avec deux feuilles à chaque articulation un peu plus grandes que celles du thym, mais semblables du reste. Elle est d’une odeur agréable, & a à-peu-près les propriétés de la marjolaine.
Le marum de Syrie ; c’est une plante plus basse & plus tendre que la précédente. Elle vient dans l’île de Candie & dans la Syrie. Son odeur est fort piquante & fort agréable. On tire de cette plante un excellent sel volatil.
L’origan vulgaire ; c’est la marjolaine sauvage. Cet origan n’est pas si fort que le suivant.
L’origan de Crète ; cette plante naît dans l’île de Candie, & dans d’autres parties de la Grece ; elle a des feuilles plus longues & plus blanches que la marjolaine. C’est une plante aromatique fort chaude, mais elle n’est pas d’une odeur bien agréable.
Le ros solis ; il y en a deux especes ; une à feuilles rondes, & l’autre à feuilles oblongues. La premiere espece est la plus en usage. C’est une petite plante basse, qui a une racine fibreuse ; il sort de petites feuilles un peu creuses autour des tiges longues d’un doigt ; les feuilles sont couvertes & frangées d’un velouté rouge qui donne une teinte rouge à toute la feuille. Elle vient dans les terreins humides dans une mousse d’un rouge pâle, & fleurit dans le mois de Mai. C’est un grand restaurant, & un échauffant. On dit que l’application extérieure de cette plante facilite l’accouchement.
La sauge ; il y en a de plusieurs especes, mais la grande sauge des jardins est la meilleure. Cette plante a été en si grande estime, que les anciens poëtes en ont dit : cur moriatur homo cui salvia crescit in horto ?
Le jonc odorant ; il est commun dans l’Inde, & dans quelque partie de l’Arabie. C’est un aromatique fort agréable. Il entre dans la thériaque & autres compositions.
Le serpolet ; cette plante est très-commune.
Le thim ; celle-ci n’est pas moins commune, ainsi on n’en fera aucune description.
La fauve-vie ; elle vient dans les rochers ; c’est une plante petite & basse ; ses feuilles sont en petit nombre, ressemblantes à celles de la rue. Elle n’a que deux ou trois pouces de hauteur. On la fait entrer dans les compositions pectorales.
Le romarin ; les fleurs de cette plante sont le principal aromatique qui vienne dans nos pays. C’est avec ces fleurs qu’on fait l’eau de la reine d’Hongrie.
Les fleurs d’orange ; ces fleurs sont fort connues.
Les clous de girofle ; c’est le fruit cueilli avant sa maturité, d’un grand arbre qui a les feuilles semblables au laurier, qui croît dans les Indes orientales.
Les œillets de jardin ; c’est un bon aromatique. On en fait un syrop, & une conserve qu’on trouve chez tous les apothicaires.
Le jasmin ; ses fleurs sont de la même nature que celles d’oranges.
La lavande ; ses fleurs ont les propriétés de celles du romarin.
Le muguet ; les fleurs sont d’une odeur fort agréable, mais elles la perdent en les faisant sécher.
Le stæchas d’Arabie ; c’est un grand cordial & qui fortifie les nerfs. Les apothicaires en font un syrop.
Le tilleul ; ses fleurs sont bonnes pour fortifier les nerfs.
La moutarde ; sa graine est tres-échauffante.
L’anacarde, ou la féve de Malaga ; c’est une graine qui vient au sommet d’un fruit de figure conique, des Indes orientales. Il a la couleur & la figure du cœur d’un petit oiseau. Il est couvert d’une pellicule forte, qui renferme une substance spongieuse ; au bas est enfermé dans une autre pellicule le noyau qui a le goût d’une amande. Ce fruit est fort chaud, & excite singulierement au plaisir de l’amour.
L’acajou, ou l’anacarde occidental ; il est commun à la Jamaïque ; il ressemble à un rein de lievre pour la grosseur & pour la figure. Ce fruit a les mêmes vertus que le précédent.
La graine d’écarlate, ou alkermès ; c’est une baie d’une espece de chêne. Il fait le principal ingrédient d’une confection qu’on trouve dans les pharmacies sous le nom de confection alkermès ; ce médicament est propre pour fortifier le cœur ; l’estomac, le cerveau, & pour exciter la semence. La dose est depuis un scrupule jusqu’à un gros.
La vanille ; elle vient de la nouvelle Espagne. On la mêle au chocolat pour l’aromatiser & le rendre plus échauffant.
Les cubebes ; ce sont de petits grains ressemblans au poivre. Ils sont fort aromatiques & fort chauds. On en trouve chez les droguistes & les apothicaires.
La noix muscade ; c’est le fruit d’un arbre qui vient principalement dans l’île de Banda aux Indes orientales. Sa dose en substance est depuis un scrupule jusqu’à un gros. C’est un aromate délicat, & un grand confortatif.
Le poivre ; il a beaucoup des propriétés des cubebes, mais il est encore plus chaud.
Le cacao ; il est très-connu comme un bon aliment ; c’est le principal ingrédient du chocolat. C’est une amande de la grosseur d’une olive, qu’on cultive principalement dans les îles de Cuba & de la Jamaïque.
Les pistaches ; ce sont des fruits oblongs de la grosseur d’une aveline, anguleux, plus élevés d’un côté, aplatis de l’autre ; sous une écorce mince est contenu un noyau d’un blanc verdâtre, d’un goût huileux, un peu doux. Elles sont chaudes & restaurantes.
L’écorce de Winter ; c’est une écorce aromatique, chaude, qui prend son nom de celui qui la fit le premier connoître en Europe. Elle passe pour une espece de canelle. Elle a une odeur qui ne differe pas beaucoup de celle de l’écorce du citron ; elle est subtile & pénétrante. La dose est un demi gros en substance.
La canelle ; cette écorce est très-connue.
Le roseau aromatique, ou acorus verus ; c’est une racine aromatique qui a un peu d’amertume, qui a une odeur qui approche du porreau & de l’ail.
Le galanga ; c’est une petite racine pleine de nœuds ; on croit que c’est une espece d’iris. Son goût âcre, aromatique & un peu amer, pique & brûle le gosier comme le poivre.
Le ginseng ; c’est une racine apportée du Japon ; la feuille du ginseng est d’un pouce ou deux de long, de la grosseur du petit doigt, un peu raboteuse, brillante & comme transparente, ayant le plus souvent deux branches, quelquefois plus, garnies de fibres menues vers le bas ; sa couleur est roussâtre en dehors, & jaunâtre en dedans ; son goût est légerement âcre, un peu amer & aromatique ; son odeur n’est pas désagréable. C’est un puissant aphrodisiaque.
Le salep ; c’est une racine oblongue & quelquefois transparente, d’une couleur blanche-jaunâtre, de peu d’odeur & d’un goût visqueux. On la met en poudre, & on en fait une décoction qui restaure & fortifie.
Le satyrion ; il y en a de deux sortes, le satyrion mâle, & le satyrion femelle. Le mâle, qui est celui qu’on tient dans les boutiques, à deux racines de figure ovale, aussi grosses qu’une petite olive, d’une couleur blanchâtre & pleines d’un suc visqueux. On ne se sert que de ses racines. Le satyrion femelle, est une plante un peu plus petite que l’autre ; elle a à-peu-près les mêmes vertus, mais il faut la prendre en plus grande quantité. C’est un grand cordial & un grand restaurant. Elle à un grand pouvoir pour exciter aux plaisirs de Vénus. C’est certainement pour cela qu’on regarde comme un grand corroboratif l’électuaire diasatyrion, qui prend son nom de cette racine. Cet électuaire réchauffe & produit des sensations agréables dans tout le genre nerveux. Quelques médecins ne croient pas aux vertus de cette plante, mais qu’on essaie d’en faire usage, & l’on verra que l’opinion de ces docteurs & l’expérience ne sont pas d’accord à ce sujet. Dioscorides, Pline, & autres ont parlé du satyrion comme d’un puissant aphrodisiaque ; ces autorités valent bien celles de quelques modernes, qui déprisent les anciens, & qui cependant n’ont d’autre mérite que celui de débiter des aphorismes à côté du lit des malades, leur ordonner vingt sortes de remedes dans un jour, & les expédier pour les antipodes.
Le gingembre ; c’est une racine des Indes, qu’on transporte ordinairement séchée, & quelquefois en conserve. C’est une racine tubéreuse, noueuse, branchue, un peu applatie. Sa substance est un peu fibreuse, pâle ou jaunâtre ; son odeur est très-agréable, son goût est âcre, brûlant, aromatique ; sa chaleur ne se fait pas sentir si promptement que celle du poivre, mais elle dure plus longtems.
La racine du chardon raland ; c’est l’eringium des boutiques. C’est un grand restaurant.
Le panais ; on s’en sert dans les alimens, & il est bien connu de tout le monde. On reconnoîtra qu’il excite aux plaisirs de l’amour, si l’on en fait un grand usage.
Le baume du Pérou ; c’est le produit d’un arbre des Indes occidentales. Le meilleur est d’une couleur rouge, noirâtre, & d’une odeur suave. La dose est de douze où quinze gouttes.
Le musc ; le bon est d’une couleur de fer, noirâtre, onctueux, d’un goût agréable, amer, & d’une bonne odeur. On le trouve dans le corps d’un animal des Indes qui ressemble au bouc.
Le castoreum ; il est d’un goût âcre, amer, dégoûtant, & d’une odeur forte. On le tire du castor, qui est un animal amphibie. On nous l’apporte de la baie de Hudson, de la nouvelle Angleterre & de Russie. On le prend en substance jusqu’à un demi-gros. Il est d’un usage fort étendu en médecine.
L’ambre gris ; c’est une sorte de bitume qui se forme dans les rochers, & qui est lavé par les eaux de la mer, & jetté sur le rivage par les vagues. C’est une substance grasse, solide, légere, de couleur de cendres, semée de petites taches blanches.
Le succin ; il est dur, aride, fragile, transparent, tantôt jaune ou citrin, tantôt blanchâtre, tantôt roux ; d’un goût de bitume un peu âcre & un peu astringent. Il a une odeur agréable de bitume, lorsqu’on l’échauffe. S’il est échauffé par le frottement, il attire la paille.
Outre les substances que je viens de nommer, il y en a beaucoup d’autres qui sont échauffantes de leur nature, & dont on se sert comme aliment : mais elles sont fort connues & je les passe sous silence. Pour ne rien laisser à désirer sur cette matiere, je vais donner la recette de différentes compositions qui sont très-utiles à tous ceux qui sont d’une constitution froide.
TEINTURE
Aphrodisiaque.
Prenez du ros solis, quatre poignées ; de la canelle, de la noix muscade, du macis, des clous de girofle, du gingembre, une once de chacun ; du musc, quatre grains ; de l’esprit de vin, huit livres. Mettez le tout ensemble en digestion pendant vingt jours ; après quoi coulez la teinture, dissolvez-y une livre de sucre, & mettez-la dans un vaisseau fermé pour l’usage. La dose est d’une petite cuillerée à café.
Conserve Aphrodisiaque.
Prenez des racines de satyrion ; faites-les cuire dans de l’eau jusqu’à ce qu’elles soient en bouillie, & passez-les. Prenez une livre de cette pulpe, & une livre de sucre cuit dans la décoction de la racine jusqu’à la consistance du miel. Mêlez-les, & faites une conserve suivant les regles de l’art. La dose est d’un gros.
Poudre aphrodisiaque.
Prenez de la canelle, de la racine d’angélique, des clous de girofle, du macis, de la noix muscade, des feuilles d’inde & du galanga, trois gros de chacun ; du nard des Indes, des grands & des petits cardamomes, un gros de chaque ; du gingembre, un gros & demi ; du bois d’aloës, du santal jaune, du poivre long, deux gros de chaque ; réduisez-les en poudre. La dose est d’un demi gros, dans du bouillon ou du bon vin.
Electuaire aphrodisiaque.
Prenez du chocolat en poudre & des amandes douces blanchies, une once de chaque ; du sucre fin & de la conserve de roses rouges, une once & demie de chaque. Battez le tout dans un mortier avec une suffisante quantité de suc de kermès ; ajoutez-y deux scrupules de baume de la Mecque, une once de syrop de baume, & faites-en un électuaire. On peut en user trois ou quatre fois par jour de la grosseur d’une noix muscade.
Il seroit inutile de multiplier davantage les recettes de cette espece ; en voilà, je pense, assez pour satisfaire différens goûts. Je n’ai pas voulu m’en tenir à une seule composition, parce qu’il y a de certaines substances qui déplaisent ou qui répugnent à de certaines personnes.
Après avoir traité des moyens capables d’exciter aux plaisirs de Vénus, je dois encore, pour satisfaire tous les lecteurs, parler des secours propres à rallentir la passion de l’amour. Il y a plus d’un célibataire qui ne peut éteindre les feux qui le dévorent, sans s’exposer à être la victime de quelques prostituées ; cela étant, n’est-il pas nécessaire de les instruire de la nature des remedes qui leur sont propres pour tempérer en eux l’ardeur de la déesse de Paphos ? Ce n’est pas, il est vrai, bien nécessaire qu’il y ait des célibataires ; cet état afflige & répugne à la nature ; mais ne pouvant changer nos mœurs, nos préjugés, nos sottises, cherchons au moins à adoucir le sort de nos semblables.
Les remedes froids & tempérans sont non-seulement utiles aux célibataires, mais encore à de certains mariés. Lorsque, par exemple, l’homme est si vigoureux, que ses caresses alterent la santé de sa femme, il doit avoir recours aux médicamens rafraîchissans plutôt qu’aux catins : si la femme est de même la plus emportée sur l’article, il faut qu’elle tempere ses humeurs plutôt que de prêter l’oreille aux fleurettes de ses voisins.
Pour ralentir la passion amoureuse, on doit se mettre à un régime rafraîchissant, se priver des liqueurs spiritueuses, des alimens trop nourrissans & aromatisés, prendre des bains de riviere si la saison le permet. Avant que de se mettre au lit, on prendra de deux jours en deux jours, une émulsion faite de la maniere suivante.
Emulsion tempérante.
Prenez de semence de melon, de courge, un gros & demi de chaque. Vous les pilez dans un mortier, & en triturant vous versez par-dessus un demi-septier d’eau commune. Passez & clarifiez le tout. Ajoutez à la colature une once de syrop de nénuphar. On prendra toute cette dose à la fois, deux heures après le souper.
Le sel de nitre posséde au suprême degré toutes les vertus qu’on attribue à quelques plantes dont on fait un grand usage dans les couvents. Celui qui prendroit pendant quatre ou cinq jours deux gros de sel de nitre par jour, ne seroit certainement pas importuné par des érections ni des pollutions.
La laitue, la scariole, le pourpié, le melon, sont des substances très-rafraîchissantes, & dont l’usage continu éteint à coup sûr le flambeau de l’amour. Aussi remarque-t-on que les femmes voluptueuses préparent rarement les alimens de cette espece, & ne les servent presque jamais sur la table de leurs époux : elles trouvent mieux leur compte en leur présentant l’artichaud, le céleri, &c.
Ceux qu’un trop fort tempérament importune, useront de l’aposême suivant, dont je conseille cependant de ne pas faire un long usage, car il rendroit absolument impuissant. Une forte dose de ce remede noueroit certainement l’aiguillette au nouveau marié le plus intrépide.
Aposême tempérant.
Prenez de la graine de chanvre broyée, trois onces ; de la laitue, du pourpié, du plantin, une poignée & demi de chacune ; des quatre semences froides deux onces ; faites bouillir le tout dans six livres d’eau, jusqu’à ce qu’elles soient réduites à quatre ; coulez la décoction ; adoucissez-la avec du sucre fin ; ajoutez-y encore trois gros de sel de nitre.
Tous les acides conviennent aux personnes qui ne veulent pas connoître les plaisirs de l’amour, ainsi les célibataires, qui sont jaloux de conserver leur chasteté, ajouteront à leur boisson (qui sera toujours de l’eau) du syrop de limon, ou de celui de vinaigre jusqu’à agréable acidité.
Il m’en coûte, sans doute, de me voir forcé de fournir des armes contre l’amour ; mais, comme je l’ai dit, il est de certains préjugés qu’il faut respecter ; & ces pauvres êtres, qui ont fait vœu de n’être plus hommes, seroient bien à plaindre si l’art médical ne pénétroit dans leur solitude pour les mettre à même de triompher des piéges de satan, & de résister aux tentations de la chair.
FIN.
| Discours préliminaire. | |
CHAPITRE PREMIER. | |
| Du fouet & de ses effets sur le physique de l’amour. | |
CHAPITRE II. | |
| Des causes par lesquelles les flagellations excitent à l’amour. | |
CHAPITRE III. | |
| De quelques erreurs qu’il seroit utile de détruire, principalement dans les couvens. | |
CHAPITRE IV. | |
| De la nécessité de changer les peines qu’on inflige à l’enfance & à la jeunesse. | |
| Conclusion. | |
| Dissertation sur les remedes capables d’exciter aux plaisirs de Vénus. | |